Souvent dans cette case, ma djinn bien aimée, au teint d’un lac unique au Sénégal, surgit des vagues de Bretagne pour me couvrir d'un filet aux couleurs du monde.
(....)Le mari de Jiingué avait bien raison. Si Jiingué n’a emporté que des livres, c’est qu’elle avait fait ce constat douloureux : en se débarrassant d'elle et des livres, son mari s’était séparé de ce qu’il avait chéri de mieux. ELLE AVAIT PRIS CONSCIENCE QUE LES LIVRES ET ELLE AVAIENT SUBI LE MEME SORT. LE MARI NE LES AIMAIT PLUS. Ce sort commun avait scellé l’alliance de Jiingué avec la littérature. (...)
Et la ronde des visiteurs se poursuit…
*Une ex mannequin toujours très élégante, et dont la beauté fait mieux que de la résistance, disait souvent être à l’aise dans ce milieu où les hommes la regardent comme une personne ordinaire au lieu de ne la dévisager que pour ces divins appâts.
* Une dame dans une robe d’un rouge vif en harmonie avec le pull de sa fillette (la robe, coupée en taille "grand-mère", mettait en évidence ses rondeurs avantageuses), attira l’attention plus par ses propos que par les couleurs vives de ses habits. Elle étonna l'assistance quand elle se mit à faire la morale à un trésorier d’Etat qui était son cousin, «gardien de l’argent du pays » comme elle l’appelait. Elle était comme scandalisée par l’honnêteté souvent vantée du trésorier, et s’employa à le persuader que se servir de l’argent public pour venir en aide aux siens, n’était point un détournement, encore moins un vol.
Cette ancienne maigre, devenue une femme heureuse aux formes généreuses, s’était exprimée avec une telle drôlerie que tout le monde avait éclaté de rire. Sauf le trésorier, qui se contenta d’un simple sourire. Lui était conscient que sa parente se donnait beaucoup de mal, se privant du peu qu’elle gagnait afin de venir en aide aux membres les plus démunis de leur famille. Cela était d’autant plus louable, et le trésorier le savait, que certains de ses frères, des émigrés plus nantis qu'elle, avait totalement rompu avec cette solidarité traditionnelle.
*Et ce torodo qui refusait d’en être un, farouche pourfendeur de la bêtise. Connu pour son injonction « arrêtez vos conneries !», il était sans pitié pour ceux qui s’aventuraient à exalter les différences de castes ou de conditions sociales. C'était les seules occasions où il se répandait en discours acérés, réfutant l’idée qu'un homme soit supérieur à un autre homme… Intransigeant, il vous clouait le bec avec cet argument imparable : « Où allons-nous si nous nous mettons à classer les Peuls entre eux, les ethnies entre elles ? Il ne faut pas s’étonner, après, que certains créent des hiérarchies entre les « races » ! ».
C'est au cours de cette ronde de visiteurs que l’histoire de Jingué Neene fut contée.
Après trois années de combat acharné contre la présence d’une seconde épouse qui devait rejoindre la maison-bonheur qu’elle partageait avec son mari, Jiingué Neené en surprit plus d’un, quand répudiée, elle n’emporta avec elle que les cantines de livres de son mari ; alors que la coutume lui donnait le droit d'embarquer tous les meubles de la maison. A l’annonce de la venue de la deuxième (sa nouvelle plus belle des belles), le mari avait déménagé les livres qui occupaient les murs de leurs deux spacieux salons, cédant ainsi au vœu de la nouvelle qui préférait voir ses portraits orner les lieux.
Certes, depuis quelque temps, le mari avait constaté que Jiingué s’était mise à lire, ce qu’elle ne faisait que rarement auparavant. Il était pourtant intrigué par le fait qu’elle n’ait emporté que des livres. Mais il connaissait suffisamment la personnalité de Jiingué pour soupçonner que cet acte n’était pas gratuit.
Toujours est-il que Jiingue Neene venait d’éviter à de précieuses œuvres, dont celles de Amadou Hampathé Ba, d’être piétinées dans le garage où les chauffeurs s’amusaient à se moquer de la tenue vestimentaire du vieil homme. Mais si certains livres ont été tirés d’affaire, d’autres avaient perdu leurs couvertures cartonnées qui avaient servi d’éventail.
Le mari de Jiingué avait bien raison. Si Jiingué n’a emporté que des livres, c’est qu’elle avait fait ce constat douloureux : en se débarrassant d'elle et des livres, son mari s’était séparé de ce qu’il avait chéri de mieux. Elle avait pris conscience que les livres et elle avaient subi le même sort. Le mari ne les aimait plus. Ce sort commun avait scellé l’alliance de Jiingué avec la littérature.
Jiingué envisagea de créer une bibliothèque dans son village. Elle informa de son projet une de ses collègues d’origine suisse, mariée à un Peul. Femme d’expérience, celle-ci lui fit comprendre qu’elle ne pouvait compter sur aucun de ses parents peuls peu enclins aux choses écrites. Elle l’orienta vers les conservateurs des bibliothèques de Chinguetti, la ville où les livres et le sable coexistent depuis des siècles.
En tout cas, après trois années de conflits, de tensions, de réconciliations fragiles, de dépenses astronomiques pour les boubous, les bijoux, des voyages couteux pour dénicher le meilleur marabout…, cette nouvelle occupation fit savourer à Jingué Neené les délices de son divorce. Elle effaça de sa mémoire cette triste période qui lui avait fait oublier les années de parfait bonheur qu'elle avait vécu avec celui qui fut son mari.
S'il y a parmi les visiteurs un dont je n'aurais pas voulu rater la visite, c'est celui dont l'épouse disait, parlant de sa relation avec un de ses amis : "séparés, ils sont chacun intelligent, mais dès qu'ils sont ensemble, ils deviennent cons".
Les visites à l’hôte m’avaient rendue quelque peu jalouse. Parmi celles-ci, celle de cousins communs, un couple des plus sympathiques, qui ont du s’étonner de ma nouvelle quête, leur demander le ŋuuñji* (cadeaux entre cousins à l'occasion des fêtes). La jalousie m’avait fait oublier que jusque là je ne sollicitais d'eux que leur participation au blog.
Et moi alors !
Ne dit-on pas que la jalousie, l’envie, la rancune et tous ces délicieux poisons qui nous rongent le cœur sont des sentiments nocifs.
Je me retournais alors vers ce cœur dont ma mère disait qu'il était le moins « propre » parmi ceux de tous ses enfants. Il me fallait le laver, ce cœur. Seul un cœur propre me permettrait de recueillir des Peuls leur savoir que je voulais destiner à notre grenier virtuel. Même si eux n’écrivent pas - ou peu - leurs mots, leurs réflexions, leurs avis constituent une richesse. Seul un cœur débarrassé de tout poison pourrait maîtriser ce besoin de quémander sans cesse. Comme si le savoir se quémandait !
Seul un cœur pur me donnerait la force de faire connaitre et apprécier les efforts de ces jeunes espoirs que sont, entre autres, Oumar, Maadu, Pape, Baba Seïdi, Ibrahima Falilou …, avec le vœu sincère qu’ils ne tarderont pas à transformer un jour leurs contributions en œuvres littéraires.
Allez, j’arrête là pour l’instant et je passe la plume à un autre visiteur, un jeune homme avide de savoirs, dont la quête s'inscrit pleinement dans les ambitions du blog. Il s'agit d'un extrait d'une lettre adressée à un de ses aînés.
« Très cher Deede, (…) Il y’a quelques années, le jeune homme qui cherchait pêle-mêle à déchiffrer le monde, trouver un sens à sa vie, comprendre ce que signifiait être peul et mauritanien et africain, voir comment il pouvait être utile d’une façon ou d’une autre, ce jeune homme que j’étais a voulu faire de toi un mentor et un maître à penser à travers une série de correspondances. Les circonstances en ont décidé autrement. Temporairement seulement, au vu de nos discussions de ces dernières semaines. Mes questionnements, loin de diminuer sont allés crescendo. Tout n’a pas été dit durant ces passionnants week-ends. Mais suffisamment pour me convaincre de la complexité du monde, de notre pays, de nos gens et de leurs interactions. Je me suis rendu compte de ma tendance insoupçonnée à la simplification confortablement fausse. J’ai surtout découvert l’étendue de mon ignorance. Paradoxalement cette ignoranceme réjouit car elle va de pair avec le plaisir intellectuel immense qui accompagne le dessillement (souvent laborieux) des yeux. Ce que j’ai entrevu à travers nos discussions, c’est, envers et contre l’inclination dominante chez nous, l’exaltation de la raison, la primauté de la réflexion et de la pensée scientifique. Avec pour inévitable corollaire la douceur inconfortable du doute. La responsabilité subséquente de l’Homme de bâtir son paradis ici et maintenant (l’autre étant par trop incertain pour rafler toute la mise). J’ai touché du doigt l’humanité d’un peuple que j’ai pu rejeter en bloc. (…) M.B.
Safi Ba
Dans le blog ou ailleurs, la ronde des visites poursuivra son chemin qui, je l’espère ne sera pas trop long pour vous.