Au cours des 60 années de son histoire, jamais auparavant Israël n'avait fait l'objet de condamnations aussi intenses et vigoureuses pour ce qu'il a fait depuis le début de son existence : génocide, guerre, crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Tandis que la plupart des critiques pointent du doigt ses « crimes de guerre », certains, comme l'Egyptien Fouad Riad, ancien juge au Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), ont le courage d'abandonner le langage diplomatique et de nommer les choses par leur nom.
« Ce qu'Israël a fait à Gaza est un génocide » déclarait Riad à Al-Ahram Weekly. Il a « délibérément tué des enfants palestiniens » dans le but d'exterminer la population, dit-il.
Riad a servi sept ans au TPIY à La Haye. En février 2001, Riad et d'autres ont jugé que le massacre perpétré en 1995 à Srebrenica en ex-Yougoslavie était un « génocide ». Rien dans le langage du droit international n'équivaut à l'ampleur du génocide, considéré comme « le crime des crimes ». C'est la conséquence la plus extrême de la discrimination raciale et de la haine ethnique.
La Convention sur le Génocide de 1948 définit le génocide comme un certain nombre d'actes commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux : tuer des membres de ce groupe ; causer de sérieux dommages corporels ou mentaux à des membres du groupe ; infliger délibérément au groupe des conditions de vie calculées pour provoquer sa destruction physique totale ou partielle ; imposer des mesures de prévention des naissances dans le groupe et transférer de force des enfants du groupe dans un autre groupe.
Selon Riad, « Il ne fait aucun doute qu'Israël a commis ces crimes depuis 1948 ». En 1948, après que la milice sioniste Irgun eut perpétré un massacre dans le village palestinien de Deir Yassin, l'ex-leader de l'Irgun Menachim Begin (le futur Premier Ministre d'Israël) était cité pour avoir dit que l'objectif du massacre était réalisé puisqu'il avait exterminé la population du village et ethniquement nettoyé la zone des Arabes, déclare Riad.
Riad cite l'historien « natif » israélien Ilan Pappé qui a publié un commentaire accablant dans le webzine Electronic Intifada, le 2 janvier, intitulé « La fureur vertueuse d'Israël et ses victimes à Gaza ». Non seulement Pappé décrit la guerre d'Israël à Gaza comme « génocidaire », il dit qu'Israël est « plus occupé que tout autre état dans le monde à détruire et à déposséder une population indigène ».
« Le sionisme est une idéologie qui appuie la purification ethnique, l'occupation et maintenant des massacres massifs » écrit Pappé, titulaire de la chaire d'histoire à l'Université d'Exeter. Le génocide à Gaza, dit-il, est tout à fait en lien avec l'idéologie du « sionisme hégémonique » fondateur d'Israël qui a continué de le pratiquer tout au long des 60 dernières années.
Selon Riad, il est « impératif » de considérer la guerre à Gaza dans « tout le contexte qui relie le passé au présent ». Tandis que Pappé trace le lien pour justifier l'appel au boycott, au désengagement et aux sanctions contre Israël, l'ancien juge du TPIY veut voir les pouvoirs de la justice criminelle internationale peser sur les cinq continents, et pas seulement sur certains d'entre eux.
A ce jour, des tribunaux ad hoc pour les crimes de guerre ont été instaurés pour les Nazis, l'ex-Yougoslavie, le Rwanda, les Khmers Rouges, le Sierra Leone et le Timor-Est. En outre, la Cour Pénale Internationale a ouvert des investigations dans quatre situations : dans le nord de l'Ouganda, en République Démocratique du Congo, en Centrafrique et au Darfour. Le Parlement libanais est sur le point de ratifier un tribunal international spécial mandaté par les NU sur l'assassinat de l'ancien Premier Ministre Rafik Al-Hariri.
C'est au cours des quatre dernières semaines que le monde a été le plus près de réclamer un recours judiciaire pour les Palestiniens, quand Israël pilonnait, avec des bombes d'une tonne, du phosphore blanc et des armes biologiques, la plus grande prison du monde - Gaza - dont le million et demi d'habitants avaient déjà subi un cruel blocus économique de 18 mois. Le bilan palestinien : plus de 1.230 tués dont 400 enfants et plus de 5.350 blessés (mutilés, rendus difformes et souffrant de blessures causées par des armes expérimentales inconnues qui ont laissé les médecins impuissants à les traiter) dont 1.900 enfants.
Des hôpitaux, des écoles de l'ONU, la plus grande université palestinienne et des dizaines de mosquées ont été bombardés. La Croix Rouge aussi bien que l'UNWRA (l'Office de secours des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine) ont dit avoir eu plusieurs de leurs collaborateurs tués et blessés.
Les travailleurs humanitaires des NU disent que des centaines de millions de dollars d'aide seront nécessaires pour le peuple de Gaza. La guerre a laissé plus de 100.000 personnes déplacées et sans logement. Le gouvernement du Hamas dit que 5.000 bâtiments ont été complètement détruits et 20.000 autres endommagés ou partiellement détruits lors des combats. Israël concède que 10 de ses soldats ont été tués.
Le 12 janvier, le Conseil des Droits de l'homme des NU publiait une résolution non contraignante qui accuse Israël de violations massives des droits de l'homme à l'encontre du peuple palestinien. Il décidait également d'envoyer une mission internationale indépendante pour investiguer sur toutes les violations des droits humains internationaux et du droit humanitaire international dans les territoires palestiniens occupés. Les résultats de la mission seront présentés à la prochaine session du Conseil en mars, braquant ainsi un « projecteur » sur les violations.
Le lundi, Amnesty International accusait Israël de commettre des crimes de guerre en bombardant de façon répétée au phosphore blanc des zones densément peuplées. Quand le phosphore blanc touche la chair humaine, elle brûle au travers des muscles jusqu'à l'os. L'organisation Human Rights Watch avait déjà accusé Israël d'utiliser l'arme incendiaire, mais sans la qualification de crime de guerre. La Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l'homme, Navi Pillay, a dit que certaines actions israéliennes à Gaza pourraient justifier des poursuites pour crimes de guerre.
Le Sommet économique arabe au Koweit a publié mardi une déclaration exigeant une enquête sur les « crimes de guerre » israéliens. Tandis que cela semble justifié, il apparaît également que cela révèle, de la part des états arabes, un élément d'hypocrisie. A ce jour, 120 états ont signé le Statut de Rome sur la Cour pénale internationale (CPI). Seuls trois pays arabes - la Jordanie, Djibouti et les Comores - l'ont ratifié.
Naturellement, Israël n'est pas une Haute Partie Contractante de la CPI. Comme il n'y a pas d'état palestinien, il ne peut donc être membre. La cour ne peut exercer sa compétence que dans les cas où l'accusé est ressortissant d'un état-partie, ou sur renvoi du Conseil de Sécurité des NU (CSNU). Toute tentative de pression sur le CSNU réclamant une enquête sur les crimes de guerre d'Israël se heurtera à un veto des USA.
« Les cours de justice sont faites pour protéger les victimes » dit Riad. « Nous sommes des victimes et nous refusons toujours d'être membres de la CPI ». Si les états arabes avaient ratifié le Statut de Rome, ajoute-t-il, ils auraient pu « avoir leur mot à dire » et présenter des cas devant la cour. « La justice internationale est importante et nous sommes en-dehors. C'est une grande perte ».
Selon Riad, le Liban était sur le point de ratifier le Statut de Rome avant qu'Israël ne lance sa guerre contre le pays en juillet 2006. S'il l'avait fait, « il aurait pu amener des criminels de guerre israéliens devant la CPI ».
Pendant ce temps, des dizaines d'activistes pour les droits humains et de juristes arabes sont dans l'actualité quand ils déclarent qu'ils « traîneront » des criminels de guerre israéliens devant la CPI. Leurs déclarations se basent sur l'article 15 du Statut de Rome que permet au Bureau du Procureur d'entamer une investigation proprio motu, de sa propre initiative, lorsqu'il est requis pas des groupes de la société civile. Riad dit que le procureur examine si ces cas relèvent de la compétence de la cour. « Hors de ce cercle, le procureur ne peut faire procéder à une investigation ».
La voie alternative pour faire passer des criminels de guerre israéliens en justice incombe à des pays dotés de lois de « compétence universelle » relatives au génocide, aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre. Ce principe permet aux états de déposer des plaintes criminelles contre des personnes dont les crimes présumés ont été commis hors des frontières de l'état qui poursuit, indépendamment de la nationalité, du pays de résidence ou de toute autre relation avec le pays qui poursuit. Selon Riad, la Belgique a été le premier état européen à avoir transcrit ce principe dans sa législation et d'autres pays ont suivi.
« Bien des cibles de ces tribunaux sont israéliennes » dit-il. « Le pourcentage de dirigeants israéliens qui sont poursuivis conformément à la compétence universelle est bien plus élevé que pour toute autre nationalité ». Aucun, cependant, n'a été arrêté, et la compétence universelle ne contraindra pas Israël, dans le cas présent, à extrader ses dirigeants.
Ce qui laisse ouverte une troisième voie : les tribunaux populaires. « A première vue ils peuvent ne pas sembler convaincants, mais en pratique ils peuvent être très efficaces » dit Riad. Un tribunal populaire peut exposer des crimes de guerre à la face du monde, ternir le nom d'un dirigeant dans l'histoire, et il peut être « très gratifiant pour les victimes ». Le modèle - un corps international constitué de personnalités enquêtant sur des crimes de guerre - a été impulsé en 1966 par le philosophe anglais Bertrand Russell, qui a constitué un tel tribunal d'opinion pour enquêter sur le génocide présumé des USA au Vietnam.
En 2006 au Caire, l'Union des Juristes Arabes a réuni un tribunal populaire pour enquêter sur les crimes commis par l'ancien président George W Bush, l'ancien Premier Ministre britannique Tony Blair et l'ancien Premier Ministre israélien Ariel Sharon. Il était présidé par l'ancien Premier Ministre malais Mahathir Mohamed.
De tels procès, selon Riad, peuvent « servir d'introduction aux futurs tribunaux pour les crimes de guerre israéliens devant des cours internationales », comme les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le génocide ne sont pas « sujets à des statuts de limitation ». « Nous ne pouvons complètement exclure, sur le long terme, l'intervention de la communauté internationale pour porter les crimes [israéliens] dans les territoires occupés devant une cour internationale » ajoute Riad.
En Israël, certains expriment déjà leur inquiétude à propos de ce même scénario. Gideon Levy du quotidien israélien Haaretz écrivait le 12 janvier : « Malgré tous les obstacles que le monde nous a mis depuis une éternité, malgré l'indulgence témoignée à Israël, le monde pourrait parler autrement cette fois-ci. Si nous poursuivons ainsi, peut-être qu'un jour un nouveau tribunal spécial sera établi à La Haye ».
Si jamais ce jour arrive, ce ne sera pas un jour trop tôt.
25 janvier 2009 - Al Ahram weekly - Vous pouvez consulter cet article ici :http://weekly.ahram.org.eg/2009/931...
Traduction de l'anglais : Marie Meert
Israël-Palestine : Le cancer
Edgar MORIN
Avec S. Nair et D. Sallenave
Le cancer israélo-palestinien s'est formé à partir d'une pathologie territoriale : la formation de deux nations sur une même contrée, source de deux pathologies politiques, l'une née de la domination, l'autre de la privation. Il s'est développé d'une part en se nourrissant de l'angoisse historique d'un peuple persécuté dans le passé et de son insécurité géographique, d'autre part du malheur d'un peuple persécuté dans son présent et privé de droit politique.
La justification.
Dans l'opprimé d'hier l'oppresseur de demain disait Victor Hugo. Israël se présente comme le porte-parole des juifs victimes d'une persécution multiséculaire jusqu'à la tentative d'extermination nazie. Sa naissance attaquée par ses voisins arabes a failli être sa mort. Depuis a naissance, Israël est devenu une formidable puissance régionale, bénéficiant de l'appui des Etats-unis, dotée de l'arme nucléaire.
Et pourtant Sharon a prétendu lutter pour la survie d'Israël en opprimant et asphyxiant la population palestinienne, en détruisant des écoles archives, cadastres, éventrant des maisons, brisant des canalisations et procédant à Jenine à un carnage dont il interdit de connaître l'ampleur. L'argument de la survie n'a pu jouer qu'en ressuscitant chez les israéliens les angoisses de 1948, le spectre d'Auschwitz, et donnant à un passé aboli une présence hallucinatoire. Ainsi la nouvelle Intifada a réveillé une angoisse qui a amené au pouvoir le reconquistador Sharon.
En fait Sharon compromet les chances de survie d'Israël dans le Moyen-Orient en croyant assurer dans l'immédiat la sécurité israélienne par la terreur. Sharon ignore que le triomphe d'aujourd'hui prépare le suicide de demain. A court terme, le Hamas fait la politique de Sharon, mais à moyen terme, c'est Sharon qui fait la politique du Hamas.
Si, en deçà d'un certain seuil, l'Intifada a poussé Israël à négocier, au-delà elle a ranimé l'angoisse de la proie, exaspérée par les attentats suicides, et la répression impitoyable semble une juste réponse à la menace. Si rien ne l'arrête de l'extérieur, l'Israël de Sharon va au minimum vers la bantoustandisation des territoires palestiniens morcelés.
L'unilatéralisme
C'est la conscience d'avoir été victime qui permet à Israël de devenir oppresseur du peuple palestinien. Le mot " Shoah " qui singularise le destin victimaire juif et banalise tous les autres (ceux du goulag, des Tsiganes, des Noirs esclavagisés, des Indiens d'Amériques) devient la légitimation d'un colonialisme, d'une apartheid et d'une ghettoïsation pour les palestiniens.
La conscience victimaire comporte évidemment une vision unilatérale de la situation et des événements.
Au départ du sionisme la formule "un peuple sans terre pour une terre sans peuple " a occulté le peuplement palestinien antérieur. Le droit des juifs à une nation a occulté le droit des palestiniens à leur nation.
Le droit au retour des réfugiés palestiniens est vu aujourd'hui, non comme un droit symétrique è celui du retour de juifs qui n'ont jamais vécu en Palestine, mais à la fois comme un sacrilège et comme une demande de suicide démographique d'Israël. Alors qu'il aurait pu être considéré comme une réparation aux modalités négociables.
Il est horrible de tuer des civils selon un principe de culpabilité collective, comme le font les attentats-suicides, mais c'est un principe appliqué par Israël frappant, depuis le temps de Sabra et Chatila et du Liban Nord jusqu'à aujourd'hui et hélas probablement demain, des civils, femmes et enfants, et en détruisant la maison et les cultures des familles d'auteurs d'attentat. Les victimes civiles palestiniennes sont désormais quinze à vingt fois plus nombreuses que les victimes israéliennes. Est ce que la pitié doit être exclusivement réservée aux unes et non aux autres ?
Israël voit son terrorisme d'Etat contre les civils palestiniens comme auto-défense et ne voit que du terrorisme dans la résistance palestinienne.
L'unilatéralisme attribue à Arafat seul l'échec des ultimes négociations entre Israël et l'autorité palestinienne ; il camoufle le fait que sans cesse depuis les accords d'Oslo la colonisation s'est poursuivie dans les territoires occupés, et considère comme " offre généreuse" une restitution restreinte et morcelé de territoires, comportant maintien de colonies, et contrôle israélien de la vallée du Jourdain. L'histoire complexe des négociations est effacée par la vision unilatérale d'une " offre généreuse " reçue par un refus global, et l'interprétation de ce soi-disant refus global comme une volonté de détruire Israël.
L'unilateralisme masque la dialectique infernale repression-attentat, elle-même alimentée par les forces extrémistes dans les deux camps.
L'unilatéralisme masque le fait que la tournée de Sharon sur l'esplanade de la Mosquée n'a pu que renforcer le cercle vicieux infernal qui favorise le pire dans les deux camps. Le pourrissement de la guerre d'Algérie après 1957 a favorisé le pire du côté français, avec trois putschs militaires qui auraient pu instaurer une dictature durable en France, et le pire du côté algérien, en accroissant le caractère despotique du FLN, ce qui a conduit à une tragédie qui n'a pas cessé 40 ans plus tard.
Le cercle infernal où tout accroissement du pire de l'un accroît le pire de l'autre a donné le pouvoir au clan nationaliste-intégriste en Israël, a installé des officiers issus des colonies à la tête de Tsahal, a transformé des éléments de cette armée de réoccupation en soldatesque pillant et tuant parfois jusqu'au massacre (Jenine). Il a accru le rayonnement et l'emprise des mouvements religieux fanatiques sur la jeunesse palestinienne.
Certes il y a également un unilatéralisme palestinien, mais sur l'essentiel, depuis l'abandon par la charte de l'OLP du principe d'élimination d'Israël, l'autorité palestinienne a reconnu a son occupant l'existence de nation souveraine que celui-ci lui refuse encore. Sharon a toujours refusé, le principe " la paix contre la terre ", n'a jamais reconnu les accords d'Oslo et a considéré Rabin comme un traître.
La fausse symétrie
En Occident, les médias parlent sans cesse de la guerre israélo-palestinienne ; mais cette fausse symétrie camoufle la disproportion des moyens, la disproportion des morts, la guerre de chars, hélicoptères, missiles contre fusils et kalachnikovs ; la fausse symétrie masque la totale inégalité dans le rapport des forces et elle masque l'évidence simple que le conflit oppose des occupants qui aggravent leur occupation et des occupés qui aggravent leur résistance. La fausse symétrie occulte l'évidence que le droit et la justice sont du côté des opprimés. La fausse symétrie met sur le même plan les deux camps, alors que l'un fait la guerre à l'autre qui n'a pas les moyens de la faire et n'oppose que des actes sporadiques de résistance ou de terrorisme. De même il y a fausse symétrie entre Sharon et Arafat, l'un maître d'une formidable puissance, capable de défier les Nations Unies et les objurgations (certes molles) des Etats-Unis, l'autre de plus en plus impuissant dans la séquestration dont il est victime. Une sinistre farce consiste à demander à Arafat d'empêcher les attentats tout en l'empêchant d'agir,
L'oppresseur d'aujourd'hui
Ce qu'on a peine à imaginer c'est qu'une nation de fugitifs, issus du peuple le plus longtemps persécuté dans l'histoire de l'humanité, ayant subis les pires humiliations et le pire mépris soit capable de se transformer en deux générations non seulement en " peuple dominateur et sur de lui ", mais, à l'exception d'une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier. Les médias rendent mal les multiples et incessantes manifestations de mépris, les multiples et incessantes humiliations subies aux contrôles, dans les maisons, dans les rues. Cette logique du mépris et de l'humiliation, elle n'est pas le propre des Israéliens, elle est le propre de toutes les occupations où le conquérant se voit supérieur face à un peuple de sous humains. Et dès qu'il y a signe ou mouvement de révolte, alors le dominant se montre impitoyable. Il est juste qu'Israël rappelle à la France sa répression coloniale durant la guerre d'Algérie ; mais cela indique qu'Israël fait pour la Palestine au moins ce que la France a fait en Algérie. Dans les derniers temps de la reconquête de la Cisjordanie, Tsahal s'est livré à des actes de pillage, destructions gratuites, homicides, exécutions où le peuple élu agit comme la race supérieure. On comprend que cette situation dégradante suscite sans cesse de nouveaux résistants, dont de nouvelles bombes humaines. Qui ne voit que les chars et les canons, mais ne voit pas le mépris et l'humiliation n'a qu'une vision unidimensionnelle de la tragédie palestinienne.
Du terrorisme
Le mot terrorisme fut galvaudé par tous les occupants, conquérants, colonialistes pour qualifier les résistances nationales. Certaines d'entre, elles, comme du temps de l'occupation nazie sur l'Europe ont certes comporté une composante terroriste, c'est-à-dire frappant principalement des civils. Mais il est indu de réduire une résistance nationale à sa composante terroriste, si importante soit elle. Et surtout il n'y a pas de commune mesure entre un terrorisme de clandestins et un terrorisme d'Etat disposant d'armes massives. Au moment où le gouvernement sharonien a dénoncé la bombe humaine qui a fait six morts à Jérusalem, il a occulté la terreur pratiquée à Jenine. De même qu'il y a disproportion entre les armes, il y a disproportion entre les deux Terreurs.
L'horreur et l'indignation devant des victimes civiles massacrées par une bombe humaine doivent-elles disparaître quand ces victimes sont palestiniennes et massacrées par des bombes inhumaines ?
Les bombes humaines
Il ne faut pas craindre de s'interroger sur ces jeunes gens et jeunes filles devenues bombes humaines.
Le désespoir, certes les a animés, mais cette composante ne suffit pas. Il y a également une très forte motivation de vendetta, qui dans sa logique archaïque si profonde surtout en Méditerranée, demande de porter la vengeance, non pas nécessairement sur l'auteur du forfait mais sur sa communauté. C'est aussi un acte de révolte absolue, par lequel l'enfant qui a vu l'humiliation subie par son père, par les siens, a le sentiment de restaurer un honneur perdu et de trouver enfin dans une mort meurtrière sa propre dignité et sa propre liberté. Enfin, il y a l'exaltation du martyre, qui par un sacrifice de sa personne féconde la cause de l'émancipation de son peuple. Évidemment derrière ces actes, il y a une organisation politico-religieuse, qui fournit les explosifs, la stratégie, et conforte par l'endoctrinement la volonté de martyre et l'absence de remords. Et la stratégie des bombes humaines est très efficace pour torpiller tout compromis, toute paix avec Israël, de façon à sauvegarder les chances futures de l'élimination de l'Etat d'Israël. La bombe humaine acte existentiel extrême au niveau d'un adolescent, est aussi un acte politique au niveau d'une organisation extrémiste.
L'affreux paradoxe
Et nous voici à l'incroyable paradoxe. Les juifs d'Israël, descendants des victimes d'un apartheid nommé ghetto, ghettoisent les palestiniens. Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés humilient, méprisent, persécutent les palestiniens. Les juifs qui furent victimes d'un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux palestiniens. Les juifs victimes de l'inhumanité montrent une terrible inhumanité. Les juifs, bouc émissaire de tous les maux, bouc-émissarisent Arafat et l'autorité palestinienne, rendus responsables d'attentats qu'on leur empêche d'empêcher.
La course à l'abîme
Une nouvelle vague d'antijudaisme, issue du cancer israélo-palestinien s'est propagée dans tout le monde arabo-islamique, et une rumeur planétaire attribue même la destruction des deux tours de Manhattan à une ruse judéo-américaine pour justifier la répression contre le monde islamique.
De leur côté, les israéliens voisins crient " mort aux arabes " après un attentat. Un anti-arabisme se répand dans le monde juif. Les instances " communautaires " qui s'autoproclament représentantes des juifs dans les pays occidentaux tendent à refermer le monde juif sur lui-même dans une fidélité inconditionnelle à'Israël.
La dialectique des deux haines s'entretenant l'une l'autre, celle des deux mépris, le mépris du dominant israélien sur l'arabe colonisé, mais aussi le nouveau mépris anti-juif nourri de tous les ingrédients de l'antisémitisme européen classique, cette dialectique est en cours d'exportation
Avec l'aggravation de la situation en Israël-Palestine la double intoxication, l'antijuive et la judéocentrique, va se développer partout où coexistent populations juives et musulmanes. Le cancer israélo-palestinien est en cours de métastases dans le monde.
Le cas français est significatif. En dépit de la guerre d'Algérie et de ses séquelles, en dépit de la guerre d'Irak, et en dépit du cancer israélo-palestinien, juifs et musulmans coexistent en paix en France. Cependant une ségrégation commence. Une rancœur sourde contre les juifs identifiés à Israël couvait dans la jeunesse d'origine maghrébine. De leur côté, les institutions juives dites communautaires entretenaient l'exception juive au sein de la nation française et la solidarité inconditionnelle à Israël.
C'est l'impitoyable répression, menée par Sharon, qui a fait passer l'anti-judaïsme mental à l'acte le plus virulent de haine, l'atteinte au sacré de la synagogue et des tombes. Mais cela conforte la stratégie du Likoud : démontrer que les juifs ne sont pas chez eux en France, que l'antisémitisme est de retour, les inciter à partir en Israël. Ne devons-nous pas au contraire mobiliser l'idée française de citoyenneté comme pouvoir de fraternisation entre musulmans et juifs ?
L'issue
Y a-t-il une issue ? Une haine apparemment inextinguible est au fond du cœur de presque tous les palestiniens et comporte le souhait de faire disparaître Israël ; chez les israéliens, le mépris est de plus en plus haineux, et également semble inextinguible. Mais la haine séculaire entre Français et Allemands, aggravée par la seconde guerre mondiale, a pu se volatiliser en vingt années. De grands gestes de reconnaissance de la dignité de l'autre peuvent, surtout en Méditerranée, changer la situation. Des sémites (n'oublions pas que plus de 40 % des israéliens d'aujourd'hui viennent de pays arabes) peuvent bien un jour reconnaître leur identité cousine, leur langue voisine, leur Dieu commun,
L'énormité de la punition qui s'abat sur un peuple coupable d'aspirer à sa libération vont-il enfin provoquer une réaction dans le monde, autres que de timides objurgations ? l'ONU sera-t'elle capable de décider d'une force d'interposition ? Sharon ne peut qu'être contraint à renoncer à sa politique.
Il y eut le 11 septembre un électrochoc qui au contraire l'a encouragé. La " guerre au terrorisme" américain lui a permis d'inclure la résistance palestinienne dans le terrorisme ennemi de l'Occident, de façon à ce que le tête-à-tête Israélo-Palestinien devienne un face à face non entre deux nations mais entre deux religions et deux civilisations, et s'inscrive dès lors dans une grande croisade contre la barbarie intégriste
L'électrochoc inverse est en fait advenu. C'est l'offre saoudienne de reconnaissance définitive d'Israël par tous les pays arabes en échange du retour aux frontières de 1967 conformément à toutes les résolutions des Nations Unies. Cette offre permettrait non seulement une paix globale entre nations mais une paix religieuse qui serait consacrée par le pays responsable des lieux saints de l'Islam. On peut donc envisager une conférence internationale pour arriver à un accord comportant une garantie internationale.
. De toutes façons, les Etats-Unis, dont la responsabilité est écrasante disposent du moyen de pression décisif en menaçant de suspendre leur aide, et du moyen de garantie décisif en signant alliance de protection avec Israël.
Le problème n'est pas seulement moyen-oriental ; le Moyen-Orient est une zone sismique de la planète où s'affrontent est-ouest, nord-sud, riches-pauvres, laïcité-religion, religions entre elles.. Ce sont ces antagonismes que le cancer israélo-palestinien risque de déchaîner sur la planète. Ses métastases se répandent déjà sur le monde islamique, le monde juif, le monde chrétien. Le problème n'est pas seulement une affaire où vérité et justice sont inséparables. C'est aussi le problème d'un cancer qui ronge notre monde et mène à des catastrophes planétaires en chaîne.
Edgar Morin. Sami Naïr. Danièle Sallenave
publié dans le Monde du 4 juin 2002,