Le titre choisi par les traducteurs du récit autobiographique de Maya Angelou me plaît tellement que je ne vois pas l’intérêt de chercher une autre formule pour intituler ce billet !
Le titre anglais est The heart of a woman, mais l’autre formule rend parfaitement compte de la barrière que la ségrégation place entre Blancs et Noirs dans l’Amérique des années 50-60, ainsi que de la force de la narratrice, de son désir de faire changer les choses.
Lorsque le récit commence, Maya Angelou est une jeune chanteuse de jazz, mère d’un fils qu’elle a eu à 17 ans et c’est avec terreur qu’elle rejoint sa mère dans un hôtel dans lequel les Noirs viennent juste d’avoir le droit de louer une chambre. Les regards des Blancs lui paraissent insistants, lui donnent envie de fuir.
La suite narre le parcours d’une femme qui peu à peu s’affirme, s’engageant aux côtés de Matin Luther King puis épousant un temps la cause de Vusumzi Make, combattant pour la liberté et les droits des Noirs d’Afrique du Sud.
Son récit nous conduit de la Californie à New York puis au Caire où Maya Angelou suit son compagnon Vusumzi Make. Si la première partie du livre nous révélait les tensions raciales en Amérique (me revient particulièrement en mémoire la méfiance de la narratrice à l’égard des Blancs même acquis à la cause Noire, ce sentiment qu’ils ne peuvent envisager la vie de la même façon, et effectivement se révèle toujours sous l’ouverture d’esprit l’empreinte des préjugés), la deuxième partie confronte assez douloureusement la narratrice afro-américaine à ses racines africaines ; l’épouse de Make n’a pas du tout la même liberté que la femme qu’elle était aux USA et Maya ne tarde pas à se sentir à l’étroit aux côtés de cet homme dont le charisme l’a d’abord fascinée. L’un des épisodes les plus marquants est cette palabre lorsqu’elle envisage de quitter l’époux infidèle qui s’oppose à ses velléités d’émancipation au nom de la dignité du mari africain : le découragement s’abat sur elle face à ce simulacre de procès. Lui revient en mémoire ce constat : tout ce qu’on attend d’elle c’est qu’elle reste noire et qu’elle meurt (voilà sans doute l’origine, finalement lugubre, du titre). Pourtant la palabre lui donne raison et lui permet de s’éloigner en lui épargnant le sentiment d’injustice et d’humiliation, la réconciliant avec sa dignité de femme.
Le récit se lit comme un roman, aventure à la fois personnelle (Maya Angelou raconte aussi les bouleversements de sa vie amoureuse, la complicité avec son fils Guy remise en cause par l’adolescence, ses aspirations littéraires) et collective (c’est un formidable document sur la vie artistique et politique du New York des années 60).
On entend presque grâce à la traduction cette voix singulière, porteuse des récits et des chants de sa communauté, empruntant aussi un temps les mots de Jean Genet (« Les Nègres », elle joue la reine blanche) pour parodier le mépris de ceux dont les siens ont étudié les gestes depuis toujours et montrer leur arrogance.
On y rencontre dans les premières pages une Billie Holiday amère et presque insupportable, s’emportant après avoir chanté à Guy les « Strange fruits » que sont les corps pendus d’hommes lynchés.
Découvrez Billie Holiday!
Merci aux éditions des Allusifs (une vraie mine !) qui m’ont envoyé ce livre dans le cadre du programme « Masse critique » de Babelio (je suis bien contente de découvrir à nouveau une œuvre singulière grâce à eux !).
Cette découverte a donné un autre relief à ma relecture de J’irai cracher sur vos tombes de Vian caché sous le pseudonyme de Sullivan, une histoire de vengeance érotico-gore. Le héros entend faire payer aux Blancs qui le prennent pour un des leurs (sa peau est très claire) la mort de son frère, lynché pour avoir osé être amoureux d’une jeune fille blanche. C’est un exercice de style sur le modèle du roman noir, écrit pour choquer (et Vian dut écrire une version en anglais I shall spit on your graves pour échapper aux poursuites judiciaires qui allaient le ruiner et prouver qu’il avait bien traduit un manuscrit américain – cette histoire m’enchante), mais le sort malheureux du frère trouvait d’étranges échos dans l’angoisse de la narratrice affrontant la foule scandalisée de cet hôtel, dans sa colère lorsque son fils est injustement accusé de je ne sais plus quelle exaction dans une école où les Noirs sont en minorité…