Nicolas, Daniel (1) et Daniel (2)

Publié le 31 janvier 2009 par Galaxiedesparadoxes@orange.fr

Je rêve d’un débat télévisé entre trois protagonistes : Nicolas (Sarkozy), Daniel (Cohn-Bendit) et Daniel (Gluckstein)… À défaut d’un tel débat, le 40ème anniversaire de Mai 1968 mérite bien ces quelques lignes. Chaque génération a les « souvenirs d’ancien combattant » qu’elle peut… D’abord, un souvenir personnel : ma propre « icône » de Mai 1968, mon propre « Dany le Rouge », c’est Daniel Gluckstein. Connu pour sa candidature à l’élection présidentielle de 2002 (Parti des Travailleurs), il était toutefois trop jeune, en 1968, pour devenir aussi célèbre que le « vrai » Daniel (Cohn-Bendit). Mais il a l’avantage inestimable d’avoir été, à l’époque, mon condisciple. Je ne peux donc pas penser à Mai 68 sans penser à Daniel Gluckstein : certains des slogans libertaires (qu’il répétait à l’envi, entre deux « A.G » au lycée) ont incontestablement formé mon goût du paradoxe : « soyez réalistes, demandez l’impossible », « interdit d’interdire », « trop jeunes pour attendre », « je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils profitent » (réponse libertaire au concept de participation, alors cher au « père de la nation », le Général de Gaulle). Cette parenthèse nous rappelle une lecture classique de Mai 68 : la révolte œdipienne contre le père. Mon professeur de psychiatrie, André Bourguignon, estimait ainsi que « Mai 68 fut l’occasion décisive pour le ‘‘fils’’ (Georges Pompidou) de supplanter le ‘‘père’’ (De Gaulle) ». M’évoquant irrésistiblement un autre couple politique où un « fils » a aussi évincé son « père » (Chirac), cette dernière considération conduit ainsi à Nicolas Sarkozy. Notre dynamique président semble avoir fait une curieuse « fixation » sur Mai 68, qu’il appelle à « liquider ». C’est son avis, et il le partage, comme on dit… Le paradoxe, c’est que Nicolas Sarkozy doit évidemment son élection à l’héritage social de Mai 68 ! Pourquoi ? Parce que, sans le maelström moral et culturel qui suivit (et qu’il semble pourtant déplorer), il n’aurait jamais pu être adoubé par des Français, auparavant arc-boutés sur la question du divorce d’un présidentiable (lire le texte de Gérard Stagliano sur le blog de Christophe Barbier). En clair, Mr. Sarkozy feint de dénigrer le creuset alchimique dont est issue sa propre destinée politique ! Ce ne serait certes pas la première fois, dans l’Histoire : nombre de dirigeants « oublient » ou fustigent l’évolution à laquelle ils doivent cependant leur carrière ! Demandez à Poutine ce qu’il pense de Gorbatchev, à Mitterrand ce qu’il pense de De Gaulle, à Napoléon son opinion sur la Révolution… Je l’admets : ces dernières interviews sont plus ardues ! Bref, sans Mai 68, pas de Président Sarkozy… D’autant plus que, sans Mai 68, pas de Daniel Gluckstein (dont la vocation politique date de cette époque) ni d’Olivier Besancenot. Et, sans ces « grains de sable » d’extrême gauche, la présidentielle 2002 aurait tourné tout autrement… et donc celle de 2007 ! Quod erat demonstrandum : Nicolas Sarkozy devrait donc remercier tous ces bouleversements sociaux ayant permis de donner à un divorcé épousant une divorcée les mêmes chances et droits qu’à tout autre ! Du moins, l’ « autre Daniel » (Cohn-Bendit) est-il moins ingrat que notre président ? Réponse édifiante de l’intéressé, en couverture de Télérama (n° 3037, 29/03/2008) : « Oubliez Mai 68 ! » (C’est d’ailleurs le titre de son livre). Motif invoqué : « Discuter sans fin sur Mai 68 est souvent une manière d’éviter de parler des problèmes d’aujourd’hui. » Curieux procès, de la part d’un acteur essentiel de cette histoire ! En généralisant ce raisonnement spécieux, cela reviendrait à ne plus enseigner l’Histoire, peu productive, sous prétexte qu’elle détournerait des « vraies » préoccupations, forcément actuelles ! Cela condamnerait par exemple l’enseignement de la Shoah, sous prétexte qu’il y a (hélas) toujours une multitude de gens qui souffrent sur la planète, et que ressasser le passé n’améliore pas l’avenir… Pour la défense de l’Histoire, si Mr. le député européen me lit d’aventure, je me permets de lui rappeler, dans Le Trésor des Paradoxes, cette citation de Charles Péguy : « Homère est nouveau ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d’aujourd’hui ».