Vendredi du Vin # 21: Un vendredi ailleurs

Par Irislisson
Pour cette première édition de l'année neuf  neuf, Julien Marchand nous invite à voyager, pour sortir des 10 pays des plus grands producteurs de vin du monde (encore qu'il y a des peu connus en France, comme la Russie et la Chine).

J'avais une belle séléction dans ma cave, que j'aurais aimé vous présenter. Mes vins de Chypre, qui m'attendent encore à la cave, auraient été idéale pour le thème.

Malheureusement, je sors tout juste d'un gros rhume, donc peu de chance, de vous faire une note de dégustation à l'hauteur des découvertes, que j'espère faire, en ouvrant ces Xynisteri, Maratheftiko ou Mavro...
Je me contente donc, de plonger dans mes archives de voyage, qui m'a fait déguster et je reprends mes notes du dernier RE-VE-VIN, organisé avec Brio par Philippe Rapiteau, mieux connu comme  La Pipette aux quatres vins. Ses compte-rendus des Rencontres Vendéens autour du Vin des dernières années sont une mine d'information. Cela se passe chaque année à  Saint-Jean-des-Monts, directement à la plage - l'annonce de la prochaine édition est de nouveau bien alléchante.

Le couronnement de ce marathon dégustative de Mai 2008 étaient 16 liquoreux de l'Europe Centrale - et comme toute est une question de la perspective, il y avaient des représentants de l'Allemagne, de la Suisse, d'Autriche et de l'Hongrie sur la table. Donc déjà là, trois candidats, qui auraient pu plaire à Julien.
Je me suis décidé, de vous parler des 4 Tojaji, du simple 3 Puttonyos jusqu'au Aszú Eszencia.



(Mais je dois admettre, que personnellement, mes favoris étaient deux vin de la Suisse ce matin-là (Ambre 2001 de Christophe Abbé et Grains Nobles 2000 de Marie-Thérèse Chappaz)..

Les 4 candidats hongrois étaient

 - Tokaji Aszú - Château Dereszla - 3 puttonyos 1999

 - Tokaji Aszú - Disnoko - 4 puttonyos 1998


 - Tokaji Aszú - Weinbauern von  Bodrogkeresztur - Francovin - 5 puttonyos 1988


 - Tokaji Aszú - Château Dereszla - Eszencia 2000




Des notes mentholées, d'agrumes, pétrolées et même quelques notes  oxydatives, mais aussi caramel, herbes aromatiques, raisins au rhum et café - le tout bien sûr au goût sucré, mais toujours contrebalancé par une belle acidité - chacun des 4 vins nous faisait sentir toute la palette d'arômes cités, en passant des notes oxydatives plus prononcées pour le  Aszú 5 Puttonyos de 1988 à celles de miel et tabac blond et une balance sucre-acides superbe pour le  2000 du Aszú Eszencia. Une expérience vraiment intéressante!

Pour mes recherches après-coup sur ces vins, célèbres si longtemps, j'ai beaucoup aimé les passages sur Wikipédia, qui nous apprennent bien des choses sur l'évolution des dernières 20 ans.

"Vignoble parmi les plus prestigieux, il avait été collectivisé lors de la dictature communiste et avait alors connu une sérieuse baisse de la qualité. Les producteurs étaient obligés dans le cadre de la planification soviétique de livrer des vins de masse sans souci de la qualité réelle. Le gouvernement d'alors échangeait le vin produit (25 millions de bouteilles) contre du gaz, de l'électricité et des tracteurs. La production était entièrement sous le contrôle du "borkombinat de Tokay" et pour tenir leurs obligations, les viticulteurs étaient obligés de pousser le rendement jusqu'à 12 kg par pied de vigne, ce qui ne pouvait donner qu'un mauvais vin.

Au début des années 1990, le vignoble a été privatisé et les achats de vignoble ont été autorisés aux investisseurs étrangers. Une association, "Tokay Renaissance", regroupant la plupart des nouveaux investisseurs a été créée dès 1995 pour « redonner ses lettres de noblesse au vin de Tokay ». Lors de cette vague d'achat, vingt-huit domaines sur les cinquante d'avant-guerre ont été reformés et sont passés aux mains de grands investisseurs étrangers :

  • français : Axa (150 hectares, domaine Disznoko), GMF (50 hectares, domaine Tokaj-Hetszolo), Gan, coopérative agricole Cana ;
  • américains ;
  • anglais ;
  • allemands ;
  • espagnols : Vega Sicilia (100 hectares, domaine Oremus), domaine Purification Mancebo.

Ils sont souvent accompagnés de quelques investisseurs hongrois (hommes politiques, médecins, pharmaciens...).

Le gouvernement hongrois a alors pris une mesure d'interdiction de cession. Aujourd'hui, 4 000 des 5 500 hectares du vignoble serait potentiellement à vendre par les petits propriétaires actuels s'ils en trouvaient un bon prix. Le gouvernement hongrois pourrait lever la mesure d'interdiction d'achat de domaine par des investisseurs étrangers."

Une autre source d'information se trouve dans ma bibliothèque: le très beau livre de  Robert de Goulaine - Le Livre des Vins Rares ou Disparus, ed. Bartillat, 1995.



Dans le chapitre sur les vins de Tokaji , avec le beau titre: Le vin des rois, le roi des vins, on peut suivre l'histoire de ce vin à travers les siècles avec des temps mouvementés et lire beaucoup d'anecdotes. C'est ici que j'ai rencontré pour la première fois la "Royal Essenzcia", ce superlativ des  Aszú Essenzcia. Le Royalque de raisins botrytisés, qu'on empilait sur des claies et dont je jus tombait naturellement, sans pressage goutte par goutte dans les bassines dessous. 16 kg de raisins donnaient souvent pas plus qu'un verre et on y apprend, que cette essence ne titrait jamais plus que 9° ou 10° alcool et n'était considérée comme prête à boire qu'au bout de 50 ans, et même pas au bout de 30 ans, comme on l'exigeait dans le temps pour l'Aszú Essenzcia .  ne consistait

Un demi-siècle pour se décanter jusqu'à la goutte royale - et l'auteur nous parle d'une bouteille, qu'il a pu acquérir en 1988 chez  Peter Morel à Manhatten, qui datait de l'année 1811, l'année de la comète de Halley. Il soupçonne les dernières réserves de ce breuvage mythique dans la cave du Vatican...

Robert de Guolaine cite la mode d'une grande partie de la vinification d'un nouveau style dans la région par des oenologues Français ou formés en France:

"...Nous préférons faire des vins à la française en ajoutant de l'anhydride sulfureux pour arrêter la fermentation. On obtient ainsi des saveurs infiniment plus fruitées." et il déplore: "Le chauvinisme Français, (qui) demeure la forme la plus raffinée du terrorisme intellectuel. Au nom de quel école aurait-il fallu imposer à Mozart de composer comme Rameau ou à Poussin de peindre comme Rembrandt?" (page 33)

De quelle manière on répond à cette question - il est évident, que les amateurs, qui s'extasient dans des forums de vin de leur Essencia à 6,50€, qu'ils ont trouvé sur un rayon de supermarché, doivent probablement être tombés sur des fonds de l'époque soviétique dans leur verre....

Est-ce qu'il existent encore des vignerons, qui respectent les vieilles traditions avec des temps d'élevage et de repos de 30, ou même 50 ans?

La majorité de ce qui est vendu aujourd'hui comme Essenczia, est vraisemblablement d'une facture plus expéditive, plus moderne - adapté au goût du client et au besoin du roulement des capitaux des investisseurs.  C'est la rançon de la démocratisation d'un produit de légende. Mieux fait que la production de masse de l'aire soviètique - l'oenologie moderne et des noms de marque prestigieux, qui font vendre,  en sont les garants. Exemple: si on trouve aujourd'hui la Royal Essenczia sur Internet, on trouve les produits d'une entreprise, qui porte Royal dans son nom - même si je n'y vois pas d'autre lien...