Le livre ou la fête

Publié le 30 janvier 2009 par Magda

Berlin Fashion Week de l’an dernier (j’avais la flemme de faire des photos moi-même ce soir…)

Berlin c’est fabuleux, je n’arrête pas de vous le répéter, mais il y a tout de même une belle épine dans le pied teuton. Ici, dans la capitale allemande, on fait la fête. Dix fois trop.

C’est-à-dire qu’au début, vous posez vos valises, et puis, connaissant la réputation infernale de la ville, vous regardez un peu quelles soirées peuvent vous faire vibrer. Il y a parfois des ratages ; un soir, il n’y a pas si longtemps, je me suis retrouvée à marcher en talons hauts dans la neige, bredouille devant un club complètement fermé. Mais dans l’ensemble, vous trouverez vite votre bonheur, que vous soyez rock, indie rock, pop, hip-hop, techno, electro ou amateurs d’objets sonores sur fond de vidéoprojection délirante*. La spirale est en place, Katrina va tout ravager sous peu. C’est quand vous commencez à taper dans la main du physio à la sortie du club le plus blindé du week-end, et qu’il vous gratifie d’un “à ce soir”, que vous comprenez que vous êtes mal barrés. Soudain, vous regardez votre poignet à la lueur du jour, il est couvert des multiples tampons des clubs où vous êtes entrés dans la nuit, et vous réalisez que vous n’avez fait que danser/boire/parler/fumer/rire depuis plus de douze heures. Voilà qui laisse bien peu de place à une quelconque activité littéraire, vous en conviendrez.

Alors ce soir, j’ai pris mon destin en main. Ayant dormi deux heures la nuit le matin précédent, je me laisse tout de même tenter par une invitation à un défilé de mode, puisque c’est la Fashion Week de Berlin. Non pas que j’avais très envie de revoir les créatures arrogantes et pailletées qui peuplaient le club où j’avais passé une partie de la nuit précédente. Mais une amie bienveillante m’avait promis une avalanche gratuite de bière et de champagne, qui s’avéra être cet infâme mousseux qu’affectionnent nos amis germains, le Sekt. A peine débarquée, je reconnais trente personnes, dont trois vrais amis. Une journaliste-Barbie toute en dents, et son caméraman blasé, me balancent une lampe dans le visage et m’ordonnent de raconter ce que je pense de la Fashion Week de Berlin. (”Rien” répond mon cerveau, “Ach ja, es ist sehr locker, die Stimmung ist echt cool”** dit ma bouche.) Mon téléphone, quant à lui, se met à devenir dingue. Je compte les soirées où on m’invite par SMS : cinq. Plus un message vocal, hurlé tel un cri tarzanesque, au milieu d’un bar hanté par des singes technoïdes : “It’s the best party, Magda, come quickly !!!”

Mais moi je me souvenais que loin de tout cela, de tous ces amis montés sur ressort prêt à bondir à la première attaque d’une batterie des Gang of Four, ou d’un mix de Sascha Funke, loin de tous ces Berlinois foufous qui mettent des shorts en fourrure pour aller danser… il y avait quelque part, au coeur de la ville, un petit lit douillet où m’attendait Théories du cinéma, un livre publié par les Cahiers du Cinéma regroupant des textes critiques importants du XXe siècle sur le septième art… un livre qui patiemment, tous les jours, attendait que je veuille bien en soulever quelques pages de plus, que je daigne corner un peu sa couverture élégante…

Alors je suis rentrée, essuyant au passage des insultes du type “T’es une vieille” ou “Va dormir, Cendrillon” de la part de mes bienveillants amis ; et je vous passe les allusions, fort désobligeantes pour ma vertu, de ceux qui ne croyaient pas que je puisse rentrer chez moi sans autre raison que celle d’avoir envie de lire. Ils déjà en route pour la prochaine “party-qui-a-lieu-à-cinq-minutes-d’ici-en-taxi-et-on-est-sur-la-guest-list-parce-que-Karsten-sort-avec-la-soeur-de-la-fille-du-vestiaire”. J’ai bondi dans le métro, étonnée moi-même de ma soudaine force de caractère, et me voilà. Prête à chérir de toute mon âme le livre délaissé par les nuits blanches. Il faut parfois savoir faire des choix. Le livre, ou la fête.

O, Stille Nacht…

*Ne riez pas, ça s’appelle vjaying, et tout Berlinois de sexe masculin qui se respecte s’y essaie, Dieu seul sait pourquoi.

**”C’est très décontracté, l’ambiance est vraiment cool”. Phrase d’anthologie que vous pourrez peut-être voir sur le site de la Deutsche Welle, si j’ai bien compris…