Il faut avoir le courage de penser que l’on a construit, sa
vie durant, une cathédrale. Oui telle pensée demande du courage.Il s’agit aussi
de ranimer l’idée d’inspiration, sans prendre garde au décri tombé sur elle.
Inspiration, un pouvoir occulte d’écouter et de recevoir, de saisir et
d’accorder parfois des éléments
inconciliables : la vision d’autant plus précieuse et aimée qu’elle est
plus fréquente, la langue d’autant plus méritante qu’elle est plus rare.
L’inspiration établit le joint entre le vouloir « faire juste ce que l’on
s’est proposé de faire », et la dictée par les puissances célestes.
On m’a souvent rapporté ce que j’avais écrit à propos de Baudelaire : « Le poète est un diseur de mots ». J’ai inscrit cette phrase contre
le discours en matière de poésie. Le « Diseur de mots » est le poète
véritable, celui qui fait rendre au langage tout ce qu’il enferme de l’âme, et
non seulement la pensée décantée par la logique, mais l’autre souterraine, qui
ne répond à rien. Diseur de mots est celui qui sait établir entre ces mots le
potentiel d’une charge nécessaire à l’étagement de mouvements compliqués et d’épaississements graves formant la
matière mentale. Songez à un seul de vos rêves. Le diseur de mots est celui
qui, dans l’extrême veille, harponne un équivalent du rêve.
Comme l’inspiration est une organisation, le paradoxe de Poe dans
« Philosophie de la composition » pourrait être, à la limite, admis.
À savoir — écrit Mallarmé — « que tout hasard doit être banni de l’œuvre
moderne et n’y peut être que feint ; et que l’éternel coup d’aile n’exclut
pas un regard lucide scrutant l’espace dévoré par son vol. »
Pierre Jean Jouve, En Miroir, dans Œuvres, II, texte établi et présenté par Jean Starobinski, Mercure de France, 1987, p. 1079-1080.
Contribution de Tristan Hordé