« Kimonos » est une promenade en images, dans l'univers chamarré du vêtement traditionnel Japonais. À travers une étude très personnelle de l'habit, l'auteur met en lumière, au sens propre comme au figuré, tout l'art de la confection, du choix puis du port du wafuku. Retour sur un objet de désir autant qu'un représentant d'une société profondément codifiée.
Crédit photo : Compound eye/FlickR
Choses qui font naître un doux souvenir du passé
"Les roses trémières desséchées.
Les objets qui servirent à la fête des Poupées.
Un petit morceau d’étoffe violette ou couleur de vigne qui vous rappelle la confection
D’un costume, et que l’on découvre dans un livre où il est resté, pressé. Un jour de pluie, où l’on s’ennuie, on retrouve les lettres d’un homme jadis aimé.
Un éventail chauve-souris de l’an passé.
Une nuit où la lune est claire. »
Sei Shônagon, Notes de chevet.
La citation qui débute le livre Kimonos est idéale. Elle résume à elle seule tout ce qu’évoque le costume traditionnel nippon : nostalgie, onirisme et érotisme. Au travers des mots de Shônagon, Sophie Milenovich invite à la découverte d’un costume qui cache un monde, une culture, un univers difficile à appréhender pour les matérialistes que nous sommes. L’auteur sonde, pour notre plus grande passion, le mystère de cette mode extrême-orientale.
Quand il s’agit de fasciner son lecteur, Sophie Milenovich n’est pas maladroite. Elle emploie un style direct, intime, captivant, comme une invitation à voir par ses yeux, à imaginer à travers son esprit, à palper ce qu’elle ressent. Fascinée par le travail du styliste Yohji Yamamoto, elle se rend au Japon et découvre en premier lieu, un monde complexe, résistant à toute forme d’analyse : « J’ai vite compris qu’il me serait sans doute impossible, et très présomptueux, de vouloir aller au fond des choses, et que le Japon déciderait pour moi de ce qu’il me livrerait. Je me suis ainsi laissée guider par les surprises que me réservait ce pays. ». Ainsi, la styliste se surprend à apprécier cette découverte sans contrôle, cette compréhension d’un monde qui semble peu ouvert.
© Éditions Seuil / Photo : flanepourvous.blogspot.com
L’artiste reconnaît que, si le kimono est construit très simplement, l’habillage est d’une complexité qu’elle n’aurait pu imaginer à la simple vision de ces femmes « papillon », se mêlant à la foule bigarrée du XXe siècle. En outre, elle explique l’attachement des Japonais à l’habit par sa représentation même : « Il est plus que jamais pour les Japonais l’essence même de la culture nippone en matière de vêtement. ». Elle entreprend par la suite de « démonter » le kimono, comme on démonterait une horloge pour comprendre comment elle marche. Par le biais de cette analogie, le lecteur comprend que le kimono n’est pas seulement une enveloppe, mais bien constitué de nombreux accessoires qui en font tout le charme. Et ceux-ci ont une place très précise, codifiée, qu’il serait mal venu de modifier. Même le rangement du costume obéit à des principes de pliage rappelant l’origami.
Après nous avoir enseigné les règles de construction et de pliage du kimono, Sophie Milenovich nous rappelle la révélation à l’Occident du fameux vêtement. Les estampes japonaises ont notamment contribué à cette découverte, outre la réouverture du pays aux étrangers, au milieu du XIXe siècle. Puis, l’auteur oppose forme et matière : « Si la forme du kimono reste inchangée depuis le XVIIe siècle, une diversité infinie existe grâce aux tissus employés : diversité des matières, des techniques de tissage ou d’impression, des dessins et des couleurs. ». Les illustrations du livre aident énormément le lecteur à imaginer la richesse des motifs et la multiplicité des coloris. Pourtant, le kimono a une histoire et n’a pas toujours été ce morceau de tissu en forme de T*. L’évolution du vêtement est rapportée au milieu du livre, comme pour appeler à contempler le passé, avant de l’associer au présent. Un subtil clin d’œil à la culture nippone, peu complexée à l’idée de conjuguer les deux temps.
© Éditions Seuil / Photo : flanepourvous.blogspot.com
Le type de kimono se choisit en fonction de l’âge, du statut social et marital, des évènements et des saisons. Une pléthore de photos somptueuses illustre ces choix et rappelle combien ce vêtement est intégré à la culture japonaise, et non renié. Il est à l’image de la représentation féminine au japon : cylindrique, effaçant les formes, rendant suggestif les moindres parties du corps que nous, occidentaux, dévoilons ostensiblement pour mieux séduire. L’érotisme japonais est bien mystérieux. Le travail de Sophie Milenovich ne serait pas complet s’il ne perçait pas à jour les secrets de l’art de l’habillage. Du « Juban » aux « zôri », en passant par l’obi, l’artiste n’oublie pas de notifier les fautes de goût et les bonnes manières propres aux Japonais : par exemple, « au Japon, quitter ses souliers n’est pas un geste marqué d’intimité ». Petit bémol, la symbolique de chaque accessoire et de la manière de les porter n’est pas retranscrite. Cependant, les Japonais ne donnant pas toujours d’explication à chacun de leurs gestes, aussi peut-on supposer que l’auteur n’aura pas tenté de trouver des significations à chaque objet.
Kimonos est un livre détaillé, soutenu par une riche iconographie. Également photographe, Sophie Milenovich a soigné ses clichés, nous baladant au gré des tissus flottants, des obis compliqués, des silhouettes « dématérialisées ». Le livre est un incontournable, une référence à la fois technique et esthétique. Il permet d’approcher un monde magique, mais fascinant tant il y a à découvrir.
Noah
Sophie Milenovich
Kimonos
Editions Seuil (2007)
* Lire à ce sujet le premier article du cycle « kimonos »