Un après-midi d'hiver à Pyongyang, avec quelques courageux amis expats assoiffés d'inconnu, nous avons décidé d'aller assister à une projection dans un petit cinéma de quartier. On trouve beaucoup de cinémas en Corée du Nord; ce sont souvent de grands bâtiments dont l'entrée est ornée de larges affiches peintes à la main et qui ne sont pas renouvelées souvent.
Je voulais aller voir Le Journal d'une écolière, un film étonnant qui a fait un énorme carton en Corée. La plupart des Coréens de ma connaissance ont vu et revu ce film naturaliste qui traite des difficultés de leur vie quotidienne. (Le film est sorti en 2007 sur les écrans français.) Mais dans le cinéma choisi, la séance du samedi après-midi n'offrait qu’un seul film, et nous n'allions pas faire la fine bouche.
Prudents - et largement paranos -, nous avions décidé de garer notre très voyant véhicule, dont la plaque d'immatriculation portait le nom de notre unité de travail, dans une rue à l'écart, histoire de brouiller notre piste.
Nous sommes en retard. Nous nous hâtons vers le cinéma, grimpons les marches, et nous trouvons face à trois ouvreuses les yeux écarquillés, proprement stupéfaites.
"C'est combien ?" dis-je. "C'est 10 wons le ticket", répond l'ouvreuse, par réflexe. Je sors la monnaie en un éclair, empoche les tickets, et nous entrons dans la salle avant qu'elle n'ait le temps de réagir.
L'immense amphithéâtre est plongé dans le noir, le film a déjà commencé. Nous nous asseyons en silence dans une rangée près du couloir. Trois minutes après déboule un grand type hors de souffle, qui scrute rapidement la salle, et vient s'asseoir juste derrière nous.
Le film raconte le très réel et tragique massacre de Kwangju en Corée du Sud, un drame qui a eu lieu en 1980. De courageux sud-coréens, portant jeans et chemises à carreaux, sont très occupés à vivre dans la misère et à se faire opprimer par une clique fantoche de généraux félons qui complotent pour réprimer la démocratie en fumant des cigares. Les soldats sud-coréens sont très cruels, ils tuent des enfants en riant et déshabillent les filles, donnant un inattendu soupçon d'érotisme au film (après, ils les massacrent en rigolant).
Le grand type derrière nous change discrètement de place, pour s'asseoir juste à côté. A l’écran, les soldats s'en prennent à présent aux femmes enceintes et au troisième âge.
L'audience est captivée. Les cris d'indignation fusent, les langues claquent de rage impuissante, la colère monte. Quand les valeureux résistants sud-coréens prennent enfin les armes pour refouler violemment les militaires, la salle est vengée. On entend des encouragements et des exclamations de joie.
Il gèle à pierre fendre dans le cinéma, c'est l'hiver, et il ne fait guère plus chaud qu'à l'extérieur. La première partie du film se termine au bout d'une heure et demie. Entracte. Nous retrouvons le grand type, maintenant assis sur un siège juste devant nous.
Mes compagnons d'aventure ne pigent rien au coréen, et l'expérience leur suffit. Nous quittons la salle avant le début de la deuxième partie.
Le lundi matin, tout notre staff était au courant de notre escapade cinématographique. En effet, soucieux de laisser notre voiture dans un coin discret, nous l'avions garée dans une petite rue éloignée, en face d'un grand bâtiment... qui s'est révélé être le commissariat du quartier.
N’est pas James Bond qui veut.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 21 février à 14:18
Interessant tout ca.