On se voyait depuis mon arrivée, à temps très partiel. Puis, inexplicablement, pendant deux semaines, tout le jour, toute la nuit, sans arrêt. Nous avons dormi dans le même sac de couchage, en cuiller. Je l'ai photographié, il me grimpait sur les épaules, nous passions des heures à nous regarder dans les yeux, épris, frissonnants d'amour vrai et pur.
Dimanche, petit drame, j'arrive au fond de son sac de Félicroutine-plus Nouvelle Formule au poulet du Gers. Qu'à cela ne tienne ! Je prends mes bonnes chaussures et je pars me promener en direction du seul marché ouvert de la région. Je suis un type responsable, malgré les apparences. Je reviens une heure plus tard et Charkane est affamé ! Il crie, il gémit ! Me voir ouvrir le sac le calme et il se met à faire du Harley, mrmrmrmrmrmrmrmr. Il s'approche tout heureux de son plat et renifle le beau monticule tout frais que je viens de lui verser. Il stoppe net et me regarde, interdit.
— Mra ?
— Oui, oui, minou. Bon manger miam-miam.
Il en prend une du bout des dents. Puis une autre. Il mâche mollement, comme pour me faire plaisir, pour rendre la monnaie, genre « merci pour l'effort, imbécile ». Puis il se retourne et, d'une patte dégoûtée, gratte le plancher pour enterrer son plat. J'aurais fait caca dans son écuelle, c'est du tout pareil. Il lève la tête bien haut et demande la porte qui mène au toit. Je lui ouvre, il sort. Je ne l'ai pas revu depuis. C'est fini.© Éric McComber