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28 janvier 1888/Lettre de Stéphane Mallarmé à Michel Baronnet

Par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours Paris, 28 janvier 1888


  Mon cher Baronnet,

   Vous avez cette intuition amicale du plus vieux de mes rêves, manger quelques dattes chaque jour présentées par une main charitable et vivre sans plus de souci. Il me semble un peu que cela ait lieu, mais plus délectablement que je ne l’attendais, n’ayant pratiqué ce fruit que sirupeux et dû à l’épicier. Vraiment, c’est prodigieux de douceur et du luxe de nutrition qu’on sent y sommeiller. Ces dames, qui se guérissent un rhume avec, vous remercient de grand cœur, comme moi.

   Voici une petite plaquette qui fait partie d’une anthologie belge et n’est pas trop mal pour son prix d’impériale d’un omnibus.

   Je n’ai pas l’impression que vous vous ennuyiez trop, là-bas ; car, outre vos besognes, vous savez vivre seul, même je vous envie, ah ! si le fond de la boîte où s’étagent les dattes répandait un peu de désert autour de moi. Mon cher, que c’est difficile de s’isoler autant qu’il le faut, pour un travail même jaloux comme celui qui me captive cet hiver ! Nous en causerons à votre retour. Bien fort votre main

Stéphane Mallarmé


Paris, le 30 janvier 1888

   Monsieur,

   Je me permets de vous répondre à la place de Monsieur Baronnet, qui n’est pas en état de le faire lui-même, il a été très touché par votre lettre, aussi bien que par votre poème, il l’a relu deux fois et a déclaré qu’il était décidément « impérial » mais pas « omnibus », vous comprendrez sans doute ce que cela veut dire, il était touché encore davantage par les marrons glacés que vous lui avez fait porter en remerciement des dattes dont vous avez fait si grand cas, lorsqu’il a ouvert le joli carton il en a goûté tout de suite, alors il s’en est donné à cœur joie et les a mangés tous les uns après les autres, mon Dieu, vingt-quatre marrons glacés d’un coup, je n’ai jamais vu cela, mais si le cœur y était le foie n’a pas suivi, pas longtemps tout au moins, une demi-heure plus tard je l’ai trouvé effondré sur le divan, j’ai appelé le docteur Faure mais c’était déjà trop tard, quel malheur ! il ne méritait pas cela, il y avait de mauvaises langues qui le traitaient de goinfre ce qui est bête et méchant, c’était simplement qu’il aimait trop la vie, et voilà, il n’en a plus.

   Je vous prie de croire, Monsieur, à mes sentiments les plus respectueux.

Mademoiselle Roux-Fouillet Marie-Jeanne
La gouvernante



Correspondances Intempestives, à la folie… pas du tout, Triartis, 2008, pp. 92-97.


   Consacré à la correspondance des meilleures plumes de la littérature française, cet ouvrage des éditions Triartis propose la réponse « d’imprévisibles destinataires contemporains. À charge pour eux de répondre dans leur style, leur humeur, en toute liberté d’inspiration, chacun induisant ainsi sa propre règle du jeu. »
   On aime « à la folie… ou pas du tout » !

   Dans le présent échange, la lettre de la gouvernante à Stéphane Mallarmé est rédigée par l’écrivain new yorkais Harry Mathews.


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