A Rumbur, au bout de la piste, dès que nous descendons des jeeps nous revoyons des femmes. Normales, dévoilées, souriantes. Nous sommes en pays kailash , où les musulmans ont encore peu converti. Je ne sais qui dans le groupe nous apprend que le Kailash le plus connu est l’inventeur d’une arme. Il s’agit de Nikov. Celle-là, s’il ne l’avait faite, bientôt chacun l’aurait inventée ! Je préfère m’intéresser aux femmes et aux fillettes qui sont un plaisir pour mes yeux, fatigués de ne voir que des mâles. Elles sont vêtues de robes noires brodées de couleurs vives, sont coiffées de cauris et de perles, tout à fait pimpantes ainsi. Elles rendent, par contraste presque ternes les petits garçons aux chemises à la diable.
Une japonaise vit ici ; elle s’est mariée avec un Kailash. C’est ici jour d’élections locales et le village est en effervescence. Tous les hommes des villages alentour viennent dans ce bourg choisir leurs représentants. Chaque candidat se représente par un objet pour illettré : une théière, un avion… Notre accompagnatrice nous fait sortir du village pour éviter tout incident « avec tous ces hommes échauffés » - hum, elle par le pour elle ? Nous passons un petit pont sur le torrent pour une balade de trois heures dans la vallée, vers un autre village.
Certains renoncent, l’altitude – pourtant modeste encore – les épuise déjà. Ceux qui poursuivent vont jusqu’au village du fond de la vallée. Il est construit de maisons de pierres et de bois qui s’emboîtent, du bas de la colline jusqu’en haut. Cette disposition économise la terre cultivable du fond de vallée, fait forteresse et tient chaud durant les mois d’hiver. Elle empêche aussi les bêtes sauvages d’accéder aux habitations. Les animaux domestiques une fois rentrés, tout comme les enfants, peuvent circuler à l’aise de maison en maison par les terrasses et les échelles qui servent en quelque sorte de rues. Ce village est converti à l’islam, religion prosélyte qui réduit chaque année un peu plus le nombre d’animistes parmi les quelques trois milles Kailashs installés dans ces vallées – et accentue le ressentiment envers tous les étrangers. Le contraste est immédiat avec le précédent. Si les femmes ne circulent pas voilées, elles ignorent les hommes, surtout nous qui ne sommes pas de la race à qui Allah a révélé la Vérité. Elles détournent le regard. Nous n’entrons pas dans le village mais restons à l’entrée près de la nouvelle mosquée. J’effectue un quart de tour en longeant les maisons les plus basses, dont les terrasses s’ouvrent bien à trois mètres du sol. Un gavroche de six ou sept ans me fait des signes amicaux et des grimaces comiques. Les enfants qui n’accompagnent pas leurs pères aux élections sont les plus petits ; ils ont peur des étrangers comme de l’ogre des fables.
Symbole de l’impérialisme américain -produit comme l’alcool au Pakistan – le Coca est très apprécié ici. Pour le goût sucré, mais surtout pour l’image de modernité et de participation au mouvement du monde qu’il donne. Ces pays musulmans, qui revendiquent haut et fort leur identité, attendent en fait qu’on les reconnaisse. Ile ne tolèrent pas l’impérialisme moral – le plus souvent américain – mais ne rêvent que de vivre comme dans les pays développés. Il suffirait d’un peu de diplomatie pour éviter le ressentiment global. Mais peut-on demander d’être subtil à un Américain missionné par Dieu pour guider tous les peuples vers la Terre promise ? Tout semble fait comme si Dieu était pervers : c’est par ses révélations partisanes et multiples (aux Juifs, aux esclaves chrétiens, aux Musulmans, aux sectes ultérieures…) qu’il a rendu le monde diabolique. Le message des Lumières était plus rassembleur : un seul Être Suprême, symbole du Sacré même pour les agnostiques et les athées, de façon à effacer les haines « héréditaires » entre croyants. N’est-ce pas au fond ce qu’est le ‘in God we trust’ figurant sur le dollar, entre le triangle maçon et l’aigle impérial ? Peut-être suffit-il à Obama d’effacer le particularisme de Bush envers Jéhovah pour retrouver le sens de la mesure ?
Le campement est prévu sur le toit en terrasse d’une maison au bord de la rivière, assez loin du village. Il faut trouver un sentier étroit, traverser un pont suspendu qui oscille comme un bateau sur la houle, remonter par un bois sombre vers les lueurs de lampes électriques un peu plus haut. Le soir, à la belle étoile, nous serons bercés par le bruit incessant du torrent comme par les stridulations des grillons tapis dans le champ de maïs qui borde la maison. Ce dernier nous servira de chiottes, aucun trou n’étant prévu à cet effet. Mais le dîner n’est pas à l’endroit où nous allons dormir. Il nous faut retourner au village, par le même chemin et retrouver le parking. Le dîner est reconstituant avec soupe à l’œuf, riz, poulet et ragoût de légumes. Mais une infâme custoard (héritage anglais…) parfumée chimiquement « à la mangue » gâche le dessert pour ceux qui peuvent l’avaler.