Comme l'indique le titre, cet article définit certains faux élégants. Il est très long
car je ne souhaite pas écrire plusieurs papiers sur ce sujet. Mais comme mes recherches sur les petits-maîtres de l'élégance française m'ont apporté des informations sur eux, je pense qu'il
peut être intéressant pour le lecteur de les avoir. On y trouve définis les termes de libertin(e), décadent, évaporé(e), efféminé, vieux-beau ou ex-beau,
décati, décavé, masher, pschutteux, rastaquouère, snob, pédant, Marie-Chantal, barbouillée, bourgeois, endimanché, coq. Dans un autre article, je parlerai de tout ce qu'on appelle au XIXe siècle
le demi monde, et des prétendants au monde : mondain, demi-mondain(e), dame aux camélias, homme aux camélias, dame du lac, accrocheuse, lorette, essuyeuse de plâtres, Arthur,
greluchon, cascadeuse, maquillée, casinette, boule-rouge, petite dame, petit monsieur, fille de marbre, pré-catelanière, casinette, pèche a quinze sous, traviata, gigolette,
gigolo. Les faux élégants sont nombreux même parmi les petits-maîtres et les
raffinés ... en fait surtout parmi eux ... Au temps des incroyables et des merveilleuses d’après la Révolution, un grand nombre d’opportunistes se font passer pour eux afin de bien se
faire voir (c'est le temps des arrivistes et de la jeunesse dite dorée) ou dans le
but d'attirer les clients pour les prostituése ou les proies riches chez les demi-mondaines. De fait, pour beaucoup, les petits maîtres sont des prétentieux et les petites-maîtresses plus ou
moins des grues. Par la suite, les faux élégants sont légions. À cette époque (au XIXe siècle) plusieurs noms font référence à des vieux beaux, des snobs, et autres amènes fictifs comme les
pschutteux, rastaquouères ou mashers. À cela s'ajoute la foule des petites dames et demi-messieurs, lorettes et compagnie. Ce sont des plus ou moins grandes demi-mondaines et des viveurs, assez
jeunes car subsistant de leurs atouts. Ils sont en grande partie le fruit de l'exode rural ; sont coquets, fréquentent ou essaient de frayer dans le grand monde. Mais comme je l'ai dit, ce sera
le sujet d'un autre article. Tout ce spectacle n’est pas très ragoutant mais
explique en grande partie la situation actuelle en ce début de XXIe siècle et l’évanouissement de l’élégance dans des vapeurs plus éthérées ; tellement ‘hautes’ qu’on ne la distingue même
plus !
LIBERTIN(E). DÉCADENT. ÉVAPORÉ(E).
EFFÉMINÉ. Pour commencer, j’inclus ici les libertins et libertines car, pour la plupart, ils détournent l'esprit galant raffiné, enjoué et libre afin de masquer et accomplir leurs perversions
qui n'ont rien de raffinées, galantes ou amusantes et qui enferment l'esprit et le corps plus qu'ils ne le libèrent. Le libertin est avant tout associé au début du XVIIe siècle et au règne de
Louis XIV (1643-1715). On le retrouve après cette période Tristan L’Hermite (1601-1655) et Charles Sorel (après
1582-1674) qui écrit Les Lois de la galanterie (1644) sont de véritables libertins qui s’affichent comme tels. Dans son livre La mode, ou Caractère de la religion,
de la vie, de la conversation, de la solitude, des compliments, des habits et du style du temps (1642), François Grenaille (1616-1680) définit le libertin comme croyant qu’il n’y a rien au-delà des sens. Certains petits-maîtres sont eux-mêmes
libertins. Dans ce mot il y a liberté : une indépendance vis-à-vis des règles qui ne s’exerce pas seulement dans le domaine du sexe, mais aussi de la pensée, l’expression et bien d’autres
terrains. Dans Les Nuits de Paris (1788-1794), Restif de la Bretonne (1734-1806) utilise souvent ce mot. On dit aussi ‘libertine’ ou ‘fille ‘ bien que ce dernier désigne avant tout une
prostituée. Le libertin est vraiment l’acteur de la vie nocturne parisienne du XVIIIe siècle. Il est de toutes les parties fines, et dans tous les lieux où il peut accumuler ses
conquêtes : dans les manifestations populaires, les académies (salles de jeux), les billards, les cabarets, les théâtres où se jouent des pièces libertines, certains soupers, bals … enfin
dans toutes les distractions qu’offre ce siècle où cet homme (ou cette femme) peut trouver ce qu’il désire. Le décadent est une autre forme de faux élégant. Il y en a différentes sortes dont
certaines s’approchent de l’élégance comme ceux qui ne se soucient pas du qu’en-dira-t-on et font à leur convenance en suivant leur liberté. Contrairement à d’autres décadents, cette sorte
cultive le bon-goût tout en s’adonnant aux plaisirs fins que d’aucuns considèrent comme mauvais. Elle n’impose rien à quiconque et ne veut recevoir d’ordres de personne. Elle ne s’adonne à
aucune bassesse mais paraît décadente dans le miroir du rustre.
On utilise parfois le terme d’évaporés pour qualifier certains jeunes gens n’ayant
pas les pieds sur terre, pas très ‘futfut’ (futés). « Les évaporées, qui dansent par tout sans violon, qui chantent tout sans dessein, qui parlent de tout sans garantie, et qui répondent à
tout sans malice, à ce qu'elles disent. » écrit l’abbé d’Aubignac (1604-1676) dans Histoire du temps ou relation du royaume de coquetterie extraite du dernier voyage des Hollandais aux
Indes du levant (1654). Le terme s’emploie au masculin ou au féminin au XVIIe siècle jusque dans la première moitié du XIXe pour des étourdis. C’est surtout au XVIIe qu’il définit aussi un
(ou une toujours) extravagant. Enfin il y a l’efféminé. Dans Les Nuits de Paris (1788-1794), Restif de la Bretonne (1734-1806) donne l’exemple d’efféminés « dix fois plus femmes
que les femmes ». Il les appelle aussi ‘antiphysiques’. Dans Les Plaisirs des dames (1641), François Grenaille (1616-1680) écrit en parlant des damoiseaux qu’ils sont beaucoup plus efféminés que les femmes.
VIEUX-BEAU OU EX-BEAU. DÉCATI. Le faux élégant ne se reconnaît pas obligatoirement avec facilité quand il
est jeune, tout auréolé de sa fraîcheur ; mais il vieillit alors mal. Le jeune beau devient le vieux-beau (Photographie d'une illustration légendée « Le vieux beau » de La Vie
élégante datant de 1883). On dit aussi au XIXe siècle ‘ex-beau’. J'ai écrit tout un article sur 'Les vieux beaux' le 14 avril 2008. Les anciens beaux sont parfois appelés des décatis. Albert
Millaud (1844-1892) en décrit un dans un chapitre entier (photographies de la première page de celui-ci et d'illustrations) de Physiologies Parisiennes
datant de 1886, au cours de tout un chapitre lui étant consacré et dont voici un passage : « Le décati n’est pas un homme qui a vieilli. Vieillir est tout un art. Le décati voudrait
être et avoir été. Il a été charmant, délicieux, irrésistible, il veut être encore irrésistible, délicieux, charmant, et n’est que décati. Le décati a eu son heure de gloire dans les dix
dernières années de l’Empire ; des petits crévés c’était le roi, comme le roitelet l’est parmi les oiseaux-mouches. Il était plus petit, plus exigu, plus frêle, plus femme que les autres.
Il a fait la joie des petits salons de Compiègne et a rencontré d’inoubliables succès dans les boudoirs des beautés de l’époque. S’il avait eu quelque envergure, il se serait transformé et
l’âge, en le marquant, ne l’aurait pas détruit. Si, jeune homme, il avait été beau, il serait resté beau, il n’a été qu’extrêmement joli, il n’est plus qu’extrêmement décati. […] Il portait une
fine moustache blonde, des cheveux de femme en petits bandeaux bien frisés ; des cils soyeux ombrageaient son regard. […] Il avait un petit déhanchement qui faisait pâmer les jeunes filles
et dont raffolaient les beautés mûres. […] Il a gardé son goût pour les costumes trop jeunes, les carreaux voyants, les coupes enfantines, les cols démesurément ouverts
[…] ».
DÉCAVÉ. MASHER. PSCHUTTEUX. RASTAQUOUÈRE. SNOB. PEDANT.
MARIE-CHANTAL. Décavés et mashers sont des hommes de faux
chic. On trouve ces appellations dans Modernités de Jean
Lorrain (1885) : « Corrects et mis à peindre, en costume gris fer, /
Tubés, rasés de près et la peau satinée / Deux par deux, stick en main, toute la matinée, / On les voit faire au Bois les cent pas du masher. / L’un doit à son coiffeur sa moustache d’or clair, / L’autre à son corsetier sa taille boudinée, Le troisième à
Guerlain sa peau veloutinée / Et chacun au mépris l’objet dont il est fier. / Vieux beaux, pourvus trop tard de conseils de familles, / Prétentieux chercheurs de beaux-pères rêvés, / De la
Concorde au Bois, ce sont les décavés. / Les décavés, dit-on, au fond ce sont des filles, / Filles sous leur fraîcheur de mâles trop lavés, / Comme les filles, las de n’être pas levés. » La définition commune du décavé est très différente. Elle le dépeint
comme une personne s’étant ruinée au jeu ou s’étant faite plumer par une femme de mauvaise compagnie. Le pschutteux (photographie) prétend être un élégant
sans en être un. Ce mot est usité au XIXe siècle. On lit dans Trop de chic de Gyp (1900) que « le « pschutteux » est à l’homme « chic » ce que la chicorée est
au café … ça y ressemble quand on n’y a pas goûté … ». On dit aussi : « les gens pschutt », « un homme pschutt » pour dire de faux chic, prétentieux. Sous le mot
de rastaquouère, on désigne au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe, un type de personnage généralement sud américain, affichant un luxe ostentatoire et de mauvais goût, prétendument
riche
mais souvent un simple escroc (photographie de la première page de Le Journal du 15 juin 1898 représentant un rastaquouère avec comme légende :
« Y brille rien, le rasta ! - Oui, mais pourvu qu'il éclaire ! »). Ils ont souvent un fort accent sud-américain. Là aussi, Albert Millaud (1844-1892)
occupe tout un chapitre à ce caractère dans Physiologies Parisiennes
datant de 1886 (photographie d'une illustration pleine page de ce livre intitulée « Le Rastaquouère à
Paris ») : « Encore un Américain, mais du midi. C'est le Marseillais du Nouveau
Monde. Il est exubérant, voyant,
clinquant, bruyant. Bien que le mot rastaquouère soit appliqué à Paris à tous les exotiques, le vrai, le seul rastaquouère est Brésilien, Chilien, Bolivien, Argentin et Vénézuélien. On trouve
en lui de l'Indien, du Caraïbe, du Mohican, de l'Espagnol, du Portugais. Sa figure a le ton du vieux bois, ses cheveux noirs sont luisants et parfumés, sa toilette est criarde et trop riche. Il
est constellé de bijoux. Il porte tant de diamants, que ceux-ci finissent par n'avoir plus de valeur. Ils deviennent des bouchons de carafe. Le rastaquouère les exhibe partout, à sa cravate, à
sa chemise, à son bras, à tous ses doigts, à sa boutonnière, à son gilet. Du plus loin que vous apercevez le rastaquouère, sa présence vous est signalée par un éclat insupportable et des
parfums idem. Diamant et musc. De plus près, il vous absorbe dans un flot de grimaces et un flux de paroles vertigineuses,
prononcées avec une sonorité de casserole. Le rastaquouère est généreux et fastueux. Il a une grosse gaieté et il aime le tapage. Le plaisir
est son but, sa vie, son rêve. Il y laisse toute sa vigueur et toutes ses plumes. C'est, en définitive, un bon garçon que l'on exploite plus qu'il n'exploite les autres. Le rastaquouère, à force
de faste et de magnificence, finit presque toujours dans la peau d'un décavé. ». Cependant, petit à petit l'Amérique devient à la mode, et au début du XXe siècle, de très nombreuses
tendances viennent de là, des amériques du sud co
mme et du nord.
Pendant le XIXe siècle, c'est la mode anglaise qui reste prépondérante en France et amène une quantité de nouvelles formes de vrais ou faux dandys. Le terme de snob
employé dès le XIXe siècle est emprunté à l’Anglais et suit le goût de ce siècle
pour la mode venant d’outre-Manche. C’est une sorte de pédant, lui aussi le résultat d’un aspect de certains petits-maîtres français qui croient que l’élégance ne consiste qu’à en
imposer ; et qu’être pédant est la condition sine qua none pour se distinguer de la masse, qui elle non plus, n’est pas toujours très agréable avec le petit-maître (voir les muscadins à
la Révolution ...). Un style snob célèbre est Marie-Chantal : un personnage de fiction inventé par Jacques Chazot (1928-1993). Dans Les Carnets de Marie-Chantal de 1956
(photographies de la page de couverture et d'une illustration : « Qu'on ne me dérange pas ! Je hâle. ») Sa description est tout à fait croustillante.
C’est l’hebdomadaire Elle qui publie pour la première fois les histoires de cette snob et rend célèbre son auteur le danseur Jacques Chazot qui est aussi à l’origine du film
tourné
par Claude Chabrol : Marie-Chantal contre docteur Kha (1965). Dans
les années soixante, on appelle alors comme cela toute jeune française snob, d’une
« férocité » et d’une « inconscience » caractéristique. Mais franchement, j'ai vu vraiment beaucoup plus de férocité et d'inconscience dans le monde contemporain de la fin
du XXe siècle et du début du XXIe ou dans certains moments de l'histoire que dans ce livre.
BOURGEOIS. Parmi les faux élégants il y a le bourgeois qui cherche à
devenir aristocrate ou à l'imiter. Sa définition change avec le temps. Dans la bouche de la noblesse, et donc surtout avant la Révolution, il a une connotation vulgaire. Par la suite, le ‘bas
peuple’ emploie ce terme pour désigner le haut du pavé, ‘le gratin’, la haute bourgeoisie aussi bien que la petite. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, de nombreuses comédies mettent en scène des bourgeois qui cherchent à s’anoblir en épousant une comtesse ou un chevalier
comme dans la comédie Le Chevalier à la mode (1687) de Dancourt (1661-1725), auteur qui compose sur les faux élégants, ainsi que sur la mode, les coquettes ... Dans Les Bourgeoises
à la mode (1692) il montre que la mode étant un des divertissements favoris
des nobles, les bourgeois ambitieux essaient de la suivre, en imitant leurs habits, manières, langage… Dans Les Bourgeoises de qualité (1700) il met en scène des bourgeoises ayant des velléités aristocratiques. Elles veulent
épouser un noble ou acheter un titre, sont coquettes dans leurs accoutrements et leurs manières, jouent de l'argent (mais perdent), donnent à souper (« nous aurons les violons, de la
musique, un petit concert, le bal, et une espèce d'opéra même ... »), essaient de mettre en scène la passion (« j'avais même dessein qu'il m'enlevât [...] Nous nous serions mariés en
cachette, incognito, sous seing-priv
é, pour éviter les manières bourgeoises. » Les Mots à la mode (photographie) est une « petite comédie »
d'Edme Boursault (1638-1701), représentée pour la première fois en 1694, où, comme l’écrit l’auteur dans son ‘Epître’, sont dévoilées « dans leur jour toutes les extravagances de la Mode,
& toute l’impertinence des faux Nobles ». Il s’inspire d’un ouvrage publié, en 1692, s'intitulant Des Mots à la mode et des nouvelles façons de parler. Avec des observations sur
diverses manières d’agir & de s’exprimer. Et un Discours en vers sur les mêmes matières, par François de Callières (1645-1717) qui le fait suivre en 1693 : Du bon et
du mauvais usage dans les manières de s'exprimer, des façons de parler bourgeoises et en quoi elles sont différentes de celles de la Cour. Dans cette comédie, des femmes voulant
se départir de leurs « vestiges bourgeois » cherchent à paraître des dames de qualité en usant de mots nouveaux. Un des maris découvre les notes de son épouse et en les lisant se
croit ‘cocufié’. Il s’agit des dépenses des derniers habits, coiffures et parures de sa femme qui portent des noms prêtant à confusion. C’est un témoignage intéressant sur la mode à cette
époque, du paraître, des extravagances et surtout des situations cocasses dont elle peut être à l’origine. On s’y moque de fournisseurs comme « Monsieur Coquerico, Marchand de
Savonnettes » ou « d’un bon Marchand à grande porte cochère, où l’étoffe par aune est d’un écu plus chère ». Voici un extrait : « NANNETTE. Ce qui dans cet Écrit vous
paraît des injures sont des noms que l’on donne aux nouvelles parures. Une Robe de Chambre étalée amplement, par certain air d’Enfant qu’elle donne au visage, est nommée Innocente,
& c’est du bel usage. Ce Manteau de ma sœur si bien épanoui, en est un. Monsieur JOSSE. Cela est une Innocente ? BABET. Oui. Sont-ce là des Sujets pour vous mettre en colère ? NANNETTE. Voilà la Culebute, & là le
Mousquetaire. BABET. Un beau Nœud de brillants dont le Sein est saisi, s’appelle un Boute-en-train, ou bien un Tâtez-y. Et les habiles Gens en Étymologie, trouvent
que ces deux mots ont beaucoup d’énergie. NANNETTE. Une longue Cornette, ainsi qu’on nous en voit, d’une Dentelle fine, & d’environ un doigt, est une Jardinière : Et ces
Manches galantes laissant voir de beaux bras ont le nom d’Engageante
s. BABET. Ce qu’on nomme aujourd’hui Guêpes et Papillons, ce sont les Diamants du bout de
nos Poinçons ; qui remuant toujours, & jetant mille flammes, paraissent
voltiger dans les cheveux des Dames. NANNETTE. L’homme le plus grossier & l’esprit le plus lourd sait qu’un Laisse-tout-faire est un Tablier fort court : J’en porte un par
hasard qui sans aucune glose, exprime de soi-même ingénument la chose. BABET. La coiffure en arrière, & que l’on fait exprès pour laisser de l’oreille entrevoir les attraits, sentant la
jeune folle, & la Tête éventée, est ce que par le Monde on appelle Effrontée. NANNETTE. Enfin, la Gourgandine est un riche Corset entrouvert par devant à l’aide d’un
Lacet : Et comme il rend la taille & moins belle & moins fine, on a crû lui devoir le nom de Gourgandine. Vous avez pris l’alarme avec trop de chaleur. » La pièce la plus
célèbre sur ce sujet est sans aucun doute Le Bourgeois gentilhomme (1670) de Molière (1622-1673). Le bourgeois M. Jourdain, veut adopter les façons d’un noble grâce à son argent. Il commande un nouvel habit, apprend les manières des gens de qualité, les armes, la danse, la musique et la philosophie, autant de choses qui lui
paraissent indispensables à sa nouvelle condition de gentilhomme … Il s’ensuit une comédie-ballet truculente. Dans une autre pièce de Molière : George Dandin ou le Mari confondu
(1668), c’est un riche paysan qui en échange de sa fortune acquiert un titre de noblesse : « Monsieur de la Dandinière » … Ce ne sont que quelques exemples de textes d’époque sur
ce sujet parmi d’autres où le bourgeois est sévèrement égratigné comme dans ce passage de Des Mots à la mode et des nouvelles façons de parler. Avec des observations sur diverses manières
d’agir & de s’exprimer (1692) de François de Callières (1645-1717) : « L’Opéra & la Comédie, répondit la Dame, sont devenus des divertissements bourgeois, & on ne les voit presque plus à la Cour. Cela est vrai, reprit la
Marquise, & je me suis souvent étonnée comment on abandonne à la bourgeoisie des plaisirs qui ne devraient être destinés que pour les personnes de notre qualité. Je m’étonne encore,
ajouta-t-elle, comment on permet aux bourgeoises de s’habiller comme nous ; […] mais elles n’ont jamais les bons airs des femmes de la Cour, quelque soin qu’elles prennent de les
copier ; cela ne se sait point mettre, ce sont des airs gauches, de petites manières, & surtout des discours bourgeois, qui les font toujours connaître pour ce
qu’elles sont. »
ENDIMANCHÉ. COQ. Et puis il y a toute la série des endimanchés. Depuis sans doute que la messe du dimanche existe, l’endimanché se
présente dans sa plus belle tenue pour fêter le jour du repos dominical. L’expression désigne aussi tous les gens qui se mettent sur leur trente-et-un pour sortir dans les endroits de Paris les
plus chics comme les Boulevards ou les Champs-Élysées au XIXe siècle alors
qu’ils n’ont pas l’habitude d’être aussi bien habillés dans leur quotidien. Cette utilisation est très ancienne puisqu’on trouve déjà sa définition dans la première édition du
Dictionnaire de l’Académie française (1694) : « Endimancher, s'endimancher. v. n. p. Mettre ses habits de Dimanche.
Terme de raillerie qui se dit d'un Bourgeois, qui a mis ses beaux habits. Il s'est endimanché. ». Cette
même édition du Dictionnaire donne la définition du coq : « On appelle figurément,
Coq, Celui qui est le principal en quelque endroit, qui s'y fait le plus paraître, soit par son crédit, ou par ses
richesses. Il est le coq. Il fait le coq dans cette assemblée, parmi ces gens-là. Il est le coq de son village. C'est un coq de
Paroisse. » Le Trésor de la langue française de
1606 publie une définition semblable. La photographie présente un « coq du village » sur une
petite chromolithographie publicitaire, de la fin du XIXe siècle. La dernière image de cet article est une autre
petite chromolithographie avec un même genre de coq se promenant sur les boulevards à la mode : devant l'Opéra entre le boulevard des Capucines et celui des Italiens. Sa compagne a une cane
dans son panier, sans doute pour indiquer qu'il s'agit de provinciaux et aussi pour établir un parallèle humoristique avec les cocottes parisiennes.
Pour finir ce très long article, voici un passage amusant de La Pretieuse ou
le Mystère de la Ruelle (1656-8) de l'abbé Michel de Pure (1634-1680) où une Précieuse décrit (dans son langage que j'ai laissé tel quel en changeant cependant l'orthographe) la façon de
se comporter d'un provincial qui cherche à être courtois : « Le ciel, reprit Melanire, me disgracia dernièrement jusqu'au point de me faire tomber en partage dans une Conversation sérieuse
un grand Provincial du pays des Montagnes. Ses premières civilités et ses premiers compliments furent faits avec les mains et les pieds, et par des baise-mains et des révérences. Le respect et
la civilité tenaient son corps composé, ou plutôt comme fiché sur un piédestal, dont le mouvement n'allait que par ressort. Encore l'invention en était mal exécutée, car il n'agissait qu'à
contre-temps, et il y avait une si étroite alliance entre ses propos et ses respects, que quand même il aurait dit des injures, et fait des serments de colère, il n'aurait pas laissé de les
accompagner de mille baisemains, et d'autant de révérences. Pour moi je suais à force de les lui rendre, encore que j'en laissasse couler la moitié, dont je ne voulais faire ni mise [dépense]
ni recette. A la fin cette machine se fatigua, et commua la peine de ses pas en celle de ses paroles. Il me dit bien civilement, Mademoiselle, croyant d'honorer mes appas par cette civile
méprise, et croyant que j'étais personne à me plaire à ces vieilles ruses de la complaisance de nos pères, il me réitéra plusieurs fois cet agréable terme, et tâcha de me faire comprendre la
force de ce mot, et la finesse de son motif. Je fus, à dire vrai, assez malicieuse pour le comprendre, et néanmoins pour l'affecter de l'ignorer ; alors ce pauvre Noble à la rose voulut faire
justice à ces motifs ignorés et malheureux, et qui étaient autant obligeants qu'inconnus. Pour les mettre au jour et les récompenser du prix de leur secret mérite, il me dit encore une fois,
Mademoiselle, puis ayant écouler quelque temps, et repris haleine, il me fit deux révérences, trois baise-mains, ajusta son collet et sa perruque, retroussa même ses bottes, et puis acheva son
compliment : Votre condition, dit-il, vous fait Madame, et votre jeunesse me force à vous traiter de Mademoiselle ; je ne suis pas moins obligé, poursuivit-il de croire mes yeux que mes
oreilles. Et je puis bien déférer autant à ce que je vois, qu'à ce que j'ai pu entendre. Le poids de ses mots, ses longues pauses, et la paresse de sa langue qui faisait si peu de chemin en
tant de temps, me donnaient un chagrin qui me perçait l'âme ; et connaissant bien qu'il n'irait pas loin sur la galanterie sans faire quelque mauvais pas, et sans faire quelque périlleux
effort, je voulus le mettre en beau chemin et prendre soin de la carrière. Je le mis sur les nouvelles de son pays et sa Province. Aussitôt il reprit ses sens, et comme revenu de sa pâmoison au
nom de sa patrie et des lieux de sa naissance, il se mit à me conter tout ce qui s'était fait depuis de longues années
dans son village, dans son voisinage, par le Gouverneur ... »