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Revue de presse, grévophiles et gréviculteurs

Publié le 27 janvier 2009 par H16

Parfois, l'actualité ressemble à s'y méprendre aux morceaux musicaux de Christophe Maé : des couinements insupportables mal couverts par une ritournelle répétitive et mal troussée ressassée sur les ondes dans l'espoir de convaincre l'auditeur. Cependant, à la différence des faits d'actualité, on peut accorder à l'artiste pop de ne nous vriller les oreilles que si on le tolère : la puissance du doigt magique sur le bouton stop de la radio ou de la télé permet d'éviter l'accident vasculaire cérébral. Pour le reste, en revanche, il faut s'adapter, vivre avec...

Pendant qu'aux USA, Obama commence à perdre rapidement son vernis sympathique et se décide, à peine arrivé au poste, à distribuer des taloches, la France, de son côté, reste plus que jamais lancée à toute vapeur vers l'absence totale de remise en question de son mode de fonctionnement.
Et pour bien faire comprendre au gouvernement, aux Européens et au reste du monde que ça ne rigole pas question immobilisme, que l'exception française, c'est du béton armé, la Fraônce, une et indivisible, décide d'une action d'éclat, innovante, fraîche, joyeuse, Citoyenne & Festive™, quelque chose qui n'a jamais été tenté auparavant, qui montre qu'elle en a, la Fraônce : une bonne grève des familles !

Revue de presse, grévophiles et gréviculteurs

Citoyenne & Festive qu'on vous dit !
L'idée de base est la suivante : en faisant en sorte que tout les fonctionnaires arrêtent de travailler, et surtout, en mettant tout en œuvre pour que ceux qui veulent tout de même continuer ne le puissent pas, on va prouver au reste du monde et au gouvernement que, les bras croisés, le pays avance !
En effet, tout ceci part des constatations suivantes : les grèves sont réputées, depuis les dernières années surtout, pour renforcer le dialogue social, pour améliorer notoirement les conditions de travail tant des usagés que des grévistes et pour relancer la machine économique. De même que chanter la Marseillaise dans l'hémicycle donne un coup de fouet notable à la conscience citoyenne et accroit durablement la crédibilité des députés, la grève est, en quelque sorte, un baromètre fiable de la bonne utilisation de nos impôts.
Alors cette fois-ci, les Gentils Agitateurs ont organisé une merguez-party géante dans tout le pays. Et tout de suite, ce que notre presse a de plus raffiné est sur les rangs : la grève sera très suivie. Il le faut. Et il y a même un sondage finement réalisé qui montre que tout le monde en veut ; le titre de l'article met en appétit : "69% des Français soutiennent la grève de jeudi prochain". En fait, le sondage dit que 46% des personnes soutiennent, et 23% ont de la sympathie. Et comme chacun sait qu'avoir de la sympathie, c'est soutenir, ça fait donc 69%, soit, comme le dit l'article, près de 70% des Français. Allez, pas de chichis : tout ceci est, une fois le journalilangue décodé, limpide ! Trois Français sur quatre vont, jeudi, se croiser les bras, c'est maintenant acquis. Et trois sur quatre, c'est une majorité écrasante, pour ne pas dire "tous".
Soyons clairs : tous les Français veulent cette grève. Sauf, bien sûr, un plombier dans le Cantal et un patron de PME dans le Doubs, capitaliste en haut-de-forme, qui voulait rencontrer un client ce jour là. Mais baste ! La Révolution Syndicale ne s'embarrassera pas de deux individus aigris par les bassesses matérielles !
A présent que le principe d'un croisement de bras bruyant et revendicatif est posé, il nous faut expliquer ce qu'on va demander avec cornes de brumes, tambours battants, fumigènes, pétards et chants scandés dans les rythmes chaloupés de marches militantes.
Eh bien pour une fois, c'est assez simple. Comme, on l'a bien vu, la grève concerne tout le monde, on va donc réclamer tout ce qu'on peut et même un peu plus. Et on trouve la plate-forme de revendication assez facilement en ligne. La plate-forme, c'est, comme sur les quais SNCF bondés devant lesquels aucun train ne passe plus jamais à l'heure, la zone où viennent s'affaler moribonds les rêves humides et mal bigornés de nos artisans-gréviculteurs.
Et cette fois-ci, elle est gratinée :

  • Donner la priorité au maintien des emplois dans un contexte de crise économique : l'idée est ici qu'il ne faut pas licencier, pas recourir au chômage partiel, pas diminuer son activité, pas recourir aux intérimaires, pas utiliser de CDD et utiliser les subventions, petits chèques et primes de l'état. Et ça tombe bien : en ces temps de crise, s'il y a bien une chose dont on dispose facilement, c'est de la thune : il va en tomber à grosses liasses.
  • Améliorer le pouvoir d’achat, réduire les inégalités : en sortant tous dans la rue, toussenssembleu toussenssembleu toussenssembleu , comme on va produire de la richesse et de la conscience citoyenne, on va améliorer le pouvoir d'achat. C'est évident. Et en faisant grève, en empêchant tout le monde de travailler, on va aussi réduire les inégalités. Un grand coup. C'est limpide. Il suffisait d'y penser.
  • Orienter la relance économique vers l’emploi et le pouvoir d’achat : car, chacun le sait, c'est la relance keynésienne qui va nous sortir de l'ornière. Pensez-donc ! Cela fait 30 ans qu'on la pratique plus ou moins avec les résultats que l'on sait. C'est donc le moment de passer à la vitesse supérieure et d'en mettre un coup, messieurs ! Il va falloir taper un peu dans le gros bas de laine de l'Etat Français ! Le trésor de guerre amassé depuis toutes ces années, il va falloir le dépenser, maintenant ! N'est-ce pas ? Tous les zillions d'euros dans le Trésor Public, on va enfin les utiliser pour relancer le pouvoir d'achat. Voilà ! C'est dit !
  • Préserver et améliorer les garanties collectives : on ne touche à rien ! Il faut, absolument, conserver tout en l'état. On avait pensé à nommer l'opération Grève 2009 en Momification Pour Tous, mais le département marketing en a décidé autrement. Bref.
  • Réglementer la sphère financière internationale : eh oui, il faut en finir avec les paradis fiscaux. C'est facile : il suffit d'envahir la Suisse, Monaco, Andorre et les îles Caïmans. Envoyez le Charles-De-Gaulle !


Mais le plus beau, dans tout ça, c'est l'unanimité : tous les syndicats payés par l'Etat, tous les députés et les sénateurs de gauche payés par l'Etat, tous les salariés protégés du public payés par l'Etat, tous les chômeurs payés par l'Etat, tous les retraités payés par l'Etat, tous, vous dis-je, seront dans la rue ! Ca va donner ! ... Enfin, c'est l'Etat qui va donner. Encore, encore et encore.
La grève n'a pas eu lieu, mais on sait déjà que la mobilisation sera grande : il y aura 100 millions de Parisiens dans les rues et 75 millions de Français au moins qui vont prendre des pancartes et des mégaphones pour réclamer des sous, des moyens et une action vigoureuse pour agir contre l'inaction. Et si ce n'est pas le cas, Jean-Marc Ayrault l'a bien dit, on va arrêter la Chorale Rose de l'Assemblée et on sera tout en colère ! On va tout déchirer au moins une feuille de papier en deux ou trois devant un micro ! On va trépigner sur place ! Gniiii !

Revue de presse, grévophiles et gréviculteurs

Remember kids : each time you go on a stupid strike, God kills a kitten.
Merveilleux pays : alors que la population n'en peut plus des impôts, des taxes et des lois stupides qu'on nous pond tous les jours à un rythme d'enfer, alors qu'une crise économique sans précédent s'annonce et promet de mettre en difficultés toutes les couches de la société française, alors qu'il serait plus que temps d'écarquiller les yeux pour tenter un constat lucide sur les raisons de la débâcle et l'analyse des politiques catastrophiques menées ces trente dernières années, non, décidément, le pays, dans un sursaut d'alcoolique réclamant sa dose avec acharnement, s'apprête à noyer son chagrin dans encore plus d'état, encore plus de taxes, encore plus de lois.
Ce pays est foutu.


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