Critique parue dans Le Magazine des Livres, n° 13, décembre 2008/janvier 2009
L’apnée – ce moment où la respiration est suspendue sous le coup de l’effort, de la stupeur, du trop-plein d’émotions – : à lui seul, le titre dit combien l’hommage, et les souvenirs qui y sont attachés, induisent une forme d’ahurissement douloureux. Aussi, pour peu qu’on parvienne à entrer dans cette langue charnue, fulgurante, initiatique, on rencontrera ici bien des fantômes. On y rencontrera d’ailleurs Ehni lui-même, revêtu des habits du mort, parce que « je trouve que l’enfouissement de ma personne dans les habits de Christian est une bonne façon de porter sa disparition. » Ces amitiés enfouies n’ont pas fui, les êtres partis ne l’ont pas quitté : il convient d’« arpenter les champs où rôdent les formes éthérées », car « si nous ne portons pas les morts, ils n’arriveront jamais. » Cette évocation fournit à René Ehni l’occasion d’un retour presque inclassable sur lui-même, et sur une existence qui avance dans le compagnonnage constant de la mort et des mots.