Aux lecteurs qui ont suivi l'histoire de Nojoud sur ce blog pendant tout l'été (son mariage forcé et son divorce à dix ans, sa rentrée des classes ...), j'ai le plaisir d'annoncer la sortie de son livre, « Moi, Nojoud, dix ans, divorcée » (éditions Michel Lafon), dont je viens d'achever l'écriture.
Si j'ai voulu lui prêter ma plume pour qu'elle puisse nous raconter son histoire, c'est parce que derrière le cauchemar subi lors de son mariage se cache un message d'espoir. Oui, Nojoud a eu la force de se rebeller contre les traditions en vigueur, après avoir été forcée d'épouser un homme de 30 ans, après avoir été abusé sexuellement et battu par lui.
Elle est la première petite yéménite à avoir eu l'audace de dire « non » (dans un pays où plus de la moitié des filles sont mariées avant l'âge de 18 ans). En nous narrant ses mésaventures, elle brise le silence, elle brise un tabou. De quoi encourager d'autres petites filles, au Yémen, en Arabie saoudite, en Egypte, en Afghanistan, à, peut-être, elles aussi, faire le pas...
Bien évidemment, il est difficile pour une si petite fille de raconter une expérience si douloureuse. La réalisation de ce livre s'est donc faite en fonction de ses propres désirs, de ses propres envies. Pour rédiger cet ouvrage, il m'a fallu trois séjours au Yémen, pendant lesquels j'ai tenté de m'adapter à son quotidien et à ses envies de petite fille. Nous avons beaucoup parlé, oui, mais bien souvent, nous nous sommes contentées de faire des dessins, de jouer à la balançoire, d'aller manger des pizzas...
Parfois, Nojoud en avait assez de mes questions. Parfois, c'est elle qui avait envie de raconter une annecdote, d'évoquer un rêve, une envie particulière. Tout d'un coup, un souvenir rejaillissait et nous repartions dans de longues conversations. Pour me plonger dans son univers de petite fille, j'ai relu « Le petit prince » pour la première fois, après plus de vingt ans. Au Tribunal, où elle eut le courage de se réfugier pour divorcer, en avril 2008, j'ai tenté de me mettre à sa hauteur. Pendant une heure, je me suis accroupie dans la cour, pour percevoir, à son niveau, le bruit, la foule, le va-et-vient incessant ...
Ensemble, nous sommes retournées voir son ancienne école, son oncle, sa famille, sa « tante » (la seconde épouse de son père, celle qui l'encouragea à aller au Tribunal). Un jour, nous sommes mêmes reparties dans son village d'origine. En route, nous avons chanté des chansons de Haïfa, la star de musique pop libanaise adulée par les jeunes Yéménites. Une fois arrivées à destination, après de longues heures de route, nous avons trempé nos pieds dans l'eau fraîche de Khardji. Et puis, nous avons visité la maison de la famille du mari...
Si Nojoud a gagné, c'est, il faut le rappeler, grâce au soutien exemplaire des juges bienveillants qui l'ont épaulé dès le début. C'est surtout grâce au combat et à la persévérance de son avocate Shada Nasser, la « Shirin Ebadi », du Yémen, une femme exemplaire, qui a accepté de la défendre gratuitement. Et jusqu'au bout.
Depuis son divorce, en avril 2008, deux autres petites filles, Arwa et Reem ont entamé des procédures au Yémen. En Arabie saoudite, une demande de divorce a même été déposée pour une petite fille de 8 ans mariée à un quinquagénaire. Pour l'heure, le tribunal a tranché en faveur du père et du mari ... Le combat des femmes pour plus de droits est encore long.... Mais l'histoire a eu le mérite de défrayer la chronique et de faire parler de ce sujet encore sensible.
Les droits d'auteur du livre, qui seront reversés sur un compte bancaire ouvert au nom de Nojoud, devraient l'aider à financer ses études pour devenir avocate, selon son souhait, et peut-être se faire construire un toit protecteur.
Pour l'heure, faute de foyer d'accueil, Nojoud est retourné vivre chez ses parents. Espérons qu'ils pourront tirer des leçons de cette expérience, et qui l'encourageront à aller régulièrement à l'école. Mais la petite reste malheureusement extrêmement vulnérable. Sous pression parentale, elle a été forcée de prendre ses distances avec Shada, une femme pourtant remarquable. C'est bien dommage.
Souvent, elle manque les cours. Aux dernières nouvelles, j'ai appris que son papa négociait de croustillantes sommes avec les journalistes étrangers de passage pour accorder une interview de sa fille. Hier, vendue à un homme. Aujourd'hui, vendue aux média. Espérons qu'elle ait, à nouveau, le courage de tenir tête. Espérons que les flashs des projecteurs lui laissent un peu de répit.
Car son rêve, avant tout, c'est de « redevenir une petite fille comme les autres », comme elle dit. On lui souhaite bonne chance.