Trajet : De San Juan de Ortega à Burgos
Un train de la RENFE nous amène de l’Espagne à la France, à Hendaye, puis un autre nous amènera à Paris. Cela fait drôle d’avancer sans efforts, sans que mes jambes aient à souffrir. Aujourd’hui, j’ai marché la dernière étape de notre chemin, celle menant à Burgos. Plaine sur le haut d’une montagne, champs, cercle de pierres construit par les pèlerins, coquilles. À Burgos, après avoir traversé pendant plusieurs heures la moitié de la ville un peu plus moderne, je me retrouve devant la cathédrale grandiose de la ville, où, comme point final à mon pèlerinage, je décide de donner de la monnaie à une femme pauvre, assise sur le mur de la cathédrale. Je ne sais pas si elle est vraiment démunie, mais peu importe, le geste compte. Je trouve Méli de l’autre côté de l’énorme édifice religieux. Nous nous racontons nos rencontres, expériences et fous rire des deux derniers jours. Nous allons chercher le sceau d’arriver à Burgos pour le faire étamper dans notre Credencial, acte symbolique, puis nous marchons jusqu’à la gare pour prendre, à 4h44, le train dans lequel nous nous trouvons en ce moment.
C’est étrange de quitter ce pays que j’ai découvert à pied, cette culture que j’ai vécue plus que n’importe quel voyage touristique aurait pu me le permettre. Dans le train, on devine une bonne dizaine de pèlerins retournant chez eux. Coquilles et bâtons. Qu’est-ce que ce chemin m’aura apporté? Qu’ai-je retenu de ce périple européen?
Quelques changements, petits et grands, se sont opérés en moi, je le crois. J’ai redéfini mon statut de solitaire. Je ne vois plus le concept de solitude comme avant. Marcher seul, pendant près de 10 jours, devait donner ce résultat, et c’est ce qui est arrivé. Je ne crois plus que si c’était nécessaire, je pourrais vivre sans relation, seul chez moi. Avant le chemin, je ne croyais pas à l’énoncé qui dit que l’homme est un être de relation. J’y crois maintenant, et je sais que je ne pourrais pas exister sans amitiés, sans amour, sans liens avec autrui, tout comme je ne pourrais pas le faire sans solitude. Solitude et relation sont à présent complémentaires à mes yeux.
Je pense être un peu moins timide, dans le sens où je suis plus ouvert à aller parler aux gens. Durant le voyage, encore plus dans les deux derniers jours, j’ai du parler en anglais, français et même espagnol pour demander de l’information ou parler avec d’autres pèlerins. J’ai rencontré des gens de toutes langues et de toutes cultures. J’ai, pour la première fois, dû me forcer à aller voir les gens pour leur parler. Maintenant, j’ai moins « peur ». Pourtant, je sais qu’il me reste encore des pas à faire pour améliorer cet aspect de ma personnalité, et j’espère les faire dans l’avenir, j’espère que ce voyage aura servi de lancée.
J’ai aussi découvert en moi une force de volonté extraordinaire. J’ai fait mon chemin jusqu’au bout, c’est là un fait indéniable. J’ai réussi, malgré certains jours de découragement, certains jours où j’aurais voulu suivre Méli en bus. Malgré les hauts et les bas – car c’est bien ce que fut le chemin : une dénivellation non constante de hauts et de bas – je suis allé au bout de mon défi. Et ce défi, c’était un défi à aspect physique, le pire défi que je pouvais me donner, car contraire à toutes mes forces. Et j’ai réussi. Tout ça m’aura certainement apporté une plus grande confiance en moi. J’y crois en tout cas, et cela se vérifiera dans les mois à venir. Je suis fier.
Et puis j’ai appris à vivre de petits moments magiques, d’instants de joie. Le chemin n’est pas une extase. Il est difficile tant physiquement que moralement. Il faut savoir s’accrocher aux instants de bonheurs qu’il nous apporte pour avoir la volonté d’aller jusqu’au bout : un paysage divin, un repas entre pèlerin, une rencontre, un échange, un symbole, un bonjour. Plus concrètement encore : aller à l’épicerie avec Méli ou lui faire découvrir ce que j’ai acheté seul, arriver à notre ville destination, porter fièrement la coquille, parler français avec un pèlerin, découvrir notre refuge de la journée, trouver un livre français dans une commode. À l’avenir, je saurai que moments difficiles ou pas, j’ai une ficelle de petits bonheurs à laquelle je peux m’accrocher.
J’ai grandi tout simplement. Je me demandais qu’est-ce que le chemin change à la vie d’une personne, pourquoi tant de gens disent avancer autrement dans la vie après avoir marcher ce chemin. Maintenant je sais. Le chemin nous oblige à nous rapprocher de nous-mêmes et de cette façon il réussi à changer ce que nous percevons de nous et du monde. Certains le font pour trouver des réponses à des questions. Moi je l’ai fait sans question, en laissant le chemin faire son travail sur moi. Le Camino de Santiago est bénéfique que vous cherchiez quelque chose ou pas, car immanquablement, il vous apportera beaucoup. J’ai 18 ans, je suis jeune et lorsque j’ai décidé de faire le chemin, j’étais heureux, je n’avais pas réellement de gros problèmes. Le contexte est totalement différent de celui d’un homme ou d’une femme qui déciderais de marcher le chemin pour trouver un nouveau sens à sa vie. Pourtant, il m’a beaucoup donné.
Je ne reviendrai pas au Canada saint. Je ne serai pas non plus plus sage ou plus intelligent. Je serai simplement davantage moi et j’aurai grandi. Enfin, c’est ce que je perçois aujourd’hui. J’écris le jour même de mon arrivé au point final sur les résultats de mon voyage. Peut-être ais-je tords, peut-être y-a-t-il des choses qui ne sont que façades, des choses que je ne vois pas ou des changements mal évalués. J’en saurai davantage plus tard, avec le recul. Alors je pourrai réellement définir ce qu’est devenu Maxime suite à ce pèlerinage.
On m’a souvent demandé si je pensais continuer le chemin pour aller jusqu’à Santiago. Je ne le sais pas, seul le temps me le dira. Ce que je sais, c’est que si je le fais, ce sera que j’ai des réponses à trouver, que je voudrai me retrouver moi, le vrai moi, si jamais je me perds. Et si je le continue, ce sera à l’âge adulte.
Je suis content et fier d’avoir fait ce chemin. J’en garderai à jamais un souvenir impérissable. Dans les prochains jours, nous allons découvrir Paris. Ce sera pour moi des jours de repos, tant mentaux que physiques, pour laisser retomber la poussière qui a été déplacée sur le chemin. Puis nous retournerons au Canada. J’ai hâte de retrouver tout le monde et de raconter le voyage. Les derniers instants à Paris je les passerai avec Méli, et je compte bien les rendre le plus merveilleux possible, afin que ces quelques jours puissent rester pour elle comme d’excellent souvenir de notre voyage, à l’instar de tous les mauvais surement apportés par son genou.
Direction Paris. Dodo dans le TGV nous y menant. D’ici demain je repose mon stylo.
Avec du recul
Il est encore trop tôt pour dire si les changements que j’ai notés dans ce cahier ce jour là sont réels et tangibles. Mais je vois une différence mineure dans mon attitude, il me semble que je
suis plus calme et que le degré d’importance de certaines choses ont changé. Je vois autrement.
En photos
Dans l'ordre de présentation :
(1) Le matin, sur le chemin.
(2) Une fontaine d'eau potable pour les pèlerins, probablement dans le village d'Atapuerca.
(3) Un champs de tournesols assez impressionnant.
(4) Un cercle de pierres construit par chaque pèlerin passant sur la plaine, située en haut de la montagne à monter dans cette étape.
(5) Une photo de moi avec à l'arrière une pancarte prouvant mon arrivée à Burgos. Je fais une face de drogué, mais j'étais fatigué et j'avais le soleil dans la figure.
(6) La cathédrale de Burgos, étonnant monument religieux.
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