Magazine Culture
Faut-il être connu pour prétendre au statut de légende ? Epineuse question à laquelle il serait présomptueux de vouloir répondre aussi allons-nous nous empresser de le faire en jetant dans la marre un pavé rock appelé The Head Shop. Ces allumés sont responsables d’un unique album paru en catimini sur le prestigieux label Epic, méga connu, lui. Nous étions en 1969 et ce brûlot à peine enregistré allait finir comme tant d’autres dans la poussière oublieuse des bacs à solde. Impardonnable erreur pour ces légions de prétendus fans de rock qui se pressent dans les temples de la consommation béate pour acquérir à vil prix compilations et autres best of qui ne rendent jamais justice à ce genre de livraison. Nous mépriserons donc ces fâcheux dont les oreilles glapissantes ne seront jamais saisies par les toutes premières secondes de cet opus magnifique, fuzz cisaillée dans un chaos sonique précédant un cri exubérant suggérant lui même une torsion involontaire donc rock’n’roll des cordes vocales du chanteur. Aucun répit, aucune forme même de hasard ne viendrait troubler la suite des événements. Nos illustres inconnus viennent d’entrer en force dans ce panthéon éternel avec le seul coup de boutoir de leurs guitares incandescentes. Et quelles guitares ! Le statut psychédélique de l’œuvre ne vient à aucun moment les travestir, oh, il y a quelques passages baroques, fous, comme Listen With The Third Ear, émaillé de cordes psychiatriques et de flûtes libidineuses ou encore Opera In The Year 4000, tempête électronique en vase clôt, mais ils ne constituent pas une verrue sur le visage du rock. Car le reste de l’album vaut largement les quelques misérables billets que vous aurez choisi de poser sur le comptoir, croyez moi mes kids : écoutez donc Infinity à la rythmique boogie endiablée, comme si Satan en plus d’ajouter à son propre paradis tout un cortèges de joyeuses débauches venait de découvrir les maléfiques bienfaits du LSD. La production parfaite donne au son une profondeur majestueuse, furieuse. I Feel Love Comin’ On est une longue ballade cosmique où la fuzz tisse un dialogue permanent avec le chanteur, accompagné de chœurs, jusqu’à l’assourdissante extase. Un solo perpétuel, le rêve, le pied, incroyable sensation de tournoyer dans une spirale sonore, sans mélodie, sans idée de plus que celle de faire bander nos oreilles ce qui représente en soi un programme des plus réjouissants. Puis, il y a ces deux petites bombes de reprises que sont Sunny de Bobby Hebb et Revolution des Beatles. Complètement transcendées, gorgées d’électricité rugissante, elles assaillent l’auditeur croyant à une énième relecture poussive et mineure, mais il n’en est rien. Elles sont un nirvana pour tout amateur de rock normalement constitué. Malgré tout cet indécent déballage de décibels, le Magasin Tête (nom plus vicieusement malin que la sinistre Radio Tête déjà évoquée dans cette tribune), ne connut pas la gloire qu’il aurait amplement mérité si les exégètes du rock n’étaient pas tous membres du Rotary Club, pour certains, infâmes bobos parisiens faussement cradingues et grands bouffeurs de hype pour les autres. J’urine sur leurs visages avant d’aller déféquer sur leurs futures tombes, toutes fesses dehors. Ils n’écouteront donc pas The Head Shop et ses trésors de l’esprit, vrillé par toutes les substances répertoriées dans le Guide Prosélyte des Apprentis Pharmaciens et Autres Apothicaires de la Grande Partouse Colorielle du Cerveau Humain. Ceci est leur épitaphe.
La semaine prochaine : KAK