Adel Imam est cet acteur comique qui, depuis bientôt un demi-siècle, triomphe sur les écrans arabes. Et dans cette région où l’intérêt pour la politique n’est pas un luxe mais, dans certains cas, une question de survie, il représente, selon ses propres termes (article en arabe), un « parti politique indépendant ».
Pas toujours si indépendant que cela si l’on se rappelle ses déclarations lors du mariage du fils de Hosni Moubarak (voir précédent billet), mais incontestablement très populaire. Avec son humour canaille, sa gouaille de fort en gueule, Adel Imam illustre parfaitement une sorte d’archétype de l’« homme arabe moderne », à la fois viscéralement nationaliste et très critique vis-à-vis des pratiques religieuses excessives (comme dans son dernier film, Hassan et Morcos : voir cet autre billet).
Il se trouve qu’aux premiers jours des bombardements, alors qu’on ne mesurait pas encore sans doute toutes les horreurs à venir, Adel Imam a confié aux médias son point de vue sur les événements, en s’en prenant assez vivement aux manifestations de soutien dans le monde arabe à la population de Gaza, et plus encore au Hamas, coupable, par ses provocations, d’avoir déclanché la violence israélienne.
En s’exprimant ainsi, Adel Imam ne faisait qu’ajouter sa voix à toutes celles qui s’exprimaient dans les médias financés par le pouvoir saoudien notamment (la chaîne Al-Arabiyya, le quotidien Al-Sharq al-awsat par exemple, le quotidien en ligne Elaph, etc.), ces voix que les médias européens appellent les « Arabes modérés ». Des voix qui se sont visiblement abstenues de mettre trop d’obstacles sur la route d’un Etat israélien en pensant qu’il leur rendait un fier service en écrasant sous les bombes le nationalisme religieux du parti Hamas.
Mais la durée des bombardements sur Gaza, leur violence, le nombre des victimes, et d’autres facteurs sans doute (les images d’Al-Jazeera…), ont rendu totalement insupportables, et c’est peu dire, les déclarations du comique égyptien. Partout dans le monde arabe, les artistes et les intellectuels dans les journaux, les fans déçus par leur idole sur les sites internet, ont fait part de leur indignation. En Algérie, un groupuscule, proche d’Al-Qaïda paraît-il, a même prononcé une fatwa (article en arabe) rendant licite l’assassinat de la vedette égyptienne.
Celle-ci a profité de cette occasion pour revenir, tant bien que mal, sur ses propos et expliquer, tantôt que le Hamas était un mouvement de résistance légitime mais qu’il n’aurait pas dû se lancer dans une confrontation perdue d’avance, tantôt que ses critiques visaient en fait les Frères musulmans en Egypte et non pas les résistants palestiniens de Gaza (alors que les deux formations politiques sont pourtant fort proches idéologiquement).
Dans le même temps, le très officiel Syndicat des artistes a essayé de faire vibrer la fibre patriotique en évoquant les attaques de personnalités syriennes contre l’immense vedette nationale… Mais ce contre-feu n’a pas suffi et même dans la presse cairote, on n’a plus peur de critiquer ouvertement le zaïm, semble-t-il.
L’homme qui a eu le courage de rompre le siège de Beyrouth (par les armées israéliennes) en 1982 et qui a chassé quelques années plus tard l’ambassadeur israélien venu assister à une de ses représentations au Caire, le réalisateur de comédies« engagées » telles que Al-sifâra fîl-‘imâra (article en anglais) où l’on voit un simple citoyen découvrir la réalité de la politique israélienne, celui qui a incarné pour l’opinion populaire un certaine conception de l’arabité n’est plus aujourd’hui défendu que par les éditorialistes de la presse du Golfe (et ceux de France-Culture, Caroline Fourest en l’occurrence !)
A l’image d’un certain nombre de figures publiques de sa génération, Adel Imam - sans doute vaguement fidèle à ses idéaux de jeunesse mais de plus en plus « rangé des voitures » - a perdu le lien qui l’attachait à son public qui, islamique/islamiste ou non, se sent solidaire d’innocents sous les bombes.
On se demande aujourd’hui dans les médias arabes si le zaïm paiera ou non le prix de cette « trahison ». La réponse ne concerne pas que le sort d’une vedette vieillissante mais, en réalité, elle pose la question d’une cassure, irrémédiable, avec l’histoire des dernières décennies de l’arabisme.