Quand Tezuka change de cap...
Surnommé, et ce très certainement à juste titre, « Le Dieu du manga » (« Manga no kamisama »), Ozamu Tezuka est sans conteste le plus grand mangaka qu’a connu le XXe siècle. D’une part de par sa production, tout bonnement pharaonique : plus de 150 000 planches dessinées, plus de 500 albums vendus à plus de 100 millions d’exemplaires, et un nombre considérable de séries et films d’animation…et tout cela en à peine soixante et une années d’existence. De l’autre, parce qu’il est à l’origine de véritables classiques du manga, indémodables, incontournables, qui font désormais parti à part entière de la culture du 9e art : Astroboy, Phénix, Blackjack, Princess Saphir, L’histoire des 3 Adolf … et la liste est encore longue. Tezuka est un mythe, un géant, un monstre sacré de la bande dessinée, dont l’œuvre continue vingt ans après sa disparition à être représentée de par le monde. En 1982, il participe pour la première fois au festival international de la BD d’Angoulême dans une indifférence quasi générale ; en 2009, son œuvre est, elle, toujours bien présente. « Le Château de l’Aurore », sélectionné dans la sélection Patrimoine, est une nouvelle preuve que Tezuka, vingt ans après sa disparition, demeure un auteur incontournable.
© by TEZUKA Osamu /
1594, époque Momoyama. Le Japon est gouverné par le seigneur Hideyoshi Toyotomi, mais la rivalité avec Ieyasu Tokugawa est croissante, déstabilisant encore plus l’équilibre du pouvoir en place. Désireux d’asseoir son pouvoir tout en couvrant ses arrières, il ordonne au seigneur Matsunoki de construire sur ses terres le plus grand et le plus beau des châteaux que la pays n’a jamais connu. Malgré l’opposition croissante des habitants de la région, les travaux commencent, et les premiers accidents suspects ne tardent pas à se produire, causant la mort de nombreux ouvriers. Pourtant, Matsunoki, insensible et totalement obnubilé par son futur château, se refuse à abandonner le projet, peu importe ce que cela pourra coûter en vies humaines. Offusqué, Midori-maru, le fils de ce dernier et responsable du chantier, quitte le domaine, ne voulant être complice d’une telle folie, et part vivre avec une paysanne. Pourtant, pendant ce temps, l’ombre règne sur le chantier, les sabotages se multiplient et la situation devient de plus en plus pesante. Un traître semblerait se cacher parmi les proches du seigneur, d’autant plus qu’à la capitale, le règne d’Hideyoshi touche à son terme, et que les troupes des Tokugawa sont en marche. L’avenir du « château de l’aurore » semble de plus en plus incertain…
© by TEZUKA Osamu /
Publié au Japon entre septembre 1959 et mars 1961 dans les magazines Chûgaka Ichinen Course et Chûgaka Ninen Course, Le Château de l’Aurore est une œuvre qui , si elle ne figure peut être pas dans les œuvres indispensables de son auteur, symbolise une époque charnière dans la prolifique carrière de Tezuka. En effet, ayant commencé sa carrière de mangaka dès 1946 parallèlement à ses études de médecine à Osaka, avec des mangas en majorité pour enfants très inspirés de l’univers Walt Disney, il faudra attendre la fin des années 1950 pour le voir s’affranchir de cette influence américaine et élargir considérablement son panel de sujets, avec des séries aux tons plus adultes. Le Château de l’aurore s’inscrit dans cette dynamique, puisque l’auteur inscrit son récit dans le Japon médiéval du XVIe siècle, période de troubles précédent l’avènement des Tokugawa et le début de l’isolement total du pays du reste du monde. Le château en lui-même, bâti selon des normes architecturales dites « anglaises » , est le véritable point d’ancrage du récit, puisqu’il est au centre de toutes les actions des personnages. Obsession pour certains, ignominies pour d’autres, sources de bien des maux pour tous, cet édifice, symbole de la folie des hommes, est le reflet d’une époque troublée de l’histoire du Japon, puisqu’à la frontière de deux périodes bien distinctes (époque Azuchi Momoyama et époque Edo). La scène de fin du manga est ainsi une référence directe au siège d’Osaka* en 1615 qui traduira la défaite finale de la maison Toyotomi et le sacre de Tokugawa Ieyasu**. Son dénouement dans le manga, tournant à l’absurde lors d’un retournement de situation aussi imprévisible qu’inattendu, sera la traduction parfaite de cette période troublée, où la folie des hommes aura causé bien des malheurs.
© by TEZUKA Osamu /
Pourtant n’allez pas croire que Le Château de l’aurore n’est qu’un manga austère et sérieux sur une période trouble du Japon, il n’en est rien, car Tezuka est alors à cette époque à une période charnière de sa carrière, tiraillé entre l’envie de proposer des récits matures aux tons plus adultes, et la volonté de préserver la fraîcheur et l’insouciance qui ont marqué le début de sa carrière. Désireux de ne pas prêcher la violence tout en gardant l’intégrité de son récit, l’auteur préférera donc entrecouper l’histoire de scènes bien plus « légères », grâce à des personnages aux caractères finalement très stéréotypés (le héros pacifiste, le jeune paysanne amoureuse, la petite fille gâtée jalouse …), dont les rapports amoureux frisent même parfois la caricature. Pire, il insère volontairement tout un tas d’éléments totalement anachroniques, qui s’ils sont la preuve que l’auteur s’est amusé comme un petit fou à les insérer (voir un personnage utiliser de la dynamite « qui n’existe pas à l’époque » comme il le rappelle lui-même est en effet assez amusant), auront en revanche la fâcheuse tendance à faire décrocher le lecteur de l’intérêt premier du récit.
© by TEZUKA Osamu /
Déroutant dans sa construction, Le Château de l’Aurore ne fait certainement pas parti des meilleures œuvres de Tezuka. Reflet d’une période de transition débutante dans la carrière de l’auteur, le récit s’emmêle parfois en prenant deux directions opposées, ce qui a pour conséquence de déstabiliser le lecteur. Cherchant l’adéquation parfaite entre pur divertissement et récit historique au ton plus mature, Tezuka n’auront finalement pas réussi à trouver la recette miracle pour ce récit. Après tout, en 1959, il n’en est qu’à l’aube d’une carrière dantesque, où il parviendra à maintes reprises à donner à ses récits une profondeur longtemps inégalée tout en conservant cette fraîcheur et cette innocence qui lui sont chères.
Le Château de l’Aurore
Titre original : Yoake Shiro (夜明け城 )
De Ozamu Tezuka
One-Shot
Première publication en 1959
Editeur VF : Cornelius
Spiky
Plus d’infos, voir le site officiel : www.cornelius.fr
Le manga « Le Château de l’Aurore » est sélectionné pour le 36e festival international de la Bande Dessinée d’Angoulême, dans la catégorie « Sélection Patrimoine » : Voir la sélection officielle
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**Lire à ce sujet l'article : Tokugawa Ieyasu (1543–1616) - Les lièvres et la tortue…
Article mis en ligne le 26/01/2009