La Crise, le mot le plus utilisé en 2008 et le plus à la mode en 2009. La Crise, financière d'abord, économique ensuite, bientôt sociale et politique pour finir. La Crise, cette bête mortelle qui a tué le capitalisme selon certains - pour la plupart pas peu satisfaits de voir disparaître un tel monstre - et qui servira de point de départ à l'émergence d'un nouveau monde pour d'autres.
Tout le monde est d'accord - ou presque - c'est la faute des banques, des traders, des analystes financiers et l'échec, surtout, de la pensée libérale selon laquelle le marché peut être aussi (surtout), source d'enrichissement pour le plus grand nombre.
Les libéraux ? Pendus, en slip (1), maigres comme jamais, dépourvus de bases idéologiques et tous fautifs, rampant aux chevilles de l'État, devant la jubilation de la plèbe. La crise, c'est somme toute assez simple.
Oui mais voilà, les libéraux, c'est une appellation qui désigne un panel large d'opinions politiques, économiques, sociales et même philosophiques. Un groupe dans lequel la gauche mêle spéculateurs, riches héritiers, adeptes du tout marché, adeptes du marché "oui mais", entrepreneurs, capitalistes, et tout ce qui est amoral, inhumain ou simplement injuste, tout ce qui ne verse pas larmette à l'évocation du Ché Guevara. J'exagère à peine.
Cet après midi, au fil d'un rangement de bureau, je tombe sur le numéro "Novembre 08" d'Enjeux les Echos, vous savez, le journal économique libéral. En fin de cahier, coincé entre un article sur Obama et une publicité, j'y débusque un éditorial de Philippe Manière vous savez celui qui dirige le think-tank libéral de l'Institut Montaigne. Tiens, cet éditorial m'a échappé. Il clash avec la pensée unique largement partagée de fin de règne du capitalisme et d'attributions des pleines responsabilités aux financiers. Soyons objectif, Manière s'est visiblement fait un malin plaisir à grossir le trait et à remettre en cause l'attitude des régulateurs, quitte à rejeter un partie de la faute sur eux. Peu importe le contenu de l'article à vrai dire, je ne suis d'ailleurs pas très fan de sa théorie. Il n'en reste pas moins que Manière cite en fin d'article un titre de bouquin qui m'est vaguement familier: "Ils vont tuer le capitalisme".
Direction bibliothèque, j'en extrait ledit bouquin, je me souviens l'avoir lu il y a maintenant quelques années. J'étais alors en terminale. C'est un ouvrage entretien entre Claude Bébéar, figure du libéralisme, patron d'un grand groupe d'assurance (Axa), bref, pas le genre de type qui suscite l'amitié en France et Philippe Manière, à l'époque journaliste. J'en feuillette quelques pages. Édifiant.
Nous sommes en 2003. Claude Bébéar, grand libéral devant l'éternel, s'inquiète déjà des dangereuses dérives d'un système qu'il juge pourtant comme "immortel". Il demeure convaincu de l'efficacité du marché mais doute des bulles ouvertes ici où là par la mauvaise influence de certains ou les bugs des législations. Agences de notations, banques, financiarisation, complexification des flux financiers, rémunération des patrons défaillants, hedges funds, tout y est. Je ne vais pas m'amuser ici à présenter chacune des analyses de Bébéar comme autant de preuves accumulées. Bébéar n'était sûrement pas le seul, d'autres, bien moins libéraux, s'échinaient (et s'échinent toujours) à pointer du doigt les diverses défaillances d'un système déséquilibré, déconnecté en certains points de ce qui fait l'essence de l'économie de marché, la prise de risque et la responsabilité.
A l'inverse de l'idée largement partagée, cette crise profonde n'est, il me semble, pas l'occasion d'un retour de l'État mais d'un retour à l'essence même de ce qu'était le libéralisme avant que la spéculation (et les spéculateurs opportunistes) ne s'emparent de cette idéologie.
Pourquoi ce billet me direz-vous, si ce n'est pour exonérer la pensée libérale de toute responsabilités dans la crise financière et économique que le monde subit.
Là n'est vraiment pas mon objectif.
Ce fut simplement une occasion simple de signifier qu'il n'est peut être pas nécessaire de jeter le bébé avec l'eau du bain. Une manière de dire que le blanc n'est peut être pas le remède au noir, que le tout État n'est sûrement pas le remède au tout marché. Au regard de notre histoire économique, nous nous devons d'éviter la théorie du balancier qui fait passer nos civilisations, coups après coups, d'un protectionnisme et d'un interventionnisme Étatique exacerbés à un capitalisme sauvage, profondément déconnecté de ce pourquoi il existe.
(1) Tous droits réservés au taulier de Intox 2007, Dagrouik.