Un jouvenceau banneret amoureux, un gros marchand de Londres qui ne veut pas donner sa fille à un noble sans terre, des Français capturés lors d’un combat naval prisonniers d’un castel où l’un d’eux meurt empoisonné, le Régent Jean de Gand qui adore manipuler les uns et les autres et tirer les ficelles… Harding tisse une intrigue subtile de la série Athlestan & Cranston. Le Dominicain logique et le Falstaff généreux de coroner auront à se colleter une série de péripéties emboîtées dignes d’Agatha Christie.
Nous sommes à Londres en cet été 1380. La révolte de la Grande Communauté paysanne des abords de Londres gronde. De mystérieux convois de mules errent la nuit aux abord du Pont. Des fantômes volent de branche en branche dans les cimetières. Une catin est retrouvée pendue dans sa chambrette d’auberge, un rollet de parchemin dénonçant son amour pour le jouvenceau épris d’une autre. La fellinienne Vulpina, matrone experte en poisons, tient un gros registre de cuir sur lequel elle note ses commandes secrètes ; et brutalement sa maison à colombages brûle de fond en comble. Un deuxième Français meurt empoisonné alors que tous sont enfermés sans liens avec l’extérieur et mangent à une table commune des mêmes mets. L’espionnage entre la France et l’Angleterre fait soupçonner que leur capture a tout d’une trahison – et leurs rançons se font étrangement attendre. L’envoyé de France sonne de la botte et parle haut, de toute l’arrogance du bon droit.
Mais ne voilà-t-il pas que l’on tente d’assassiner frère Athelstan en son presbytère ? Qui donc a intérêt à ce que rien ne filtre ? Où l’on retrouve le berger de sa paroisse et ses ouailles pittoresques, de Crim l’enfant de chœur toujours ébouriffé et avec l’envie de pisser, Ranulf, le tueur de rats, Pike et Watkin, ignorants et peureux, Cecily la ribaude et la belle veuve Bénédicta… Où l’on retrouve l’humour médiéval de l’auteur, les marmots du tueur de rats tous habillés de mêmes justaucorps noirs de la corporation, la guilde flanquée de matous borgnes, de furets effilés et de chiens ratiers agressifs, qui demandent une messe pour bénir leur métier dans un concert de feulements et d’aboiements, le jouvenceau déguisé en frère prêcheur pour aller philosopher sur l’amour devant sa fiancée et sa sourcilleuse duègne de couvent… Où l’on se sent bien dans cette ville où l’on ne s’ennuie jamais, parmi cette populace agitée de passions mais particulièrement vivace, avec ses scènes de rues et de batellerie édifiantes.
Voici une belle énigme, digne des petites cellules grises. La chute n’en sera que plus appréciée !
Paul Harding, La chambre du diable (The Devil’s Domain), 1998, 10/18 2005, 319 pages, 7.03€