La Méditerranée a le vin, les pays nordiques la bière, l’Arabie le café, l’Asie le thé, l’Amérique andine la coca et les îles de Polynésie et Micronésie le kava. Il s’agit d’une boisson traditionnelle médicinale à usage de sociabilité, dont les effets sont tranquillisants. Le capitaine Cook a été accueilli par une tasse de kava dans une demi-noix de coco par les Tahitiens en 1769. Sabine a déjà évoqué le kava à Tahiti, un article de la revue ‘La Recherche’ de février 1997 nous en dit plus sous la plume d’un pharmacologue et d’un chercheur agronome.
Le kava est un arbuste de la famille du poivrier. Piper methysticum et Piper wichmannii sont des kavas sous deux espèces. Wichmannii est sauvage fertile et methysticum asexué cultivé, reproduit par boutures. Comme quoi les organismes génétiquement modifiés par l’homme ne datent pas des usines américaines de Monsanto. Cela fait 3000 ans que le kava est domestiqué, ce qui signifie protégé et muté artificiellement par l’homme. Venu du nord de Vanuatu, les marins l’ont disséminé dans toutes les îles du Pacifique sud : Micronésie, Papouasie, Fidji, Tonga, Samoa, Wallis-et-Futuna. Chaque arbuste cultivé a ses propriétés de cépage et de cru, comme la vigne : tout dépend du bouturage et de la sélection humaine. Il a les tiges dressées et ramifiées qui se dressent jusqu’à 4 m de hauteur. Mais si les feuilles ont certaines propriétés alcaloïdes comme la cocaïne, ce sont les racines non alcaloïdes qui sont consommées. Il faut attendre leur maturation trois ans mais le rendement est correct, l’un des plus élevé en matière médicinale sur les plantes, avec plus de 300 kg actifs par hectare. Les racines peuvent atteindre jusqu’à 2 m de long.
Chaque pays a développé ses usages propres. Vanuatu et Papouasie consomment les racines fraîches en les mâchant ou en les broyant avant d’y verser de l’eau. Aux Fidji, à Samoa et à Tonga, la racine est tout d’abord séchée au soleil avant d’être réduite en poudre, puis mélangée à l’eau. Cette dernière façon de faire est moins efficace en termes de principes actifs, la résine présente dans la plante fraîche permettant l’émulsion sous forme de lait assimilable des kavalactones. Les chimistes en distinguent six majeures, dont la kawaïne et d’autres, aux noms exotiques comme dihydromethysticine dont je vous fais grâce. Chacune des kavalactones a son propre effet : tranquillisant immédiat pour la kawaïne, décontraction musculaire et émotionnelle pour d’autres, stabilisation affective et stimulation des capacités de concentration et d’action, selon la lenteur des métabolisation par l’organisme.L’odeur du kava est un peu celle du pastis, en plus poivré. Son goût est âcre et serre la bouche, mais ses effets se font sentir entre dix et vingt minutes si la dose est habituelle (une demi calebasse de coco fait à peu près ¼ de litre. La respiration ralentit, le cœur se calme, le bien-être est là. On parle facilement et nul n’a envie de querelle. La boisson est excellente pour la conversation. Même à forte dose, le kava est plus tranquillisant qu’hallucinogène. Celui qui semble ivre ne perd jamais la raison, la réalité n’est pas déformée et il n’y a pas d’accoutumance ni de dépendance aux kavalactones. Selon l’écrivain Jean Marie Gustave Le Clézio, « Le kava est un breuvage pour la nuit. Il engourdit les muqueuses et ralentit le corps, mais pas l’esprit. Il fait flotter. Ils instille de la philosophie. Sa douceur amère, au goût terreux, recouvre le monde extérieur d’un halo à peine dérisoire (je parle pour moi). Le kava a sans doute éteint nombre de guerres, voire de simples conflits domestiques. Le monde moderne en aurait bien besoin. » Raga, 2005, p.74.
Ces propriétés décontractantes en font un excellent remède en médecine traditionnelle, soignant tout ce qui est nerveux, somatique et servant souvent d’efficace placebo. Rhumatismes, dérangement intestinaux nerveux, irritations respiratoires, maladies de peau d’origine somatique sont soignées avec succès par le kava. Les molécules modifient les mécanismes d’échanges d’ions qui accompagnent la contraction des cellules musculaires. Le kava a une action contre la douleur, mais touche des récepteurs cérébraux différents de l’opium et dérivés. On l’utilise en anesthésie locale de surface avec autant d’efficacité que la cocaïne, mais sans aucun effet toxique. Bien sûr, le kava aide à dormir mais, en plus de cela, a des propriétés bactéricides. Notamment contre le gonocoque et le colibacille, deux plaies des îles où les marins circulent beaucoup. Certaines mycoses sont tuées par le kava. Tout comme l’alcool ou le café, le kava n’est pas destiné aux très jeunes enfants ni aux femmes enceintes.
Bon, mais au bout de cette énumération, pourquoi le kava n’est-il pas plus connu et répandu s’il est la boisson des dieux ? C’est que l’arbuste en question a une aire de culture limitée et que ni l’approvisionnement, ni la qualité des racines ne peuvent être réguliers. Impossible d’industrialiser des produits standards avec de tels aléas. C’est toute la différence entre la production de masse et l’artisanat. On a certes cherché à synthétiser les constituants comme la kawaïne, mais les molécules de synthèses sont moins efficaces que les naturelles… Non pas parce que l’homme n’est pas Dieu (réflexe mystique de l’écolo naïf) mais tout simplement parce que la plante naturelle produit un mélange complexe de substances qui agissent en synergie. Il faudrait étudier chaque dosage pour reproduire l’effet en standard.
Reste une boisson exotique et anxiolytique qui fait partie de la culture Pacifique. Si vous y allez, pourquoi ne pas goûter ?
Référence : Vincent Lebot, Joël Lévesque, Le kava, un remède contre le stress ? La Recherche n°295, février 1997, pp.84-88