L'intronisation de Barack Obama mardi 20 janvier a éclipsé l'actualité présidentielle en France l'espace d'une journée. Pendant quelques heures, les médias français ont oublié Nicolas Sarkozy. Un président inquiet car déboussolé, et disqualifié par Obama sur l'éthique et l'action.
Nicolas Sarkozy a semblé agacé par cette entrée en scène de Barack Obama : "On a hâte qu'il se mette au travail et qu'on change le monde avec lui." a-t-il lâché mardi. Le Figaro rapporte que Sarkozy a trouvé les cérémonies d'intronisation d'Obama trop " bling bling": " Je suis impressionné par les Américains. Ils sont au fond du trou, confrontés à d'énormes difficultés, et cela ne les empêche pas de faire la fête pendant trois jours. Avec des concerts, des bals et tout le bling-bling !". Émanant d'un amoureux des Rolex, des stylos Mont-Blanc et des congés à répétition à chaque voyage officiel, ces remarques sont croustillantes de contradictions, et pathétiques pour notre pays.
Barack Obama n'a pas chômé. Il a préparé la plupart de ces premières mesures, qu'elles soient symboliques (Guantanamo) ou économiques (plan de relance). Dès ses premières heures à la Maison Blanche, le président américain a agi rapidement, et efficacement : son premier coup de fil fut pour Mamhoud Abbas, le président de l'Autorité Palestinienne; Hillary Clinton est déjà en place. Obama a aussi suspendu pour 4 mois toutes les procédures en cours à Guantanamo, et signé la fermeture d'ici un an de ce centre de non-droit installé par l'administration Bush au lendemain des attentats du 11 septembre. Il a enfin imposé à la CIA de respecter les mêmes règles d'interrogatoire que l'armée américaine et rendu illégaux ses centres de détention occultes à l'étranger.
Obama n'est pas qu'une menace médiatique ou diplomatique pour Sarkozy. La comparaison entre leurs actions et comportements respectifs est édifiante, triste et utile. Obama est aussi en passe de disqualifier Sarkozy sur le terrain de l'éthique et de l'efficacité.
Dès mercredi,Obama a édicté des règles strictes de transparence et d'éthique à son équipe ministérielle et ses conseillers: interdiction de recevoir des cadeaux, interdiction de travailler au sein de son administration sur un sujets dont on aurait été lobbyiste les 2 dernières années, interdiction d'exercer le métier de lobbyiste pendant la présidence. Rappelez-vous, à l'inverse, les premiers jours de notre Sarkozy national : un dîner au Fouquet's, une croisière sur un yacht prêté par un milliardaire en contrat avec l'Etat, des vacances américaines en août 2007 dans une villa également prêtée. Et que dire de Rachida Dati ? Elle a mieux incarné la Sarkofrance " Bling Bling" que Nicolas Sarkozy lui-même, à force de haute couture généreusement prêtée ou offerte. Sa fameuse séance de photos tout en bijoux et robes de luxe pour Paris Match à l'automne 2007 fut un sommet du genre. Chaque Conseil des Ministres est devenu une " montée des marches" digne du Festival de Cannes. Côté lobby, Sarkozy a brillé par sa discrétion : l'un de ses proches conseillers de l'ombre est devenu député, à la faveur d'une suppléance anticipée. Frédéric Lefebvre, porte-voix dans les couloirs de l'Assemblée, et porte-parole de l'UMP est toujours actionnaire de son entreprise de lobbying.
Obama a aussi annoncé le gel des salaires de son équipe et leur plafonnement à 100 000 dollars par an (75 000 euros): " En cette période de difficultés économiques, les familles américaines se serrent la ceinture et c'est aussi ce que Washington doit faire. Je veux que vous sachiez que j'apprécie votre bonne volonté " En France, on attend toujours un effort de Nicolas Sarkozy ou de son équipe.
Le traitement du président s'est gentiment accru de 172% en janvier dernier, et le montant des primes attribuées aux cabinets ministériels a crû de 5 millions d'euros (+20% en un an !). Le président a aussi donné le mauvais exemple avec ses propres frais qui s'envolent: rénovation du palais de l'Elysée de mai à juillet 2007, nouvelle flotte aérienne pour 280 millions d'euros en 2009, multiplication de voyages privés la saison dernière, ...
Nicolas Sarkozy devrait aussi s'agacer du discours d'investiture de Barack Obama. Ce dernier reste modeste, et célèbre un rêve américain ouvert et généreux:"C'est la bonté d'accueillir un étranger chez soi quand les digues cèdent, le désintéressement des travailleurs qui préfèrent travailler moins que voir un ami perdre son emploi, qui nous permet de surmonter nos heures les plus sombres." Ce ne sont certes que des paroles, mais quel écart avec le président français ! Depuis 18 mois, fidèle à ses pratiques de campagne, Sarkozy choisit les victimes, comme par exemple, à l'été 2007, un enfant sauvé des griffes d'un pédophile plutôt qu'un enfant sans-papier qui se défenestre quand la police frappe à la porte. Sarkozy cible avec choix ses bouc-émissaires (chômeurs, sans-papiers, retraités, patrons, enseignants, cheminots, syndicalistes). Il a créé ce fâcheux et coûteux ministère de l'Identité Nationale, à l'intitulé digne des années trente, que le traître modèle Eric Besson a repris avec gourmandise il y a 10 jours.
Un président sans boussole
On devrait être indulgent avec notre président. Il paraît qu'il est déboussolé. Il y a de quoi. Rien ne marche comme il veut. Dominique de Villepin l'a dit cette semaine sur BFM : la France peut couler comme le Titanic. Les industriels dépriment, les ménages consomment moins, le chômage s'envole. Plus à l'aise dans le discours sécuritaire, Sarkozy doit se concentrer sur l'économie, un sujet qu'il comprend mal. Depuis 10 jours, il sillonne la France de discours encadrés et sans débats, multiplie les cadeaux aux uns, les menaces aux autres.
Il se montre toujours, s'agite beaucoup mais s'inquiète souvent. Il a ainsi très récemment découvert qu'il ne peut y avoir d'aide publique sans contrepartie. Avec l'aide de Fillon, Lagarde et de l'UMP, il répète à l'envie depuis 10 jours que les patrons doivent rendre leur bonus ou maintenir leurs usines en France. Il réalise en fait qu'il est victime de son agitation et de son manque de réflexion.
En novembre dernier, il a promis 40 milliards d'euros de prêts aux banques françaises. Il avait ensuite fait les gros yeux pour inciter les banques à dessérer à leur tour les vannes du crédit aux ménages et aux entreprises. Ses homologues anglais et allemande n'ont pas commis la même bévue en octroyant des fonds à leurs banques menacées: au Royaume Uni ou en Allemagne, l'Etat est devenu actionnaire et a obtenu des contreparties dès le début : suspension des dividendes et des bonus, nomination d'administrateurs en Angleterre; suppression des dividendes et la limitation des salaires des managers à 500 000 euros en Allemagne. En France, voici notre président qui réalise un peu tard le prix de sa dilletance. Et notez l'étroitesse des contreparties qu'il se met à réclamer des banquiers ou des constructeurs automobiles: suspension des bonus et, pour l'automobile, interdiction des délocalisations. Pas un mot sur les dividendes (le terme est passé à la trappe dans le communiqué de mardi soir); rien sur les stock-options ni les augmentations de salaires fixes.
La seconde raison d'inquiétude présidentielle est la montée des oppositions sociales, politiques, médiatiques.
Un peu vite, Sarkozy s'était réjoui en public que les grèves en France. Depuis la fin de l'année 2008, il se réjouit moins. Il s'est aliéné la quasi-totalité des corps sociaux. L'exemple grec est présent dans les esprits. Sarkozy a déjà du lest aux lycéens sur la réforme de la classe de seconde. Ses récents voeux en province ont été un échec. Peu de reprises, des réunions boycottées, des discours raillés. Quand la gare Saint Lazare est paralysée pendant une après-midi après l'agression d'un cheminot, Nicolas Sarkozy surjoue l'indignation et traite Sud-Rail d'irresponsable. Aurait-il fallu un meutre pour Sarkozy daigne répondre au problème plutôt que de tancer la France ?
La crise sociale se manifestait de manière disparate jusqu'à présent. Pour la première fois depuis longtemps, les organisations syndicales CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, SOLIDAIRES, UNSA ont appelé à une grève unitaire et générale le 29 janvier prochain. Un coup de gueule prévu de longue date pour " défendre l'emploi privé et public, lutter contre la précarité et les déréglementations économiques et sociales, exiger des politiques de rémunérations qui assurent le maintien du pouvoir d'achat des salariés, des chômeurs et des retraités et réduisent les inégalités, défendre le cadre collectif et solidaire de la protection sociale, des services publics de qualité qui assurent en particulier tout leur rôle de réponse aux besoins sociaux et de solidarité." Tout y est. Le pari est risqué. les Français craignent pour leur précarité. Franchiront-ils le pas d'une contestation rassemblée et massive ?
La crise politique n'est pas loin.
Les députés socialistes ont claqué la porte de l'Assemblée Nationale mercredi. Ils proposaient pourtant un compromis simple au plafonnement du temps de débat que le gouvernement veut imposer : 4 exceptions par an à ce quota, pour des lois " majeures". L'amendement rejetté, ils ont boycotté les questions au gouvernement. La monarchie élective devient complète. Nicolas Sarkozy revendiquait avoir revalorisé le rôle du Parlement. Même l'intriguant Jack Lang s'en est ému. Cela n'empêchera pas les " réformes" d'avancer. Cette crise politique met un coup de projecteur sur un contat déjà ancien: la profusion d'annonces présidentielles nuit au débat et à la réflexion, jusque dans l'hémicycle.
Le Parti Socialiste s'est même fendu d'un contre-plan de relance. Histoire de répondre au berger de l'Elysée, la bergerie socialiste a doublé la mise, en renforçant les propositions de soutien à la consommation, clarifiant l'orientation souhaitable des investissements publics (notamment en matière de croissance verte). Ce plan a le mérite d'exister, malgré ses lacunes. Il a grillé l'argument habituel de la Sarkozie au pouvoir, qui reprochait à l'opposition de jamais rien proposer. Mais il a été quelque peu occulté par le coup d'éclat des parlementaires socialistes à l'Assemblée.
La contestation touche aussi la dérive sécuritaire.
Télérama s'en faisait l'écho. Les médias se sont enfin emparé de la critique de la CNIL contre le fichier STIC, le"Système des traitements des infractions constatées", principal fichier de police. Créé en 2002, ce dernier recensait, en décembre 2008, 6,5 millions de procédures, 37,9 millions d'infractions, 5,55 millions d'individus mis en cause, et 28,33 millions de victimes. Mais la CNIL lui reproche d'être mal classé, rarement mis à jour et accessible sans vrai contrôle. Pire, le récent bilan de la délinquance en France montre qu'il est peu efficace. Des victimes, fichées également, se trouvent exclues de fonctions publiques par erreur. Et le taux d'élucidation des crimes grâce au fichier reste très faible. Délinquance violente en hausse, fichiers mal contrôlés, Taser en vente libre, tout va bien en Sarkofrance !
En fin de semaine, Sarkozy a voulu s'acheter la presse.
Comment appeler son plan autrement ? Il double les dépenses de communication de l'Etat et des institutions publiques vers la presse écrite (+20 millions d'euros), augmente les aides à la presse de 200 millions en trois ans, gel des tarifs postaux, transport gratuit des abonnements aux jeunes de 18 ans. Sarkozy a même reculé sur sa volonté initiale de faire sauter les seuils de concentration dans les médias. Qui dit mieux ? Quel contraste avec sa conférence de presse houleuse du 8 janvier 2008 !
Un modèle américain qui le disqualifie, une méthode qui patine, une opposition sociale et politique qui se radicalise... Il y a de quoi être inquiet et agacé.