Je lis beaucoup, en ce moment, Philippe Moreau Defarges.
Après « Introduction à la géopolitique », je termine le second tome de son diptyque « Relations internationales », une œuvre que je me permets humblement de recommander, à la fois riche, limpide et invitant à la méditation. Sachant qu’il explore un monde en devenir, l’auteur évite l’exposé pontifiant, préférant, en s’appuyant sur l’histoire, questionner et ouvrir des perspectives que le lecteur emprunte ensuite à la faveur de ses propres intuitions. Celui-ci s’interrompt souvent, d’ailleurs, interpellé par quelques lignes qui titillent son cortex, s’incrustent dans ses neurones et lui ouvrent de nouveaux espaces vers où s’épanouir l’esprit.
C’est là la marque des bons auteurs : les mauvais se contentent d’asséner, d’une plume généralement laborieuse, des sanctions sans appel dont l’espérance de vie intellectuelle ne dépasse pas le temps qu’on a perdu à les lire. Moreau Defarges mérite le détour parce que, non content d’enseigner des faits, il apprend surtout à penser, que l’on soit d’accord avec les pistes qu’il suggère ou pas. L’emploi fréquent, dans ses écrits, de la forme interrogative est, à ce titre, révélateur.
L’extrait suivant[1] est tiré du chapitre sur la dislocation des ordres internationaux et, plus particulièrement, au phénomène révolutionnaire fondamentaliste. Je le livre tel quel, sans commentaires particuliers pour l’instant, en espérant qu’il vous fournira matière à enrichir vos réflexions sur une problématique hélas très actuelle :
« Tout phénomène révolutionnaire est imprévisible. Le fondamentalisme ne cesse à la fois de se décomposer et de se recomposer. Les attentats du 11 septembre 2001 font du Saoudien Oussama Ben Laden et de son mouvement Al-Qaïda les porte-paroles d’une rébellion fanatique aux objectifs illimités : abattre les États-Unis, convertir l’humanité à l’Islam. Mais que veut exactement ce type de mouvements ? Demeurer une révolte pure, se nourrissant des destructions qu’elle provoque ? Ou entrer dans une démarche plus réaliste, prendre le contrôle d’un État et ainsi acquérir une respectabilité, le prix à payer étant la renonciation à l’utopie ?
Ce qu’illustrent les phénomènes fondamentalistes, c’est que l’idée même de révolution se transforme. Pour les hommes de 1789 ou de 1917, la révolution est une rupture claire, brutale, enterrant le passé et accouchant d’un nouvel âge parfaitement pur. Or toutes les expériences révolutionnaires montrent que la révolution est un enjeu de pouvoir, un instrument au service de groupes qui finissent toujours par s’entre-déchirer.
Les mouvements terroristes n’échappent pas à cette logique. Mais certains terrorismes sont guidés par des buts « compréhensibles » : par exemple, terroristes de l’ETA revendiquant un État basque indépendant, Palestiniens réclamant également leur État. Le phénomène Al-Qaïda semble relever d’une autre démarche, irrationnelle, délirante, évoquant les mégalomanes des bandes dessinées. La mondialisation produirait-elle des effervescences révolutionnaires d’un type inconnu, cherchant non à édifier un monde nouveau mais à plonger les hommes dans une anxiété permanente ? »
[1] Philippe Moreau Defarges, « Relations internationales. Tome 2 : Questions mondiales », Collection Points Essais, 2007, pages 97-98.