Il a publié, en 2007, un très court (48 pages) opuscule, pour encourager la gauche à penser en dehors des clous.
Son message principal est clair et tient en un point : on ne peut à la fois vouloir une politique de gauche et souhaiter que la France reste dans l'Union européenne (et accessoirement dans l'OTAN, encore que les deux soient synonymes, via l'article I-41 du TCE).
En quelques paragraphes, Frédéric résume toutes les raisons qui devraient enfin ouvrir les yeux de la gauche résignée. Par exemple, « tous ceux qui se gargarisent d'une possible « politique sociale de l'Europe » n'ont pas la moindre idée de la façon dont ils pourraient convaincre nos partenaires de l'adopter... »
Ensuite, Frédéric Delorca s'emploie à démystifier tous les arguments avancés par ceux pour qui la sortie de l'Union européenne marquerait le retour de la France à l'âge de pierre.
Par exemple, que les investisseurs étrangers n'auraient aucune raison de quitter un marché qui resterait le deuxième marché européen, et retrouverait sans doute une croissance supérieure. Même dans le Vénézuela de Chavez, les sociétés étrangères sont restées.
D'autres mesures sont évoquées, comme un retour du partage du temps de travail, une politique ambitieuse de construction de logements, des circuits de distribution et de commercialisation plus courts, ou l'annulation de la dette publique et privée des pays africains. Delorca plaide enfin pour un renouveau citoyen : moins d'emprise des médias privés, de la publicité, plus de place à l'éducation.
Il appelle aussi à ne pas se satisfaire d'une démocratie du bulletin, où le vote est la seule occasion de participation à la gestion collective. Idée originale, il propose le recours plus fréquent au tirage au sort comme moyen de sélection (pourquoi pas au Sénat, en effet ?)
C'est donc un très bon stimulant et une note d'optimisme que la publication de ce petit ouvrage. Je dois cependant apporter deux bémols à mon appréciation très positive.
Le premier s'inspire de la tirade célèbre : « il ne suffit pas de dire que des têtes vont tomber, il faut dire lesquelles ». En effet, Frédéric Delorca évoque à plusieurs reprises des mesures destinées à restaurer la « salubrité morale de l'air qu'on respire ». Ceci suppose, à mon avis, que la morale publique ainsi appelée à renaître, soit mieux définie, et que les maux à réduire soient mieux précisés. Il ne suffit pas, à mon sens, de souhaiter qu'un « gouvernement rationnel l'emporte sur la folie capitaliste » pour qu'une politique souhaitable soit définie. J'ai une conception de la raison très relative, pour tout dire, libérale, qui me fait douter qu'elle soit unique et aisément définissable.
Le deuxième bémol est lié au premier, et me fait revenir à ma folle jeunesse où je m'opposais aux chevènementistes de ma section PS, réputés autoritaires et dirigistes. Bref, je ne suis pas facilement Frédéric quand il écrit qu'un pays comme Cuba a réussi à réduire de 80% sa consommation de pétrole. Je signe sans doute là ma méconnaissance des politiques cubaines, mais je doute que cette réduction soit le fruit d'autre chose que d'un simple ralentissement de l'économie. Disons que je rechigne à chercher des exemples de politiques sectorielles positives dans un pays qui a fait une croix sur les libertés formelles que je crois fondamentales.
[Note : ayant envoyé cette note de lecture à Frédéric avant publication, il me signale une interview d'Yves Cochet, député Vert européen, qui se montre effectivement assez admiratif des politiques cubaines en
matière d'économies d'énergie.]
Pour conclure : il y a une nécessité de revenir à des politiques publiques plus affirmées, qui ne s'effraient plus de réduire l'emprise toujours plus forte du secteur privé. Je suis à 100% l'auteur lorsqu'il affirme qu'un tel renouveau de la politique publique ne peut s'inscrire dans le cadre de l'Union européenne. Je suis aussi d'accord lorsqu'il affirme que d'autres pays européens seraient peut-être prêts à nous imiter dans cette voie, et que nous devrions nous informer mieux sur les initiatives déjà prises par des pays comme le Vénézuéla ou d'autres, pourtant décriés par la pensée résignée. Mais j'appelle à plus de précisions sur le futur programme d'une gauche décomplexée : il y a une ligne rouge à tracer, ou des précisions à apporter, en ce qui concerne la démocratie parlementaire. Je pense que la simple sortie de l'Union européenne sera déjà un pas majeur pour restaurer une effectivité des politiques publiques. Frédéric semble inviter à aller plus loin dans les réformes institutionnelles. Il faut, à mon sens, dire très clairement jusqu'où. Il y a place pour un programme plus étoffé, mais la lecture de ces prémisses donnent une raison d'espérer que l'évidence finira par s'imposer. L'Union européenne est une machine de droite dont on ne peut que souhaiter sortir.