J'aurais du voir venir. Cette nouvelle, je l'ai déjà écrite trois fois, ça n'a jamais pris. Aucune raison pour que cette quatrième soit la bonne. Tout du long j'ai tâtonné. Tout du long j'ai listé des instants infimes à empiler les uns sur les autres. Mais ça ne marche pas comme ça. Même avec une voix forte (la narratrice de Cette mort), ça ne suffit pas. Il y a quelque chose d'important dans cette histoire, quelque chose dans ce nom, Amaury, l'un des rares qui parvienne à rester, à prendre. Quelque chose dans ces situations, je ne sais juste pas encore ce que c'est. Mais ce n'est pas encore le moment de découvrir. Tout n'est pas mauvais (voir extrait), mais le timing n'est pas bon, voilà tout.
Je ne connais pas son nom mais je sais que sa sueur coule sur la vitre et la fenêtre close. Je vois les goutes d'eau lentement tracer sur le verre blanc une ligne pointillée. Cette ligne, c'est la courbe de mon crâne en miette, c'est la fuite de ma mémoire au fil des heures. Je la regarde creuser sa voie dans la nuit comme je me vois m'y enfoncer moi-même. Je l'entends me narguer dans le silence des soupirs frôlés. Il y aura cet instant où je toucherai le bord de la fenêtre, dit-elle, et cet instant sera aussi celui où tu oublieras tout de tes pensées présentes. Je sais que sa voix privée a raison. C'est la raison pour laquelle j'attrape mon poignet gauche de tous mes ongles, que j'y enfonce sec toutes mes pensées actuelles. Ma métaphore improvisée me rentre en peau comme une aiguille traverserait le scalp. J'attends l'instant où la goute d'eau disparaîtra de la fenêtre, l'instant où. J'attends toujours l'instant où. Et je me demande sans me l'avouer laquelle des deux urgences disparaîtra d'abord : ma douleur ou ma mémoire instantanée.J'ai plus ou moins inconsciemment laissé traîner les choses. Que les délais se raffermissent, que la deadline se rapproche. Je comptais sur la proximité du bout du bout de la ligne pour stimuler, non pas ma créativité, mais mon efficacité. Économiser les fioritures. Aller droit à l'essentiel. Supprimer les moulinets inutiles, comme ça dirait dans Fly : plus on est fatigué, plus le geste va aller directement aigu sur sa cible, plus vif, plus tranchant. Même chose ici. Je ne comptais pas sur des nuits blanches pour boucler le tout. Simplement sur une ou deux heures plus affûtées que d'autres. C'était ça le plan. Pour me tester (aussi).
Aujourd'hui complètement foutu en l'air : Histamine reste à l'état de projet en vrac, avec son lot d'échafaudages encore en place. Je n'ai plus qu'une semaine pour finaliser quelque chose. Que ce soit Histamine ou bien un autre texte. Un autre texte, plutôt. La première lettre serait la même. La suite s'articulerait sec aux jointures. Profiter du temps qui reste. Travailler le mouvement : vif, le son de la lame qui fouette l'air alentour. En attendant grappiller des quarts d'heure comme on peut, entre deux heures de boulot, entre les masses de travail qui s'empilent. Parfois le soir, aussi, même si la nuit me dérange. Encore (plus que) une semaine, ce devrait être bon. Il faudra bien.