Saint-Pierre et l’éclopé (par Étienne Hallé)

Publié le 23 janvier 2009 par Hugo Jolly

Saint-Pierre était dans sa tente en train de compter ses pièces d’or, lorsqu’arriva son grand scribe:

-Maître, maître! Un esclave a perdu son pied à la mine numéro 7!

-Ah le petit maladroit, l’a-t-il au moins retrouvé afin qu’il continue son travail?

-Justement, Maître. Il refuse de travailler.

-Quoi?! Allez faire porter ce scélérat à la décharge et mettez-en un autre à sa place.

-Il y a un problème, Maître… C’est lui qui tirait le chariot à ordures et personne ne veut prendre sa place: nous frisons la révolte.

-Encore?! Quelle bande d’ingrats! Ces imbéciles ont l’étourderie de perdre leurs propres membres et ils ont le culot de refuser de travailler! Mais moi, pendant ce temps, je n’en finis plus de les remplacer! Ils sont de plus en plus rares sur le marché ces temps-ci! C’est le combientième?

-Cinquante-troisième, Maître.

-Et le mois n’est pas terminé… si ça continue ainsi, je devrai fermer une mine, privant ainsi bon nombre d’esclaves honnêtes de travail.

-Le cinquante-troisième de la semaine, Maître. Nous en sommes à deux-cent huit ce mois-ci. Mais Maître, il y a autre chose… il exige une compensation pour son pied…

-Quoi?! Bon, clouons le bec à ce brigand. Envoyez-le rencontrer le grand mage Medcindbosse qui saura certainement le guérir.

On transporta l’esclave chez le grand mage qui, après avoir empoché le sac de pièces qui constituait ses honoraires, l’ausculta. Il rédigea ensuite son rapport sur un rouleau de parchemin qu’il fit immédiatement retourner à Saint-Pierre et à son grand scribe.

-Quel grand mage! dit Saint-Pierre, il lui a fait repousser son pied! Vois! Dans son rapport, dans la section « description », il est inscrit « cinq pieds, mais moins que six ». Il a non seulement ses deux pieds, mais en a maintenant plus de trois en rechange. Assurez-vous qu’il se remette immédiatement au travail!

-Bien Maître.

Le grand scribe retrouva l’esclave miraculé et l’enjoint de se remettre immédiatement au travail.

-Comment veux-tu que je me remette au travail alors qu’il me manque un pied? dit l’esclave.

-Il est écrit dans le rapport du grand mage Medcindbosse que tu as tes deux pieds en plus d’en avoir au moins trois autres de rechange, alors tu dois travailler!

-Tu vois bien que je n’ai qu’un pied, regarde!

-Écoute, je dois me fier à ce qui est écrit,et selon le rapport du grand mage, tu es apte.

-Je ne me lèverai pas d’ici sans avoir reçu la garantie que je recevrai une rente pour mon pied.

Le grand scribe retourna chez son maître pour lui faire part de la doléance de l’esclave récalcitrant.

-Ce filou veut m’arnaquer? Soit, je vais donc l’envoyer voir le grand mage du Bême. Ainsi, je saurai ce qu’il en est.

-Qu’est-ce que le Bême, Maître?

-C’est une confrérie de mages omniscients. Ils savent tout et leur avis est celui de Dieu.

On transporta donc l’esclave éclopé chez le grand Mage du Bême. À son arrivée, le mage le regarda brièvement et refusa de l’ausculter, arguant que tout était écrit dans les urines des brebis sacrées. Après avoir empoché ses honoraires, il rédigea son rapport sur un rouleau de parchemin qu’il fit parvenir à Saint-Pierre et à son grand scribe.

- Ah! dit Saint-Pierre, voyez! Son subterfuge n’a pas fonctionné! Le grand mage du Bême a écrit: « l’esclave éclopé, ici nommé 131634354, s’est séparé de son pied par négligence. Notez qu’il ne souffre d’aucune limitation. Il peut se déplacer soit en sautant sur son pied restant ou encore s’aider de son moignon. » Tu vois, scribe, toute la grande sagesse du mage du Bême? Remets-moi immédiatement ce misérable fainéant au travail.

Lorsque le grand scribe arriva au campement des esclaves, il fut témoin d’un soulèvement. Les serviles s’en prenaient aux installations de la mine. Il rebroussa chemin afin d’en avertir son maître.

Étienne Hallé

Note: Je remercie l’auteur, car tout sauf les noms utilisés, représentent assez bien la réalité et ce qui m’arrive en ce moment. Je remercie à l’avance l’Assistance Sociale et ‘Emploi-Québec qui, je l’espère, sauront m’aider dans mes démarches afin de reprendre le marché du travail au plus vite, tout en constatant les torts qui me sont causés par l’existence même du Bureau d’Évaluation Médicale parce que tout simplement, cet oracle ne peut détenir la seule et unique vérité et prétendre «ressentir la douleur» à ma place.

Et aujourd’hui, en 2009, des milliers de travailleurs continuent d’être victimes d’accidents de travail, près 200 en meurent. Ensuite, ces derniers doivent affronter la machine à rendement qu’est le B.E.M, le capitalisme à son état pur, sur son 31 quoi.

La C.S.S.T. (Khalil Masri (Bême)) m’a renvoyé au travail, allant même jusqu’à prétendre que je n’avais pas mal, puisqu’e Khalil Masri affirme que je n’ai aucune limitation fonctionnelle. Or, je ne peux pas marcher plus de 10 ou 15 minutes sans que la douleur intolérante ne s’installe.

C’était d’ailleurs, l’avis du docteur Paradis. Le Medcindbosse qui ne recule devant rien, tel un mercenaire touche sa paie d’une drôle de façon en Irak ou ailleurs dans les zones de conflit.  Malgré l’enregistrement de ce mercenaire incompétent, qu’il connaissait d’ailleurs puis que je lui en avais fait part -posant mon enregistreuse sur son bureau en lui disant-, il a prétendu dans son rapport, que je n’avais pas mal du tout. Qui peut le savoir mieux que moi? D’ailleurs, lorsqu’il m’a posé la question, je lui ai répondu un bon 9.5 sur 10, sinon 9 au moindre. Comment a t-il pu glisser une pareille démesure? C’est simple, c’est ça aussi ça, le système capitaliste.

Le B.E.M. n’est qu’un outil de bourgeois de plus qui embarrasse l’engrenage de l’évolution humaine. Il est temps que cet outil bourgeois disparaisse, avec un taux de 70% de décisoins renversées en Commission des Lésions Professionnelles.

Merci encore d’avoir chasser pour un instant, grâce à ton humour, cette profonde blessure que m’afflige cet accident de travail. Depuis mon accident de travail, au Québec, trois autres camarades n’ont pas eu ma chance et sont passés sous les bennes à ordures lorsqu’elles reculaient. Ils sont morts. Le B.E.M. n’aura pas pour eux, à faire sa sale besogne.

Sylvain Guillemette