Utopies

Publié le 23 janvier 2009 par Claude Grillet

Sinusite, coryza, emphysème, grippe, rhume, mal de crâne… Entre deux prises de paracétamol, entre deux expéctorations tonitruantes, entre deux relectures de commandes institutionnelles, entre deux clignements de mes yeux mixomatosés, entre deux rappels à l’ordre de Louis et Théo qui se disputent la zapette, entre deux reniflades, entre deux hésitations sur la façon de clore cette liste à la Prévert - qui, je le regrette pour Alain L - est l’un de mes poètes préférés, avant de me jeter sur les dernières pages de “La vie d’un inconnu” d’Andreï MAKINE, je voulais évoquer l’utopie ou plutôt les utopies.

Il existe bien plus qu’une ficelle entre l’évocation du dernier roman de MAKINE et les utopies. L’auteur, d’origine russe, est un drôle de filou. Il nous installe d’abord gentiment dans une intrigue psychologique bien calée dans la France d’aujourd’hui. Une histoire se termine. Il cherche à retrouver le fil d’une autre histoire qui n’a pas connu d’épilogue. Nous voilà plongés cette fois dans le bain d’acide postmoderne du néocapitalisme russe. Mon esprit de gauche bien pensant, à l’âme sèche qui ne dédaigne pas de consommer et d’offrir des caramels mous, s’agace de l’indulgence du narrateur à l’égard d’un monde où le prix fait office de valeur. Tapie (C’est pas parce qu’il y a une majuscule et qu’on parle de Postmodernisme qu’il s’agit là de Nanard, c’est juste que… j’aurais dû écrire “Cachée”,!), dans l’ombre  d’une chambre sombre, l’histoire attend et nous saute à la figure, comme les obus envoyés par Volski, après la fin du siège de Léningrad, elle a le visage de la faim et de la mort. Staline n’aime pas ce visage qui ne rend pas suffisamment compte de la grandeur soviétique. Il nettoie l’histoire au lance-flamme et s’assure qu’elle ne sortira plus sans  le maquillage rouge sang qu’il affectionne… C’est là que la catastrophe chère à W. BENJAMIN se produit et que des germes de l’utopie socialiste sortent de la terre russe, les barreaux de fer du goulag.

J’ai eu la chance de me promener, un premier mai, au bord de la Neva… Je ne connais aucune autre ville dans laquelle j’ai déambulé qui ait changé de nom. C’est extrêmement troublant pour moi mais je ne sais jamais si je peux m’autoriser à dire que je suis déjà allé à Saint Pétersbourg, parce que c’est à Leningrad que j’ai visité l’hermitage … Même si on prête volontiers aux slaves un talent particulier pour la nostalgie, bien qu’étant un p’tit gars du Montceau, un p’tit fils de gueule noire, devenu rond de cuir en col blanc, je comprends qu’on ait un pincement au coeur en songeant à cette ville de glace et de feu.

Pour ce qui est des utopies, elles ne sont mortifères que si on les instrumentalise, si on les dresse, si on les tord, si on les formate, si on les rééduque, si on les systémise. Il faut les laisser infuser nos rêves pour qu’ils soient  déjà moins mornes et qu’ils rendent nos idées plus fécondes, plus vives, plus douces et plus jolies.

L’utopie, nous dit-on dans le paragraphe introduisant la série d’émissions qui lui est consacrée sur France Culture, est un néant si parfait qu’il a tout à perdre à se réaliser. Godin y a puisé sans pour autant s’y noyer. L’utopie est peut-être une source de vie, pour qui se contente d’y puiser et de mort, pour qui cherche à l’épuiser ?