Open source / ouvrir la source

Publié le 23 janvier 2009 par Gregory71

Il y a d’un côté le phénomène bien connu de l’open source logiciel. Il a été largement débattu ces dernières années et interprété comme une reprise en main par les consommateurs des produits imposés originellement par l’industrie. Cette logique du “Do it yourself” n’oppose pas le numérique au matériel. Des open sources matériels existent aussi comme dans le cas de Makezine. Peut-être cet open source n’est-il que théoriquement une circulation car il suppose un savoir-faire, celui de la programmation informatique, qui n’est pas si aisément accessible. De la même manière les théories sur la relation entre artiste et hacker sont plus des slogans que des phénomènes matériels. Le copyleft tentait de se réapproprier cette logique.

Il y a d’un autre côté un open source médiatique peut être moins apparent parce qu’il circule à la surface de toute nos sociétés et qui est en cela sans doute plus profond. Cet open source consiste en ce que nous sommes passés d’une société de médias de masse (peu d’émetteurs beaucoup de récepteurs) avec l’organisation politique qui allait avec (la représentation démocratique, beaucoup d’électeurs peu d’élus) à une société ou chaque récepteur est potentiellement un émetteur ou un réémetteur. D’ailleurs les médias de masse classiques demandent de plus en plus aux lecteurs d’envoyer leurs images pour illustrer les articles. Ce fut le cas dans le dernier conflit israelo-palestinien. Chacun produit des images, les diffuse sur Internet, partage des informations avec d’autres, enregistre sur son disque dur (notre mémoire intime) des images dont il ignore la source, etc. Bref, les médias ont ouvert leur source, au sens ou il y a de moins en moins d’intermédiaire entre celui qui produit le média et celui qui le reçoit. Qu’on y pense bien, l’ouverture de la source médiatique transforme l’ontologie sous-jacente à l’information. Ce n’est plus la fenêtre albertinienne dont la télévision avait héritée, une seule fenêtre pour des millions d’yeux, c’est une multiplicité d’images non-hiérarchisées, en mosaïque si l’on veut, oeil de mouche voyant à 360 degrès sans centre.

Le Mashup est sans doute une expression de cette forme d’open source. Il consiste en la production de langage d’interprétation (nommé aussi API) par des entreprises afin que chacun puisse détourner et se réapproprier les flux d’informations. La logique du détournement, cette logique minoritaire du graffiti et du ghetto, correspondait à l’époque ancienne des médias de masse. Nous étions en minorité, ils étaient, les médias, si forts, si puissants. Nous ne pouvions que prendre le plus insignifiant, une soupe Campbell, pour la changer de nom, de propriétaire et de destination. À présent, les faibles sont devenus les forts et les forts les faibles, cette logique nietzschéenne a sa part de mise en scène, mais elle permet de désigner cet autre horizon de l’information. Il n’y a plus de détournement, non parce que celui-ci est intégré d’avance dans le système comme contestation nécessaire, mais simplement parce que les entreprises prévoient d’avance et permettent ce détournement par les API. La question du pouvoir n’est plus seulement celle de la localisation de l’information (amener les consommateurs à regarder à tel ou tel endroit) mais de sa circulation donc de sa réappropriation. La production industrielle de l’attention n’est plus une construction spatiale mais temporelle. Tout comme dans le reste de l’économie, nous passons d’une logique de la propriété de l’information (on achetait des espaces publicitaires) à une logique de l’accès à l’information (peu importe ou elle est).

Cet open source médiatique est donc à entendre comme la déferlante du flux informationnel. Le flux s’écoule sur le corps de société - et il faudrait relire les belles pages sur le capitalisme et la schizophrénie de Deleuze et Guattari. Peut-être devons nous simplement penser à des oeuvres qui ne cessent de s’écouler, qui ne s’arrêtent jamais dans leur différentiel propre, connectées au réseau et à ce flux d’informations, aussi signifiant et insignifiant qu’eux. L’inconsistance conquise dont parlait Lyotard serait leur logique sémantique. Non pas montrer ironiquement l’insigifiance de tout cela, de ce monde-ci, mais montrer que le sens n’émerge que de cette relation, de cette lacune entre ce que nous voyons et ce qu’il y a à voir. Ce sera l’objet de l’exposition Flußgeist à Oboro.