Les débuts d’année sont naturellement propices aux bilans et à la prospective. Il est un domaine qui est particulièrement scruté, surtout en temps de crise : le moral des salariés - ces Françaises et ces Français qui, employés ou cadres, représentent près de 90% des actifs en France. Et en ce domaine comme en d’autres, ça va… plutôt mal en ce début 2009.
Une satisfaction de façade…
L’observatoire CEGOS « Climat et relations sociales dans l’entreprise », réalisé en septembre/octobre 2008, fait état d’un niveau d’implication globalement positif des salariés. 79% d’entre eux déclarent être très impliqués dans leur travail, et 61% se disent motivés. Ils restent majoritairement fiers de travailler dans leur entreprise (57%).
Ces bons résultats sont à nuancer. Les domaines où la satisfaction domine ont essentiellement trait au fait de détenir un emploi et de s’accommoder des conditions de travail assorties. Il en va ainsi de l’organisation des horaires (71% d’agrément), de la capacité pour le salarié à respecter les délais qui lui sont impartis (72%), ou encore de la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle (61%). En temps de crise, s’accrocher à son travail, lorsqu’on en possède un, et s’accommoder de ses conditions de travail peut être regardé davantage comme un réflexe de bon sens que comme un indicateur fiable d’un niveau d’engagement élevé.
…qui cache mal des préoccupations de fond
Il semble en effet que ces quelques résultats positifs masquent trois grands domaines de préoccupation :
- L’importance du stress au travail : en 2008, plus d’un salarié sur deux (51%) déclare subir un stress régulier au travail.
- L’insuffisance des possibilités d’évolution offertes au sein de l’entreprise : alors que plus de la moitié des salariés (57%) se déclarent prêts à changer de métier pour assurer leur évolution au sein de l’entreprise, seuls 27% estiment que leur entreprise offre des perspectives d’évolution intéressantes.
- L’impuissance du management de proximité, notamment en ce qui concerne les possibilités d’évolution. Seuls 38% des salariés estiment que leur manager les aide à progresser et les accompagne dans leur évolution professionnelle.
Des salariés qui jouent « perso » en 2008
Stress au travail, possibilités d’évolution limitées, management de proximité impuissant… pas étonnant dès lors que les salariés adoptent dans l’ensemble des réflexes individualistes. Ainsi, note la CEGOS, en 2008, les réclamations individuelles sont plus nombreuses que les réclamations collectives (59% contre 41%). Plus révélateur encore, plus d’un tiers des DRH interrogés (35%) sont d’avis que les réclamations individuelles ont progressé ces deux dernières années, contre 15% qui estiment qu’elles ont régressé. Le solde (soit 50%) estime que ces réclamations sont restées stables.
Cette progression des réclamations individuelles aux dépens des réclamations collectives est d’autant plus frappante que, toujours selon le baromètre de la CEGOS, ces deux types de réclamations portent sur les mêmes objets dans des proportions similaires. Il en va ainsi des réclamations portant sur les salaires, les primes, les conditions de travail, ou encore les changements dans l’organisation, les règles, les processus de l’entreprise. Seules les relations avec la hiérarchie restent un type de conflit plutôt traité de façon individuelle.
« Engagez-vous, rengagez-vous qu’y disaient… »
Cette tendance au repli sur soi est la meilleure expression possible de ce que les observateurs attentifs de la vie des entreprises désignent depuis plusieurs années par le terme de « désengagement ». Le désengagement se traduit par le fait de se désinvestir au moins partiellement de la vie de l’entreprise. Ainsi, en cas d’insatisfaction, si 56% des salariés déclarent en premier lieu enclencher une discussion franche avec leur manager, et 36% poursuivre leur activité sans relâcher leur énergie, ils sont près d’un tiers (31%) en 2008 à déclarer lever le pied en termes de rythme et d’intensité.
Dépassant le simple cadre de l’individu, le désengagement tendrait même à devenir une des formes favorites de contestation collective en entreprise. En termes de suites données aux réclamations collectives, diminution d’implication et d’initiative au travail (48%) et absentéisme maladie (40%) seraient ainsi les premières formes de contestation, loin devant la grève (27%) ou le débrayage (19%).
Les cadres, des employés comme les autres ?
Les cadres, par ailleurs population non gréviste par excellence, n’échappent apparemment pas à ce phénomène de désengagement. Ils semblent globalement pris entre le marteau et l’enclume : pointés du doigt dans leur rôle de managers de proximité, ils subissent pourtant eux-mêmes une forte pression venue d’en haut. Toujours selon le baromètre CEGOS, ils sont 61% à subir un stress régulier au travail (pour 51% chez l’ensemble des salariés). Leur moral, tel que mesuré par le « Baromètre des cadres » Viavoice de janvier 2009, s’établit à un plus bas historique : -43, soit le niveau le plus bas jamais atteint par cet indice depuis la création du baromètre en janvier 2004.
Les réformes impulsées par Nicolas Sarkozy en 2008, figurant dans la loi de modernisation adoptée l’été dernier, ne sont pas toutes de nature à les rassurer. Période d’essai prolongée de 3 mois à 4 mois, forfait annuel passant de 218 à 235 jours (c’est-à-dire une large remise en cause possible des effets du passage au 35h pour les cadres à travers les désormais emblématiques « RTT ») : autant de dispositions qui, si elles venaient à être transposées dans les branches et les entreprises, pourraient créer un climat propre à inquiéter les cadres.
Boussole, compas et sextant pour gros temps
Il reste pourtant permis d’espérer que 2009 soit plus clémente pour les salariés que ne le fut 2008. En temps de crise et faute de visibilité à long terme, essayons de naviguer aux instruments et d’interpréter ce que ces instruments de bord nous montrent…
Trois faits observés dans les études publiées depuis septembre dernier (soit depuis le déclenchement de la crise financière et économique actuelle) apportent un éclairage relativement optimiste :
- Tout d’abord, selon les DRH interrogés par la CEGOS, les relations sociales en 2008 se sont révélées constructives (70%), davantage même qu’en 2007 (64%). Une dimension à apprécier au regard du volontarisme de Nicolas Sarkozy en matière de dialogue social : volonté de remettre les partenaires au dialogue, tout en insistant sur la responsabilisation de chacun.
- Ensuite, la motivation des salariés reste élevée. Selon la vague de janvier du « Baromètre des cadres » Viavoice, 57% des cadres estiment que de manière générale, leurs collaborateurs sont actuellement motivés - un résultat de prime abord contre-intuitif. Un niveau record que l’institut Viavoice attribue à un volontarisme amplifié par la crise, un fort niveau de confiance envers l’action de l’exécutif, et enfin une confiance accordée aux entreprises mêmes dans lesquelles les cadres travaillent. Espérons tout de même que cette sorte de « méthode Coué » en entreprise survive à d’éventuelles nouvelles démoralisantes (une nouvelle affaire Kerviel ou Madoff, un enlisement durable des chiffres de la croissance et de l’emploi…).
- Enfin les cadres, s’ils n’ont rien perdu de leur motivation, ne semblent pas non plus avoir perdu le nord. Selon le baromètre Ifop-Cadremploi de décembre 2008, malgré la crise, 55% d’entre eux déclarent vouloir demander des augmentations en ce début d’année. Ce qui tendrait à confirmer que, décidément, non, les cadres ne sont pas tout à fait des salariés comme les autres…
…Bonne année à tous !