Les fêtes de fin d'année étant déjà (presque) de l'histoire
ancienne, je vous convie dès aujourd'hui, ami lecteur, à reprendre sans plus tarder notre visite des salles du circuit thématique du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre.
"Sans plus tarder", mais permettez-moi néanmoins, d'emblée, de réitérer l'esprit des voeux qu'à votre intention j'avais formulés dans mon
dernier billet de cette année 2008 qui a vu naître le présent blog : puisse l'an neuf
concrétiser non seulement vos souhaits les plus quotidiens, les plus anodins, mais aussi (surtout ?) les plus fous.
Puisse - comme m'en a judicieusement rappelé la formule égyptienne dans un commentaire que m'a adressé, pendant ces vacances, un de mes précieux et plus fidèles lecteurs
-, s'ouvrir pour vous une belle année 2009 ...
Puissent les 360 jours qui s'annoncent pleinement rencontrer votre attente et nous permettre, à vous, toujours plus nombreux, comme à moi, toujours plus
heureux, de poursuivre cette aventure qui, pour ce qui me concerne, reste véritablement un réel plaisir, à savoir : notre déambulation virtuelle à travers les salles de
ce prodigieux département de l'aile Sully.
Sur le mur nord, à gauche de l'entrée de cette salle 4 dédiée aux travaux des champs, parallèles donc à la reconstitution de la chapelle d'Ounsou qu'ensemble nous avons
visitée différents mardis, du 25 novembre au 16
décembre derniers, ont été disposées deux vitrines portant les numéros 5 et 6, plus spécifiquement dévolues au régime juridique de la terre égyptienne.
VITRINE 5
Dans celle-ci nous sont présentés quatre contrats rédigés aux XXVème et XXVIème dynasties, soit tout à la fin de l'histoire pharaonique
proprement dite, à la Basse Epoque donc, comme la définissent les égyptologues, juste avant la première domination perse.
Permettez-moi de profiter de ce premier article de 2009, pour simplement rappeler que, dès la création de ce blog, j'ai tenu à vous proposer, ami
lecteur, une chronologie de
l'Histoire égyptienne qui, si elle peut parfois différer de ce que vous rencontrez en feuilletant l'un ou l'autre ouvrage spécialisé - tous ou presque étant assortis de tableaux de
ce genre qui varient parfois considérablement selon leur concepteur -, n'en demeure pas moins un canevas de base qui vous permet de visualiser sur une ligne du temps quelque peu
fictive les époques auxquelles, d'article en article, je fais ici allusion.
"Basse Epoque", viens-je de préciser. Et le détail est d'importance, à tout le moins pour ce qui concerne la graphie de ces quatre documents : l’écriture
hiéroglyphique en effet, celle des textes religieux et régaliens, que le pays a connue durant les quelque trois millénaires et plus qu’a durés cette civilisation a bien évidemment évolué; et
les graphies cursives que les scribes ont utilisées pour écrire sur leurs papyri comme sur leurs ostraca, ont également connu des modifications non négligeables.
Rappelez-vous : dans le deuxième des quatre articles qu'en septembre dernier j'avais consacrés à la bien sympathique petite ville médiévale
de Figeac, dans le Quercy, à son extraordinaire musée tout entier tourné vers la diversité des écritures du monde, mais aussi, inévitablement, aux deux frères Champollion,
j'ai déjà eu l'opportunité de préciser que l'écriture cursive démotique - celle que vous retrouvez au centre de la célèbre Pierre de
Rosette -, fut inventée dans le but de faciliter la rédaction de communications courantes; et notamment des différents contrats juridiques, tels ceux exposés ici.
Ce que les philologues nomment "écriture démotique", (en grec, le terme demos fait référence au peuple), constituait en fait l'abrégé, employé à
partir du milieu du VIIème siècle A.J.-C., d'une autre écriture cursive, de toute éternité celle-là, le "hiératique", dérivant pour sa part directement des premiers signes
hiéroglyphiques de l'Ancien Empire.
Indubitablement, les très nombreux documents libellés dans ces cursives, hiératique et démotique, représentent pour les égyptologues un fonds extrêmement
précieux dans la mesure où, abordant tous les domaines de la vie quotidienne, ils évoquent des sujets que les hiéroglyphes traditionnels, parce qu’exclusivement réservés aux documents officiels
et religieux, comme je l'ai souligné ci-avant, ne s’autorisaient jamais. En outre, ils fournissent un appréciable nouvel éclairage concernant la rédaction, très formelle, de ces
contrats et actes de droit privé; sans oublier d'épingler le fait qu'ils révèlent l’importance croissante que les rapports juridiques ont prise dans la société égyptienne du temps.
En effet, en se référant au corpus papyrologique existant, force est de constater que la documentation juridique égyptienne de Basse Epoque se compose essentiellement de
contrats, d'actes privés, et que manquent cruellement des documents faisant état de passages devant la Justice; alors que précédemment, au Nouvel Empire par exemple, il n'en était pas du
tout ainsi : pléthore de témoignages nous permettant de mieux appréhender l'organisation judiciaire et pénurie de papyri juridiques privés.
Ce seront donc quatre contrats de droit privé que nous rencontrerons dans cette vitrine 5; mais nous n'aborderons aujourd'hui que deux d'entre eux, situés
dans sa partie inférieure.
Le premier, un acte de prêt de blé (E 3228), papyrus exposé en bas à droite, d’une largeur de 44 cm et d'une
hauteur de 23, 5 cm, datant de la XXVème dynastie (aux environs de 704 A.J.-C.), fit partie de l’ancienne collection Anastasi.
Il nous apprend que :
"Le 25 du troisième mois de la saison de l’inondation de la treizième année [il ne spécifie malheureusement pas sous le règne de quel pharaon il s’agit], en
ce jour, le prêtre funéraire Padibastet, fils de Padiimenipet a déclaré au prêtre d’Amon et scribe de la correspondance du roi, Neskhonsouounnekh, fils de Djedhor : "Je te donnerai 22
sacs et demi de blé mesuré en boisseau domestique le 30 du quatrième mois de la saison de l’inondation de cette treizième année. Si je ne respecte pas ce délai, ces 22 sacs et demi porteront
régulièrement intérêt à partir de l’an 13 ... je te les remettrai sans contestation. Aussi vrai qu’Amon vit et que le roi vit, qu’il est en bonne santé et qu’Amon lui accorde la victoire, je ne
reviendrai pas sur cet engagement."
Suivent les attestations de sept témoins qui, chacun, ont inscrit de leur propre main, un résumé de l’acte. Un regard attentif jeté sur ce contrat vous convaincra
facilement, ami lecteur, qu'il a été entièrement biffé : probablement parce que les clauses qu’il stipulait avaient été scrupuleusement honorées.
Je dois à la vérité de préciser que, contrairement aux
différents textes gravés sur la dyade d'Ounsou et de son épouse, qu'en partie je vous avais traduits le 16 décembre, je ne
suis nullement habilité, n'ayant pas poursuivi d'études dans ce sens, à lire, comprendre et traduire les écritures cursives hiératique et démotique. Je m'en réfère donc aux traductions
proposées par des égyptologues patentés (scientifiquement définis comme "hiératisants" et "démotisants"), auxquels je fais entièrement confiance et qu'il me plaît de mentionner dans mes
références infra-paginales.
Enfin, permettez-moi de convier ceux dont l'esprit serait encore quelque peu embrouillé par les derniers effluves des agapes de fin d'année, à se reporter à cet article
du 25 novembre dernier, notamment : j'y ai en effet déjà longuement expliqué en quoi consistait les différentes saisons
égyptiennes, précisant à la fois leur début et leur fin en rapport avec les mois de notre calendrier actuel. Ce qui permettra à tout un chacun de mieux comprendre ce à quoi correspond une
notation calendérique telle que celle mentionnée d'entrée dans ce document.
A la gauche de cet acte de prêt de blé est exposé un autre
papyrus, de 27 cm de haut sur 24 de large, acquis en 1885 de la collection
Eisenlohr : il s’agit d’un contrat de métayage (E 7836) datant du règne
du pharaon Amasis, de la XXVIème dynastie. Définissant les modalités de location d’un champ, il prend acte du fait qu'un certain Padimontou reconnaît avoir loué le terrain
sus-mentionné afin de le cultiver à la place de son propriétaire initial.
"En l’an 35 du roi Amasis [soit 535
A.J.-C.], le troisième mois de la saison de la moisson, le cultivateur du domaine du dieu Montou, Padimontou, fils de Paouahimen, a déclaré au prêtre
funéraire Irtoutchai, fils de Djedkhi : «Tu m’as loué ton champ que l’on t’a donné pour assurer le culte funéraire du prêtre d’Amon, le roi des dieux, Irethorrou fils de Diskhonsou;
champ situé sur la haute terre de l’étable de la ferme du lait d’Amon, appelé Tasébi, et limité à l’ouest par le champ de Khabsenkhonsou. »
Quand viendra le temps de la récolte en l’an 36, nous ferons deux parts de
toutes les céréales et de tout le fourrage produits, une pour toi et une pour moi et mes associés. Nous nous acquitterons de l’impôt du temple d’Amon, qui nous incombe à tous deux. Gains et
pertes sont à partager entre nous deux.
Ecrit [= signé] par
Neshor fils de Padihorresné, le chef de la nécropole [en tant que notaire], par Dikhonsououiaout, fils de Padihorresné et par Nespaséfi, fils de Paouahhor [= en tant que
témoins]."
Mardi prochain, ensemble, nous nous pencherons sur les deux papyri de la partie supérieure de cette même vitrine.
(Andreu/Rutschowscaya/Ziegler : 1997, 188-9;
Malinine : 1951 1, 157-78; Ziegler : 1982,
279)