VITRINE 6
Immédiatement dans le prolongement de la vitrine 5 accrochée sur le mur de gauche en entrant dans la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre,
et devant laquelle nous nous sommes successivement penchés, ami lecteur, le 6 janvier pour considérer les deux papyri démotiques exposés dans la partie inférieure, et mardi dernier, pour les deux autres qui les surmontaient, se trouve juste à sa droite une deuxième vitrine portant tout logiquement le numéro 6, dans laquelle, en deux longs fragments
encadrés et disposés l'un au-dessus de l'autre, nous allons découvrir aujourd'hui une partie du papyrus administratif de la XVIIIème dynastie (E
3226), le plus long actuellement mis au jour.
Rédigé à l'encre noire et rouge en écriture cursive hiératique cette fois, - rappelez-vous que je vous ai précédemment expliqué
que la cursive démotique n'apparaîtra qu'à la Basse Epoque, soit quelque huit cents ans plus tard -, ce papyrus, ayant fait partie de l'ancienne collection Anastasi (comme le
E 3228 de la précédente vitrine, et que nous avons lu ensemble le 6 janvier),
mesurait à l'origine 4, 45 m de long, pour une hauteur de 17 cm : seuls ici 2, 23 m sont présentés dans la mesure où en manquent et le début et la fin.
Inscrit de deux textes distincts, tout à la fois en son recto, pour les comptes du scribe Hapou, et son verso, pour ceux du scribe Maï, ce document comptabilise
des transactions de dattes et de céréales opérées pendant une période de six ou sept ans, c’est-à-dire de l’an 28 à l’an 35 de Thoutmosis III (milieu du XVème siècle A.J.-C.), par deux
équipes d’employés de l’Administration du Grenier central qui, dans différentes villes du pays, collectaient des céréales dans les institutions d’Etat ainsi que dans les domaines de temples ou de
particuliers : estimées en "sac", unité de mesure équivalant à environ 76 litres, elles servaient en fait de monnaie d’échange pour l'acquisition de dattes qui constituaient un
complément en nature accroissant d'autant les salaires versés au personnel administratif.
Encres noire et rouge, ai-je précisé ci-avant. Vous remarquerez en effet que certains débuts de lignes sont rédigés en rouge quand la
suite l'est en noir : cela correspond en fait aux notations calendaires qui commencent chaque relevé de compte; ainsi indiquées en rouge, elles sont, dans l'esprit du scribe, mieux mises en
valeur.
Grâce à ce type de document, vous aurez d'emblée compris, ami lecteur, si toutefois besoin en était encore, que les Egyptiens ignoraient complètement la monnaie et
qu’ils pratiquaient, toujours comme aux temps préhistoriques, le simple troc. Ici, à grande échelle ... Ce qui nous donne à penser qu'en Egypte, le commerce semblait constituer un monopole
d'Etat.
Ce document me permet également d'attirer votre attention, sur un point d'histoire philologique maintenant admis par toute la communauté des historiens : que ce soit en
Egypte ou en Mésopotamie, deux des premières civilisations d'agriculteurs-éleveurs, l'écriture est manifestement née du besoin de dénombrer, d'abord le cheptel appartenant aux uns et aux autres,
ensuite d'indiquer officiellement les quantités de produits qui étaient échangés au sein même de cette économie dont le troc, nous venons de le constater, restait l'élément cardinal de toutes les
transactions.
En d'autres termes, liée aux besoins de comptabilité, l'écriture est née du calcul !
C'est grâce aussi à ces quelques papyri, certes de prime abord relativement rébarbatifs, rencontrés dans ces deux vitrines, à la différence de ceux habituellement
consacrés aux textes religieux, aux contes littéraires, à la poésie ou à la geste des grands pharaons conquérants que nous pouvons mieux appréhender le quotidien des travailleurs de la terre, la
façon aussi dont ils ont organisé des tableaux, dressé des inventaires et mis au point un système de notation chiffrée.
Il serait évidemment fastidieux de vous proposer une traduction de l'intégralité de ce relevé de comptes. Autorisez-moi à simplement citer l'un ou l'autre passage qui, me semble-t-il, vous seront suffisants pour comprendre l'essence même de l'ensemble :
"Rappel des dattes données aux brasseurs : 40 sacs.
An 28, le 4 ème jour du premier mois de la saison de l’inondation :
reçu dattes de Pamouha : 285 sacs 3/4.
An 28, le 10
ème jour du quatrième mois de l’inondation, après le compte : 28 sacs ...
Le 14 ème jour du deuxième mois des semailles : dattes 50 sacs
1/4."
Et ainsi de suite ...
Il est toutefois intéressant de remarquer que les relevés sont disposés en lignes horizontales, page après page avec, à la différence de notre comptabilité
moderne, les données chiffrées notifiant les quantités indiquées dans la marge de gauche : ce qui est parfaitement logique dans la mesure où le papyrus, comme tout écrit
en cursives hiératique et démotique, est rédigé de droite vers la gauche.
(Ziegler : 1982, 46 et 273-6; Ziegler (s/d) : 2004, 106)
Il me plaît, au terme de cet article, d'épingler l'extrême célérité avec laquelle la conceptrice du très intéressant blog "Louvreboîte" -
que je vous recommande instamment de visiter grâce au lien repris dans la marge de droite ci-contre -, que je m'étais autorisé d'à nouveau solliciter, m'a fait parvenir une série
de clichés de ce document : décidant, bien au-delà de ma simple requête, de photographier, section après section, l'intégralité du papyrus exposé dans cette vitrine 6 de manière que je
puisse en avoir une vue d'ensemble absolument complète, et en gros plans, elle m'a permis, avec une précision plus grande que ce que ma mémoire en avait conservé, de rédiger l'article de ce
mardi.
Grand merci à vous, Madame.