L’Opposition donne l’alarme à l’Assemblée : le Parlement retrouvé ?

Publié le 22 janvier 2009 par Hern



Article de Paul Villach sur Agoravox.


Tombés en pâmoison devant la démocratie en Amérique, et trop accaparés sans doute, mardi soir 20 janvier 2008, par les fastes de l’intronisation de M. Obama, les médias traditionnels se sont montrés d’abord fort discrets sur la crise politique qui a éclaté à l’Assemblée nationale au même moment. Le journal de 7 heures de France Culture, ce jeudi 22 janvier, a même eu le culot de parler de « psychodrame », avant de corriger dans celui de 8 heures en donnant la parole à Mme Boutin qui a dit comprendre la réaction de l’Opposition devant le changement de régime en cours : il faut dire qu’elle-même avait tenu le crachoir plusieurs heures à l’Assemblée, en 1998, pour s’opposer au PACS.


La raison aujourd’hui de la crise ? La loi organique, censée donner plus de pouvoir au Parlement en application de la révision constitutionnelle de juillet 2008. En fait, l’article 13 en débat limite drastiquement le temps de parole par l’attribution à chaque groupe d’un forfait horaire passé lequel toute intervention deviendra impossible et donc toute défense d’amendement. L’opposition a clairement dit qu’elle ne pouvait l’accepter.

L’opposition vécue par le pouvoir comme "une gêne"

Constructif, le goupe Socialiste-Radical-Citoyen (SRC) avait pourtant proposé un compromis : il avait demandé qu’il fût possible à quatre reprises dans une année de dépasser ce forfait « pour exercer un droit d’alerte » sur des textes jugés essentiels, a expliqué M. Ayrault. L’UMP et la présidence de l’Assemblée ont passé outre et clos sans plus de manières la discussion sur le sujet avant de poursuivre l’examen des amendements à la loi organique.

Même un député de droite non inscrit, M. Garrigue, a dit sa réprobation et dénoncé l’article 13 comme « dangereux ». Deux anciens présidents socialistes de l’Assemblée nationale sont alors intervenus, mardi soir, avec gravité, MM Fabius et Emmanuelli. En conclusion, le groupe SRC a annoncé qu’il se retirait du débat tant qu’il serait considéré comme « une gêne » pour le gouvernement et sa majorité.

L’obstruction, seule arme de l’Opposition en certains cas, selon M. Emmanuelli

Qu’est-ce que par essence le Parlement comme son nom l’indique, en effet, sinon le lieu où les représentants élus de la nation se parlent, c’est-à-dire débattent ? Or l’article 13 de la loi organique en cours de discussion restreint le droit de parole et donc d’amendement qui est un droit constitutif du Parlement quand il élabore la loi. Lui ôter le temps de parole nécessaire revient à museler l’Opposition.

M. Emmanuelli a fait valoir son expérience d’ancien président de l’Assemblée. Il a rappelé qu’il avait dû, en menaçant de démissionner, s’opposer au gouvernement et au président de la République qui souhaitaient couper court au débat sur la révision constitutionnelle nécessitée par le traité de Maastricht, au début des années 90. Car, à l’époque, c’était l’Opposition de droite qui pratiquait l’obstruction, comme l’Opposition de gauche aujourd’hui. M. Emmanuelli a souligné que dans la constitution de la 5ème République, l’Opposition n’a pas d’autre moyen de se faire entendre. Il a concédé volontiers que cette obstruction peut prendre des formes ridicules. Mais, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel,  : « Derrière des formalismes ridicules, a-t-il averti avec force, il y a une réalité politique qui ne l’est pas ». Et cette obstruction n’est pratiquée que sur des sujets jugés cruciaux, à droite comme à gauche.

Trois motifs d’inconstitutionnalité selon M. Fabius

M. Fabius, pour sa part, a développé une analyse concluant selon lui à l’inconstitutionnalité de l’article 13 qui devrait lui valoir d’être censuré par le Conseil Constitutionnel pour trois raisons :
1- « le droit d’amendement est protégé et garanti par la constitution », a-t-il rappelé. Or « l’article 13 signifie évidemment que dès lors que le débat aura dépassé le temps imparti, il n’y aura plus de possibilité de défendre ces amendements. » 
2- En second lieu, a-t-il concédé, « on peut admettre qu’il y ait une exception à ces règles si le but poursuivi le justifie », c’est-à-dire « ne pas retarder le travail gouvernemental. Or toute l’histoire de la République, a-t-il observé, montre que (les) débats (parlementaires), même s’ils sont longs, ne retardent pas le travail gouvernemental. » Selon le Sénat, a-t-il ajouté, «  ce qui retarde le travail, c’est l’inflation législative et le fait que ce gouvernement comme ses prédécesseurs est incapable de sortir les décrets d’application  ».
3- Le troisième argument enfin est, selon M. Fabius, « le plus embarrassant ». La révision constitutionnelle de juillet 2008 n’a été obtenue qu’au prix d’une dissimulation du gouvernement : «  Des députés radicaux de gauche qui ont voté la révision (lui) ont dit que si le gouvernement, au lieu de dire (qu’ on ne toucherait pas) au droit d’amendement, avait montré la loi organique avec l’article 13, jamais ils n’auraient voté la révision de la constitution. »

Un effacement programmé du Parlement 

Après les incidents qui se sont produits au Sénat lors de l’examen du projet de loi sur l’audio-visuel, on ne peut manquer de voir une confirmation dans ceux qui émaillent l’examen de cet article 13 de la loi organique.
Le Parlement français est aujourd’hui l’objet d’une opération d’effacement programmé. Le Sénat s’était déjà vu signifier, il y a quinze jours, que le gouvernement se passait de son vote pour appliquer sans attendre une mesure d’un projet de loi en cours d’examen parlementaire. C’est au tour de l’Assemblée nationale de voir imposer aux parlementaires une réduction drastique de leur temps de parole et donc de leur droit d’amendement.

Il semble que l’opposition ait mesuré, cette fois, la gravité de la situation en prenant la décision de ne plus siéger dans l’hémicycle, tant qu’elle serait considérée comme « une gêne » par le pouvoir. Les derniers mots de M. Fabius résonnent comme un signal d’alarme lancé au pays : « La conclusion est toute simple, a-t-il averti. Il y a une grande différence entre l’autorité et l’autoritarisme. Et l’autoritarisme est même le contraire de l’autorité. Or ce qui est fait ce soir, comme ce qui est fait en matière d’audio-visuel, en matière de justice, ou dans d’autres domaines, plus le gouvernement est incapable dans le domaine économique et social, plus il se montre autoritaire sur le plan des libertés, nous ne pouvons pas l’accepter. » 

Loin d’être un « psychodrame » comme à voulu le faire croire à ses auditeurs France-Culture, cet affrontement ne donne-t-il pas l’occasion au Parlement de retrouver son rôle originel perdu : imposer une limite à un pouvoir exécutif qui, selon Montesquieu, s’étend par nature aussi loin qu’il ne rencontre pas d’obstacle ?