On l’a tous vu en même temps. À la télévision. Sur le service public. Dans la plus familiale des émissions de variétés. Avec le plus gentil
des animateurs d’alors (et d’aujourd’hui). Moi, j’avais neuf ans. C’était, je pense, la première fois que je voyais un loup-garou et des morts vivants sur un écran. En vrai, ça serait un peu plus
tard…
Michael et son cuir rouge. Ses yeux maléfiques, le regard caméra du dernier plan. L’aimable "teen movie" qui tourne mal. La mise en abyme
maline bien avant Scream. Ça faisait un peu peur. Pas trop. Mon premier film d’horreur sans doute... Je ne connaissais rien de Vincent Price, encore moins de John Landis. Roger Corman,
la Hammer, évidemment ça ne me parlait pas. Les films de zombies de Romero non plus. Quant à l’album, je ne sais plus trop si ma grande sœur s’était procuré la cassette avant ou après cette
diffusion. En version petit format pour petit frère, le 45 tours, j’imagine que c’est bien plus tard que je suis allé l’acheter – tout seul je crois – au Prisunic de la rue du Poteau. (lire la première partie)
Ce clip, donc. Le premier de l’histoire du genre, affirme-t-on souvent depuis. Le premier ? Pas tout à fait, non, mais plus certainement le
premier à lorgner si ouvertement vers le long métrage, le premier à excéder largement la durée du single, débauchant un réalisateur et un maquilleur encore tout auréolés du succès du
Loup-garou de Londres et de son incroyable séquence de transformation à vue (ici). Le premier clip, oui, surtout
pour nous, jeunes téléspectateurs scotchés devant les déhanchements déments de celui qui s’emploierait méthodiquement, la décennie suivante, à devenir un vrai monstre, son visage transformé en
effet spécial permanent ainsi que le suggérait finement le critique Luc Lagier il y a quelques années.
À l’époque, ils n’étaient pas nombreux ceux qui possédaient un magnétoscope, ceux qui purent capturer ce moment unique. Ce samedi-là, je
m’en souviendrais longtemps sans avoir à nouveau les images sous les yeux. Dailymotion, YouTube, séances de rattrapage permanentes, je n’imaginais même pas que ça puisse exister un jour. Tout au
plus tomberais-je par la suite, de temps en temps, devant une version expurgée du clip, devant des extraits/madeleines le plus souvent. Dans son intégralité, Thriller, je n’ai dû en fait
le revoir que grâce à Internet, il y a quelques années…
Il suffit de demander à ceux qui ont 35 ans aujourd’hui. Beaucoup se rappellent parfaitement de ce soir-là, de l’émission hebdomadaire dont
ce souvenir précis, précieux, atténue la redoutable ringardise. Champs Élysées, donc. Et la première diffusion de ce vidéo-clip de Michael Jackson en France. Avec l’avertissement de
Drucker. Et les parents qui, pourtant, nous laissent regarder. Ça sentait le soufre, la subversion s’introduisant dans les foyers. Et peut-être, pour quelques-uns, le goût qui naît soudain,
devant ces images inhabituelles, pour un genre de cinéma qui n’avait alors pas droit de cité à la télévision. On s’en souvient bien, oui. Un peu comme de la découverte de L’étrange créature
du lac noir de Jack Arnold, en relief, dans La Dernière séance (avec les lunettes 3D achetées en bas chez le marchand de journaux). Ou comme, quelques années plus tard, du premier
passage – avec le carré blanc – de L’Exorciste sur FR3 (et nous qui baissions le son, de peur que les parents déjà couchés changent d’avis en entendant la possédée hurler les pires
insanités). Des marqueurs. Repères d’un temps où la découverte d’œuvres ou de chansons se conjuguait au pluriel et impliquait simultanéité et communion d’une bonne part du pays. Parce que c’était
la télé. Parce que c’était la radio. Parce que la consommation des images n’était pas si éclatée, si diversifiée qu’elle l’est aujourd’hui… On en parlait le lendemain dans la cour de l’école, du
collège. On avait vécu ce truc en même temps. Et si nous avions alors eu des téléphones portables, sûr qu’on aurait directement échangé nos impressions par SMS…
Le premier passage de Thriller à la télé en 1982 fut donc une sorte d’événement fondateur pour pas mal d’enfants d’alors. Non
seulement parce qu’on y apprenait que l’on pouvait danser comme ça (!), mais surtout parce que le "king of pop" entrouvrait, pour nous qui n’avions pas encore l’âge de nous y aventurer, la porte
d’un territoire imaginaire insoupçonné… Ce genre de saisissement lié à la réception collective et simultanée d’une œuvre (oui car ce clip, fut une bizarrerie qui réussit à dépasser d’un coup le
champ de la musique, du cinéma et de la danse !), est-ce que ça existe encore aujourd’hui ? Point de nostalgie dans cette question faussement naïve ; il faudra juste qu’on pense à le leur
demander, dans 25 ans, aux mômes d’aujourd’hui…