Photographie : "Chevelure en porc-épic. Schall à Mouches. Rubans en Cothurnes. Dessiné d’après nature sur le Boulevard des Capucines". Gravure de 1798, planche 25 provenant du Journal des Dames et des Modes fondé à Paris en 1797.
Les Boulevards sont le "Nouveau Cours" (voir article sur 'Le Cours'). Tracés au XVIIe siècle sur l’emplacement des anciens remparts de Paris, ils sont dans cette ‘tradition’ élégante, et occupent une place de choix dans la mode des XVIIIe et XIXe siècles. Ils sont à cette époque un lieu de promenade où on parade, fait des rencontres, prend des cafés, se restaure, se divertit, vit le jour comme la nuit … Les plus à la mode sont ceux du côté de la Madeleine : boulevards des Capucines, des Italiens et de Montmartre. Là se joue la vie parisienne ; surtout aux Italiens où sont les meilleurs cafés ouverts après minuit, les théâtres et autres délassements de choix ; et où au sortir de la Révolution une grande partie des émigrés auparavant réfugiés à l’étranger s’y installent à leur retour à Paris.
Au XVIIIe siècle cette promenade est déjà réputée. On lit dans le Dictionnaire universel de la France de 1771 que les boulevards sont une « des promenades les plus fréquentées de la capitale, parce qu'elle est ouverte à tout le monde. L'avantage que l'on a de s'y promener en équipage, & les embellissements qui y ont été faits par MM. les Prévôt des marchands & échevins [magistrats s'occupant des affaires communales], & par les particuliers propriétaires des maisons voisines ; les cafés brillants que l'on y a construits, les rafraichissements que l'on y vend, les chaises que l'on y loue, les jeux qui s'y rassemblent, la musique que l'on y entend dans les cafés, le concours d'un nombre infini de voitures qui peignent admirablement la magnificence & le goût de cette grande ville ; tout enfin contribue à faire de cette promenade une espèce de foire perpétuelle & l'une des plus brillantes que l'on puisse imaginer. » Les théâtres y abondent surtout après le boulevard des Italiens, et la foule est attirée par tout ce scintillement, comme l’écrit Louis-Sébastien Mercier dans un chapitre de son Tableau de Paris (1781) intitulé ‘Tréteaux des boulevards’.
Photographie : « Démarche du Parisien boulevardier. » Illustration La Comédie de notre temps (1874-1876) de Bertall (1820-1882).
Voici des passages du chapitre consacré aux boulevards de Les Merveilles du nouveau Paris de Décembre-Alonnier datant de 1867 : "Ces magnifiques voies, offrant des chaussées spacieuses, bordées de chaque côté par de beaux trottoirs bitumés et plantés d’arbres, sont les principales artères de la vie parisienne qui s’y agite au milieu d’un mouvement indescriptible ; toutes les classes, tous les degrés de la société y ont leur place et s’y coudoient sans se mélanger. La jeunesse dorée et les femmes qu’Alexandre Dumas fils a si spirituellement nommées les dames du demi-monde, se donnent rendez-vous devant les brillants cafés, les restaurants célèbres et les somptueux magasins étalant aux yeux éblouis toutes les merveilles de l’univers. […] C’est en 1670 que la partie du boulevard comprise entre la Bastille et la porte Saint-Honoré fut exécutée ; peu de temps après on prolongea cette promenade jusqu’à la porte Saint-Honoré. Mais, à cette époque, il était loin d’avoir l’animation qui en fait aujourd’hui la plus belle voie de l’Europe ; du côté de la ville, c’étaient des jardins qui bordaient les maisons ; de l’autre côté s’étendait la rase campagne où l’on voyait disséminées de-ci de-là quelques rares maisons de cultivateurs et de maraîchers. Ce ne fut qu’après la Révolution, que ces terrains, dégagés des droits de main-morte et autres, permirent à la ville de prendre l’accroissement que son industrie rendait nécessaire, et bientôt les boulevards furent encadrés entre deux rangées de maisons : leur longueur totale est de quatre kilomètres et demi. […] Le boulevard Montmartre semble réaliser déjà les merveilles d’un conte des Mille et une Nuits : les vitrines des magasins étalent au regard émerveillé de riches cachemires et dentelles, des bronzes précieux, des objets d’art de tout genre. Les cafés rivalisent en beauté avec ceux du boulevard des Italiens ; parmi eux il en est trois qui jouent un rôle important dans le monde des lettres ; nous voulons parler du café des Variétés, de Suède et de Madrid ; ce dernier est chaque jour, de trois à cinq heures, le rendez-vous des chroniqueurs et des correspondants des journaux de province. Ce moment de la journée est connu dans cette partie de Paris sous le nom d’heure de l’absinthe. Ces trois cafés servent de points de réunion aux gens de lettres, journalistes, auteurs dramatiques ou romanciers. C’est là que s’élaborent les nouvelles politiques qui rassurent ou font trembler l’Europe, les concours littéraires et les faits divers : tout le journalisme gravite autour de ce centre. L’ancien boulevard de Gand, connu par notre génération sous le nom de boulevard des Italiens, est le lieu de rendez-vous du bon ton et de la suprême élégance, qui pourtant ne sont pas toujours de bon goût : c’est là que les lions et les lionnes du jour viennent étaler leur luxe. Les étrangers curieux se glissent à travers la foule des oisifs élégants, et vont apprendre comment on déjeune à Tortoni, et comment l’on soupe à la Maison-Dorée ; les trois Opéras sont dans le voisinage. La Bourse est également à peu de distance ; aussi le boulevard des Italiens sert-il à MM. Les coulissiers de lieu de réunion. […] Sur l’emplacement occupé aujourd’hui par la Maison Dorée, sur le boulevard des Italiens, s’élevait autrefois le café Hardy, le premier qui ait donné des déjeuners à la fourchette fort prisés pendant plus de cinquante ans par les amis du bien vivre. […] Le boulevard des Capucines est beaucoup moins animé ; les promeneurs y sont plus rares ; cependant les magasins y sont peut-être plus luxueux qu’au boulevard des Italiens. C’est là que s’élève le gigantesque hôtel élevé par M. Péreire, le Grand-Hôtel, qui tient à la disposition des voyageurs sept cents chambres et soixante-dix salons, et dont le merveilleux service n’a de rival peut-être que celui de l’hôtel du Louvre, élevé par le même financier".
Voici un passage de Les Viveurs de Paris (1857) qui décrit l’atmosphère nocturne du boulevard des Italiens au milieu du XIXe siècle : "Or, la nuit en question et à l’heure que nous avons indiquée, le boulevard des Italiens semblait plus vivant et plus animé qu’il ne l’est souvent en plein jour. Un certain nombre de voitures, calèches découvertes pour la plupart, sillonnaient rapidement la chaussée, ramenant des Champs-Élysées les promeneuses qui, après la sortie du spectacle, avaient été bien aises de respirer pendant une heure l’air pur et rafraîchi de la nuit. Des groupes de jeunes gens en gants paille et en bottes vernies se promenaient en fumant des panatellas, des régalias et des Londress, en face du café de Paris ou du perron de Tortoni. De jeunes et jolies femmes, les unes aussi fraîches que les gros bouquets de roses qu’elles tenaient à la main, - les autres empruntant leur éclat factice à la poudre de riz et au rouge végétal, - passaient au bras de leurs cavaliers et répondaient par des sourires chargés de promesses aux paroles tendres ou lestes murmurées tout bas à leur oreille. Il y avait foule, nous le répétons, mais cette foule n’était pas bruyante. On pouvait percevoir les moindres bruits. On entendait le petit frémissement des robes de soie froissées en marchant. On distinguait au loin le cri monotone des vendeurs de journaux officiels qui proposaient à chaque passant la Patrie ou le Moniteur du soir. Des ombres joyeuses se profilaient derrière les rideaux abaissés des cabinets de la Maison Dorée, du café Anglais ou du café Foy ..."
Les endroits ouverts la nuit décrits ici sont surtout des cafés. L’histoire des cafés parisiens remonte au XVIIe siècle. C’est à la toute fin du XVIIIe siècle (au temps des merveilleuses et des incroyables) qu’ils s’embellissent et deviennent des endroits chics avec des décors à l’antique, de grandes glaces, des luminaires, du marbre … C’est aussi à cette époque que certains ‘prennent’ sur le boulevard, s’ouvrent en terrasses ou dans des jardins, ce qui permet aux femmes d’en profiter, la respectabilité voulant qu’elles n’y entrent pas. Les choses changent petit à petit au XIXe, la population parisienne se multipliant … et avec elle les cafés. Pendant tout ce siècle, le boulevard des Italiens reste le haut lieu des gandins et autres dandys parisiens.
Certains prétendent que le terme de ‘gandin’ serait une référence au boulevard de Gand, nom donné, sous la Seconde Restauration, à un des côtés du boulevard des Italiens en souvenir de l'exil à Gand du roi Louis XVIII pendant les Cent-Jours. Mais les témoignages et documents d’époque sur les gandins sont difficiles à trouver.
Au XIXe siècle, les Champs-Élysées jouent une place de plus en plus importante dans la vie festive parisienne. Et il est très agréable d’y sortir pour s’amuser, danser … C’est aussi pas très loin des boulevards et du bois de Boulogne. La plus grande partie de la vie élégante et festive parisienne du XIXe siècle se retrouve à flâner joyeusement et élégamment du bois de Boulogne au boulevard Montmartre en passant par les Champs Élysées, l’actuelle place de la Concorde, la rue Royale, le boulevard de la Madeleine, des Capucines et des Italiens. Mais ce long cours qui part de Longchamp et se prolonge jusqu’au boulevard Montmartre continue jusqu’à la Bastille. On trouve encore sur cette partie des théâtres, en particulier autour de la porte Saint-Martin. Du fait des nombreux méfaits mis en scène sur les planches, le boulevard du Temple est surnommé le boulevard du Crime.
Photographies : Trois cartes postales d'époque, respectivement de 1802, 1806 et 1803 présentant une photographie des boulevards des Capucines, des Italiens et de Montmartre, avant que le boulevard Haussmann rejoigne celui des Italiens en 1926.