Les pots de pharmacie.

Par Richard Le Menn

Les vases anciens des apothicaires sont des objets particulièrement intéressants. Ils sont fabriqués pour conserver les préparations médicinales qui guérissent et entretiennent la vie mais aussi pour être montrés dans les officines. Ils contiennent des extraits de la nature et du savoir des hommes. Ils témoignent de la connaissance de la terre, des êtes humains et d'une pratique altruiste. Les potions qu'ils gardent ont pour but de rétablir l'harmonie en l'homme et de celui-ci avec son environnement ; et de l'établir dans la joie. Ce sont des objets précieux. Ceux faits en faïence d'autant plus qu'ils sont constitués d'argile : ainsi le contenant et son contenu résultent de la connaissance de la terre et de son utilisation à des fins harmonieuses.

Pot de montre, albarello, chevrette, pot-canon, pilulier, bouteille, pot à onguent ... sont quelques genres de ces pots de pharmacie. Les onguents, les cérats (onguents qui unissent huile et cire), les baumes, les remèdes à base de miel, les poudres, les sirops, les électuaires (médicaments d’usage interne à consistance de pâte molle d’aspect hétérogène, résultant du mélange de poudres fines avec du sirop, du miel ou des résines liquides ...) et les opiats (compositions molles, semblables aux électuaires, dans lesquelles entre l’opium), sont mis à l’abri dans les pots canons ou autres albarelli. Les chevrettes renferment les sirops ou des préparations liquides comme les eaux distillées, liqueurs, vins cuits … pouvant être aussi gardées dans des bouteilles. D’autres pots plus ou moins grands et cylindriques contiennent diverses matières, onguents, pommades … Les jarres et les cruches conservent les réserves d’eaux distillées, des huiles douces et sirops souvent utilisés. Il y a aussi les vases couverts. Dans les pots à thériaque se trouve la panacée appelée thériaque. Ces pots font partie des grands vases dits de « monstre » ou de « montre », car leurs formes et décorations sont particulièrement soignées et leurs tailles imposantes. Ils sont donc faits pour être montrés. Dans les apothicaireries, les objets en céramique sont installés dans des étagères en bois de chêne, de noyer ou de frêne. La partie inférieure de ces ensembles de meubles est appelée le droguier et sert au stockage des produits les plus volumineux et d'usage fréquent. La partie supérieure est le poudrier. Aux ustensiles s’ajoutent les tasses à malade ou les crachoirs. Les mortiers, parfois en céramique et pouvant être de très grande taille, sont un élément important des apothicaireries où on croise d’autres objets comme les coquemars (pots munis d’une anse placés près du feu afin de maintenir un liquide au chaud), les godets de mesure … Toutes ces formes ont peu changé depuis la Renaissance jusqu’au XIX e siècle. Au Moyen-âge, les récipients qui renferment ces drogues sont appelés 'layes' ou encore 'silènes'. Ils sont fréquemment décorés de figures allégoriques, de fleurs ou d'animaux fantastiques. Ce sont surtout des boîtes en bois sur lesquelles sont souvent peintes des figures frivoles ou joyeuses. On continue à en utiliser bien après le Moyen-âge. Il semble qu'elles soient en sapin, en chêne ou en châtaignier, mais ce n'est pas sûr. Rabelais écrit à leur sujet :

« Les silènes étaient jadis des petites boîtes, peintes à l'extérieur de figures joyeuses et frivoles, tels des harpies, satyres, oisons harnachés, lièvres cornus, canes bâtées [dispositif que l'on attache sur le dos de certains animaux pour leur faire porter une charge], boucs volant, cerfs limonniers [attelés], et autres peintures semblables faites à plaisir pour exciter le monde à rire. Tel fut Silène, maître du bon Bacchus. Mais au-dedans, on réservait les fines drogues, comme le baume, l'ambre gris, l'amome, le musc, la civette, les minéraux et autres choses précieuses. »

« Silènes estoyent iadis petites boytes, painctes au-dessus de figures ioyeuses et frivoles, comme de harpyes, satyres, oysons bridez, lieuvres cornuz, canes bastées, boucqs volans, cerfz limouniers, et aultres telles painctures contrefaites à plaisir pour exciter le monde à rire; tel feut Silène, maistre du bon Bacchus; mais au-dedans, l'on réservait les fines drogues, comme baulme, ambre gris, amomon, muscq, zinette, pierreries et aultres choses précieuses . »

Ici, l'auteur explique l'origine des motifs qui sont encore pendant les siècles qui suivent le Moyen-âge peints sur les pots d'apothicaire. Il dévoile tout un concept esthétique médiéval qui utilise à foison les grotesques. Ceux-ci ont une fonction de catharsis (en grec κάθαρσις ce qui signifie purification), retenant la laideur dans la grossièreté de leurs traits ou l'imagination débridée, pour guider vers l'essentiel : ce qui est bon. L'exemple de Silène est caractéristique. Précepteur du demi-dieu grec du vin appelé Dionysos (Bacchus en latin), il est toujours représenté laid et saoul ou dormant, dans des situations d'inconscience ou d'amusement alors qu'il est au contraire reconnu pour sa sagesse. Il est le chef des satyres qui le soutiennent quand il est ivre et qui suivent Dionysos. Certains rites dédiés à ce dernier sont à l'origine du théâtre (Comédie, Tragédie, Satyre), dont Aristote explique la fonction de catharsis dans ce qu'on appelle sa Poétique. Les cathédrales gothiques entourées de gargouilles en leur extérieur ont une esthétique similaire. De nombreux objets médiévaux sont agrémentés de grotesques, sans doute dans ce même but amusant et purificateur.

Photographies

Coll. C.Perlès : « Chevrette en faïence de Montpellier, décor polychrome dit "a quartieri" de palmes feuillagées sur des fonds bleus et ocres alternés. Haut. 27cm. Début XVII° siècle. »

Coll. C.Perlès : « Paire de piluliers en faïence de Nevers décorés en camaïeu bleu de branchages fleuris dans le goût oriental. Haut. 13,5cm. Circa 1700. »

par La Mesure de l'Excellence publié dans : Les Céramiques
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