Pourtant, installés en 2005, dans des locaux abandonnés quelques mois plus tôt par les policiers, nous n'avons jamais eu de problème avec le quartier ni ses habitants. C'est plutôt avec bienveillance que nous avons été accueillis. Quand nous avons sorti le castelet, quand nous avons occupé le square de l'épi de Soil ou la plaine de l'arbrisseau, quand nous avons ouvert nos portes, c'est avec chaleur qu'on nous a remercié. Quand nous avons éloignés nos activités, c'est avec régularité que les enfants sont venus nous demander si nous recommencions, quand nous recommencions ? Pour nous, dans ce quartier «difficile» la vie a été somme toute « facile ».
Entourés de barres hautes, nos locaux font partie de la cité de la briqueterie, et les jours et les nuits n'y sont pas faciles à vivre. Les habitants que nous croisons sont devenus nos voisins. Souvent ils nous reconnaissent et avec certains nous échangeons quelques phrases. Beaucoup de nos voisins travaillent et ont des vies de famille mais d'autres, nombreux apparemment semblent malheureusement exclus de la vie active. Dans ce quartier, les travailleurs de l'ombre sont apparus. Mon regard avec le temps s'est habitué à glisser et à ne plus voir certaines choses. C'est parce que nous intégrons une collaboratrice que ma conscience en vient à ré interroger mon regard. Salariée intégrée le 3 novembre, mi novembre, elle nous avoue qu'elle a du mal à envisager travailler seule dans ce quartier, dans notre bureau où elle se sent trop peu sécurisée. L'aventure s'arrête là pour elle, nous cherchons un nouveau missionnaire. Dans quel monde vivons nous ? Un monde qui ne voit pas qu'en son sein, repose une misère dont il faut bien reconnaître qu'elle est inadmissible. Un pays riche en faillite qui abandonne ses habitants les plus pauvres, voilà le sentiment qui m' habite quand je vois certains de ces enfants délaissés, ces ballets nocturnes, cette misère.
Ils sont de plus en plus jeunes, ceux qui prenant le chemin de l'école buissonnière, semblent rejoindre le terrain de l'inactivité ou les rangs des armées de l'ombre ; guetteurs et souris, jouant avec le chat policier qui ne pointe que rarement ses moustaches et qui, se comportant comme dans les ghettos, opère en rafle tant il est décrié, mal aimé et même visé avec des projectiles de fortune. Si comme le disait un Ministre de l' Intérieur, la tâche de la Police n'est pas de jouer en rugby avec les jeunes, pour autant je n'arrive pas à être convaincu qu'on réussira à se défaire de la misère sociale en transformant le policier en bras armé mettant en état d' hors jeu tous les enfants que la médiocrité des moyens accordés aux quartiers, laissent sur le côté. Même en enfer, un enfant n'est qu'un enfant.
L'enfer est chaud, l'enfer est feu et dans cette rue, dans ce quartier, le matin venu, il est fréquent que les camions d'enlèvements d'épaves fassent leur travail. Pas une semaine sans que nous les croisions, ces camions chargés d'enlever voitures abandonnées et autres carcasses brulées et à ce moment, je ne peux m'empêcher de penser que dans les statistiques ce quartier doit tenir le haut du pavé.
Le Sud du quartier de Lille-Sud est promis, à une transformation et à une réorganisation et déjà architectes et paysagistes sous l'autorité des élus ont tiré les premiers plans de ces modifications. Ces dernières semaines, j'ai assisté à des réunions, organisées par la Ville de Lille qui définissent les contours de ces transformations. Assis dans les salles, écoutant les projets, je me suis demandé comment le projet réussira à transformer le quartier ; comment la paix sociale remplacera la misère ; comment le projet composera avec certains des occupants du quartier ?
Vendredi en 15, alors que je travaillais à mes dossiers, un appel téléphoniques me tira de mes constructions prévisionnelles et me ramena à ce sud du sud. Un enseignante de l'école Wagner, située à deux pas de nos locaux me demandait si nous pouvions nous voir, pour imaginer un projet. Après lui avoir débité mon laïus sur nos rapports avec la Ville de Lille et, le choix que nous avons fait lorsque nous sommes aperçus qu'elle nous entretenait dans la misère d'en éloigner nos actions, nous échangeâmes, plus humainement nos points de vue. Enseignante et artiste, tous deux plongés dans une misère que nous ne comprenons pas, que nous voulons combattre. Alors, oui pour l'instant installés dans ce quartier, nous allons essayer avec d'autres acteurs de proposer, à la hauteur de nos moyens des actions qui réduisent la fracture. Mais nous n'irons pas très loin et cela ne suffira pas de plus, un jour viendra ou il nous faudra partir et cela sera un acteur de moins sur le quartier et, quelques soient les explications que peuvent me donner élus ou techniciens, je ne comprends pas que certaines partie de la Ville (Lille ville décrétée de la solidarité) , de la France et que certaines de ses populations soient laissées dans un tel état d'abandon et de misère. La France n'est-elle pas un pays développé ?