Papier écrit il y a quelques jours,
je ne l'ai pas mis en ligne, doutant de sa capacité à faire sentir les gris entre noir et blanc. Aujourd'hui j'essaie et demain, peut-être reviendrais-je sur mon avis et le mettrais-je à la
corbeille. Photos retravaillées pour illustrer. Pas de voitures brulées , j'en ai assez. Quelques nouvelles du silence, avant que décembre déroule son fil. A ce moment, pris dans les affaires
courantes, entre écriture et gestion, je délaisserai peut-être cette chronique. Vous vous souvenez, je l'ai déjà écrit ici, notre équipe a posé bureaux, atelier et stockage dans un quartier dit
«difficile». Je vous ai souvent raconté les déboires de la boite aux lettres ; battues et rebattues, porte régulièrement défoncée ; dernièrement n'en pouvant plus, inquiet du chemin de moins en
moins sécurisé que parcouraient lettres et autres courriers j'ai ouvert une boite postale. Il y a quelques jours, arrivant au bureau nous trouvâmes le mur nu de notre vieille boite aux lettres.
En acier, soigneusement arrachée, la boite telle un œuvre pliée, était délicatement posée devant notre porte. Début novembre nous avons intégré un nouveau salarié. Nouvelle salariée pour être
plus exact, et par ses yeux, je redécouvre le quartier dans lequel nous sommes installés depuis plus de 3 ans. Ancien commissariat de quartier, nos locaux comportent une partie bureau et une
autre atelier. Ces locaux petits mesurent environ 60M2 ; avec le temps nous les avons rendu confortables. Petits, il seront bientôt trop petits, et notre équipe, quand nous voudrons l'agrandir,
sera à l'étroit. En 2009 nous espérons pouvoir intégrer deux nouvelles personnes, mais pour l'instant le loyer modéré, m'empêche d'envisager sereinement le déménagement.
Pourtant, installés en 2005, dans des locaux abandonnés quelques mois plus tôt par les policiers, nous n'avons jamais eu de problème avec le quartier ni ses habitants. C'est plutôt avec bienveillance que nous avons été accueillis. Quand nous avons sorti le castelet, quand nous avons occupé le square de l'épi de Soil ou la plaine de l'arbrisseau, quand nous avons ouvert nos portes, c'est avec chaleur qu'on nous a remercié. Quand nous avons éloignés nos activités, c'est avec régularité que les enfants sont venus nous demander si nous recommencions, quand nous recommencions ? Pour nous, dans ce quartier «difficile» la vie a été somme toute « facile ».
Entourés de barres hautes, nos locaux font partie de la cité de la briqueterie, et les jours et les nuits n'y sont pas faciles à vivre. Les habitants que nous croisons sont devenus nos voisins. Souvent ils nous reconnaissent et avec certains nous échangeons quelques phrases. Beaucoup de nos voisins travaillent et ont des vies de famille mais d'autres, nombreux apparemment semblent malheureusement exclus de la vie active. Dans ce quartier, les travailleurs de l'ombre sont apparus. Mon regard avec le temps s'est habitué à glisser et à ne plus voir certaines choses. C'est parce que nous intégrons une collaboratrice que ma conscience en vient à ré interroger mon regard. Salariée intégrée le 3 novembre, mi novembre, elle nous avoue qu'elle a du mal à envisager travailler seule dans ce quartier, dans notre bureau où elle se sent trop peu sécurisée. L'aventure s'arrête là pour elle, nous cherchons un nouveau missionnaire. Dans quel monde vivons nous ? Un monde qui ne voit pas qu'en son sein, repose une misère dont il faut bien reconnaître qu'elle est inadmissible. Un pays riche en faillite qui abandonne ses habitants les plus pauvres, voilà le sentiment qui m' habite quand je vois certains de ces enfants délaissés, ces ballets nocturnes, cette misère.
Travaillant dans ce sous-quartier , le Sud du Sud (Lille-Sud), nous nous sommes contre toute raison habitués aux vies brisées que nous croisons au quotidien. La misère sociale, en hiver est plus frappante, et si tous les habitants ne s'y livrent pas, l'économie parallèle et la débrouille (pour finir des mois difficiles dès le 1er du mois) semblent faire nids douillets de ces conditions de vie. La nuit tombée, une fois les familles enfermées dans leurs appartements commencent alors ballets de voitures et de silhouettes qui encombrent les 500 mètres de la rue. La nuit la rue donne le sentiment d'être abandonnée de tous et il n'est pas rare après une représentation, déchargeant le camion, que nos phares éclairent les frêles silhouettes encapuchonnées qui assument la vente à la dérobée de produits interdits et stupéfiants.
Ils sont de plus en plus jeunes, ceux qui prenant le chemin de l'école buissonnière, semblent rejoindre le terrain de l'inactivité ou les rangs des armées de l'ombre ; guetteurs et souris, jouant avec le chat policier qui ne pointe que rarement ses moustaches et qui, se comportant comme dans les ghettos, opère en rafle tant il est décrié, mal aimé et même visé avec des projectiles de fortune. Si comme le disait un Ministre de l' Intérieur, la tâche de la Police n'est pas de jouer en rugby avec les jeunes, pour autant je n'arrive pas à être convaincu qu'on réussira à se défaire de la misère sociale en transformant le policier en bras armé mettant en état d' hors jeu tous les enfants que la médiocrité des moyens accordés aux quartiers, laissent sur le côté. Même en enfer, un enfant n'est qu'un enfant.
L'enfer est chaud, l'enfer est feu et dans cette rue, dans ce quartier, le matin venu, il est fréquent que les camions d'enlèvements d'épaves fassent leur travail. Pas une semaine sans que nous les croisions, ces camions chargés d'enlever voitures abandonnées et autres carcasses brulées et à ce moment, je ne peux m'empêcher de penser que dans les statistiques ce quartier doit tenir le haut du pavé.
Le Sud du quartier de Lille-Sud est promis, à une transformation et à une réorganisation et déjà architectes et paysagistes sous l'autorité des élus ont tiré les premiers plans de ces modifications. Ces dernières semaines, j'ai assisté à des réunions, organisées par la Ville de Lille qui définissent les contours de ces transformations. Assis dans les salles, écoutant les projets, je me suis demandé comment le projet réussira à transformer le quartier ; comment la paix sociale remplacera la misère ; comment le projet composera avec certains des occupants du quartier ?
Mais lorsque je croise et j'entends ce que me disent instituteurs, professeurs et quelques rares survivants des services publics, j'ai l'impression que délaissés, ils se sentent maintenant aussi pauvres que ceux auprès desquels ils doivent travailler. Si au centre du quartier, les locaux sont rénovés que les moyens parviennent à réduire la fracture, pour les écoles situées au Sud du Sud, le sentiment général est l'abandon et que les moyens octroyés ne sont pas à la hauteur de la tâche et des besoins. L'école ne peut tout et, la vie sociale dans ses quartiers manque de lieux et d'acteurs. Des entreprises installées angle rue de l'arbrisseau et rue de Cannes, dans une sorte de petite zone industrielle avait un parking ouvert sur les deux rues, il y a quelques semaines, empruntant le parking par la rue de Cannes, je me trouvais en arrivant coté rue de l'Arbrisseau face à une grille cadenassée. Les structures installées là ont du en avoir assez des difficultés quotidiennes, alors elles ont fermées l'accès.
Vendredi en 15, alors que je travaillais à mes dossiers, un appel téléphoniques me tira de mes constructions prévisionnelles et me ramena à ce sud du sud. Un enseignante de l'école Wagner, située à deux pas de nos locaux me demandait si nous pouvions nous voir, pour imaginer un projet. Après lui avoir débité mon laïus sur nos rapports avec la Ville de Lille et, le choix que nous avons fait lorsque nous sommes aperçus qu'elle nous entretenait dans la misère d'en éloigner nos actions, nous échangeâmes, plus humainement nos points de vue. Enseignante et artiste, tous deux plongés dans une misère que nous ne comprenons pas, que nous voulons combattre. Alors, oui pour l'instant installés dans ce quartier, nous allons essayer avec d'autres acteurs de proposer, à la hauteur de nos moyens des actions qui réduisent la fracture. Mais nous n'irons pas très loin et cela ne suffira pas de plus, un jour viendra ou il nous faudra partir et cela sera un acteur de moins sur le quartier et, quelques soient les explications que peuvent me donner élus ou techniciens, je ne comprends pas que certaines partie de la Ville (Lille ville décrétée de la solidarité) , de la France et que certaines de ses populations soient laissées dans un tel état d'abandon et de misère. La France n'est-elle pas un pays développé ?