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Emmanuel Todd, Après la démocratie, lecture 8

Publié le 12 janvier 2009 par Edgar @edgarpoe

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La conclusion de Todd relève de la fulgurance intellectuelle. Il revient sur ses longs chapitres sur les malheurs des familles souche et nucléaire, pour conclure que la France, « cette société atomisée […] n'est plus à l'échelle des processus économiques. La globalisation a fait de l'Europe l'espace d'interaction économique fondamental, et il apparaît techniquement impossible que la France puisse surmonter seule ses difficultés économiques. »

Voilà qu'après avoir consacré de longs développements au sujets les plus fumeux, depuis la satisfaction sexuelle des français jusqu'au rang de classement à l'ENA de Ségolène Royal, Todd ne trouve pas plus de deux lignes à justifier un ralliement aussi énorme qu'inexpliqué à la pensée unique la plus plate. Alain Minc, VGE, Cohn Bendit et pas mal d'autres penseurs creux pourraient s'endormir tous les soirs sous cette citation de Todd. Quelle déchéance ! Todd ne s'interroge même pas pour savoir s'il est ou non « techniquement possible » que le Canada, la Corée du Sud, le Brésil ou d'autres puissent « surmonter seuls leurs difficultés économiques ».

Il écrit ensuite que le PS semble ne plus vouloir gouverner, être dépourvu de programme et ne s'intéresser qu'aux élections locales. Il passe pas loin de la vérité : de fait, le pouvoir présidentiel en France n'est qu'un pouvoir local, et la France réduite à une grosse région - ce qui explique qu'on puisse trouver des candidats d'envergure régionale, guère plus. Même obsédé ainsi par le pouvoir local, il est faux de dire que le PS n'a pas de programme : PS a un programme, européen (car l'Europe est un programme, même si Todd feint de croire le contraire en écrivant que « le cadre européen est neutre »). De nombreux socialistes font le choix conscient d'un ralliement au projet européen (Moscovici, Aubry), qu'ils contribuent à faire avancer chaque jour. Mais comme les conclusions de ce choix ne sont pas présentables (jouer la carte d'une Europe qui n'est pas démocratique est un choix dictatorial), ils tentent de faire croire aux électeurs que leur voix compte encore pour quelque chose. On a donc une classe politique qui, pour dire la vérité, devrait assumer l'idée que la France n'est qu'une grosse collectivité territoriale, mais qui a, au contraire, choisi de mentir à la nation en expliquant que les choix européens ne changent rien à la politique moderne alors qu'ils enlèvent quasiment toute effectivité au pouvoir national. Ceci Todd ne le dit pas.

Je crois qu'il n'assume pas ses choix. Sans cela, comment expliquer l'indigence de la plupart de ses analyses, qui passent complètement à côté de l'Europe comme projet politique, et qui justifient un ralliement à l'Europe comme seul espace économique concevable, en deux misérables lignes ?

En conclusion, Todd met en avant, comme remède à la crise démocratique, la possibilité d'une rédemption européenne. Pourtant, sans l'écrire explicitement, il sous-entend que l'Union européenne est une dictature (« la dictature, appelée chez nous gouvernance ». Je rappelle, même si Todd ne le fait pas, que la gouvernance est le nom du dispositif de pouvoir au sein de l'Union européenne, cf. le livre blanc consacré à la chose).

Il pense que cette dictature peut se racheter en devenant protectionniste (« Des institutions européennes existent déjà, dont il suffirait que des élites politiques responsables s'emparent pour réorienter l'économie dans un sens favorable aux peuples, et les réconcilier avec l'Europe »). Je suis certainement trop attaché aux aspects formels de la démocratie, mais il me semble que quand bien même l'Europe non démocratique adopterait (par extraordinaire) une politique économique favorable aux populations, cela n'en ferait pas pour autant une démocratie. Todd, là encore, de façon très lapidaire, jette un élément d'explication : « La pression sur le suffrage universel cesserait avec la pression sur les salaires ». Qui peut y croire ? Une Europe convertie au protectionnisme deviendrait magiquement démocratique ? Quelle blague !

Il faut croire que l'inquiétude de Todd au sujet de la démocratie n'est que feinte. Il a plutôt l'air de faire des appels du pied aux élites européennes, en leur expliquant qu'il est aussi peu démocrate qu'elles, mais qu'elles doivent lâcher un peu de lest sous peine de faire vaciller les bases de leur pouvoir...

Bouquet final de son livre donc : Todd se rallie à l'Europe, au prix d'abruptes et désinvoltes explications.

Qu'en conclure ? Une grande déception. Todd apporte des éléments intéressants sur beaucoup de points mineurs par rapport à son argumentation, ce qui rend la lecture de son livre instructive. Pour ce qui est de la démonstration entreprise, consistant à admettre qu'il faudrait faire confiance à l'Union européenne pour conforter la démocratie, elle relève du même genre de notations un peu farce que l'on peut retrouver un peu partout dans ll'ouvrage (on apprend ainsi qu' « à la veille du conflit de 1914, les hommes jeunes des deux pays étaient, tout comme ceux de l'Allemagne, complètement alphabétisés, fin prêts intellectuellement pour la boucherie de la guerre moderne »). Ce qui manque à Todd, c'est de prendre ses lecteurs au sérieux.

Fin


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