Gouasmi et moi

Publié le 22 janvier 2009 par Edgar @edgarpoe
Ce texte a été rédigé par Olyvier, qui me l'a proposé.
Edgar

En sortant de chez moi samedi dernier, je suis tombé nez à nez avec la manifestation du Parti des Musulmans de France (P.M.F). J'ai observé quelques minutes, puis j'ai passé mon chemin, plus que mal à l'aise. La violence des slogans, la tension, mes propres peurs, tout ça n'aurait permis ni de comprendre, ni de débattre.

Quelques jours plus tard, j'ai découvert l'entretien que M. Gouasmi, président du centre Zahra, accordait aux radios présentes et je dois dire que cela m'a fait réfléchir (voir en fin d'article).

Bien sûr, M. Gouasmi n'est pas présentable. Il ne sait pas être ce que Harlem Désir sut incarner, une image proprette d'une réalité délicate et qui clive. Comme le Betar, côté sioniste, M. Gouasmi ne s'embarrasse pas trop de modération. Il ne semble pas « ouvert au dialogue » comme il est bon de l'être chez nous. Il n'intègre pas la logique de l'autre comme une possibilité d'être. On peut même être certains que discuter son propos aujourd'hui revient à prendre pour l'avenir le risque d'une forme de complicité avec ce qui ne manquera de se produire (du dérapage verbal au passage à l'acte criminel dans une société à cran). Mais je sais aussi qu'à force de ne pas parler du « diable », ou avec lui, on finit par ne pas saisir celui qui se tapit au fond de nous.

Selon M. Gouasmi, Israël doit disparaître. Ce serait la seule solution pour la paix : un seul pays où coexisteraient juifs et arabes.

Je suis évidemment opposé à cette idée, persuadé que la destruction de l'appareil militaire et étatique israélien entraînerait un pogrom d'une ampleur insoupçonnée. Mais je me dis également que l'échec d'Oslo, des petits pas de Pérès à l'élection de Netanyahu, des marchandages de Barak à la destruction de l'autorité palestinienne pendant la seconde Intifada, puis l'apparition du Hamas, et enfin le soutien incessant à la politique des néo-conservateurs américains, tout cela montre qu'Israël n'a pas saisi l'occasion historique de paix, et que d'une certaine manière, l'Etat juif parie sur la destruction du monde arabe. Cela fait évidemment mal de le reconnaître, mais je n'ai pas entendu parmi les 80 % d'israéliens qui ont soutenu le massacre de Gaza de voix qui me permettraient de penser le contraire. Israël frappe où elle veut, quand elle veut... et aussi fort qu'elle veut. Dès lors, comment s'opposer à l'argument de M.Gouasmi ?

Toujours selon M. Gouasmi, Israël n'aurait « rien à voir avec le judaïsme ». Je me méfie des « rien à voir » que l'on m'assène, quand la passion et le combat font office d'autorité morale, mais j'invite à repenser au film de S.Spielberg, Munich, souvent incompris, et qui raconte la même chose : la guerre israélienne, pour apparemment justifiée qu'elle soit, est devenue étrangère au judaïsme, tout en retenue, considération, préventions. (Je pense au héros qui, à la fin, à New-York, invite le supérieur du Mossad, en insistant que c'est là la tradition, que c'est shabbat, etc, et que son supérieur décline l'offre et s'éloigne). Le Talmud n'invite pas à tendre l'autre joue, mais tout de même à se méfier de soi et de ce qu'on peut trimbaler d'empoisonné sous ses propres pas. Le massacre de Gaza, qu'a-t-il à voir avec la tradition juive ?

M. Gouasmi s'en prend également au président français et à l'Europe. Comment ne pas être sidéré par la manière dont la République française a cessé d'être une voix dissidente en Occident et comment nous soutenons de facto le massacre quand le monde arabe aurait besoin d'une France qui ne fasse pas désespérer de l'Occident ?

Le président du centre Zahra compare ensuite les combats à une nouvelle shoah. Là, je reviens à mon analyse, inspirée par le travail de Sibony, d'un Islam empêtré dans son désir de se substituer au Peuple élu, y compris dans son martyre, et sur laquelle j'ai laissé de longs développements. Il me semble que pour porter secours aux Gazaoui, il est primordial de ne pas les «substituer» (note d'Edgar : lire à ce propos le très beau texte de Selim Nassib, Jour sans fin à Gaza, dans Libération, où il écrit Les Israéliens vivent dans la région depuis des décennies, comment peuvent-ils croire que cela va marcher cette fois ? Eux qui disposent sans doute de très intelligents chercheurs spécialistes de l’islamisme et de son culte pathologique du martyre, comment ne prévoient-ils pas que les enfants traumatisés de Gaza se transformeront demain en bombes humaines ? Quoi ? Ils le prévoient ? Et ils frapperont chaque fois plus fort, chaque fois plus fort, dans un cycle sans fin ?).

Après avoir rappelé que le déclenchement des hostilités répond au blocus israéliens, M. Gouasmi répond à la question de savoir si c'est la paix qu'il cherche, en affirmant que c'est plutôt la justice. Il me semble que l'alternative est pertinente, paix ou justice. J'ai pour ma part tendance à croire que la recherche du juste ne doit pas se faire au mépris de la vie, et que mieux vaudra une paix injuste pour les palestiniens que la poursuite de ce cauchemar. Bien sûr, tout dépend du niveau de l'injustice subie, de la capacité qu'on peut avoir à la surmonter, de l'avenir qu'on peut s'inventer, de la résilience comme on dit aujourd'hui. Il faut également avoir conscience de toute les injustices qu'une recherche du juste peut également entraîner, du mal qu'on peut commettre au nom du bien... En même temps, comment ne pas considérer l'amertume palestinienne ? Comment demander, au nom d'une paix qu'ils n'ont jamais connue, d 'accepter l'injustice de l'histoire à des gens qui n'ont plus que leur haine légitime pour seul bien ? L'alternative «paix ou justice» est intellectuellement, humainement, moralement pertinente. Elle n'en est pas moins impossible.

Je crois donc que le pardon réciproque est la seule solution à cette impasse, et je sais que le pardon est aussi une valeur d'Islam (et pas seulement d'un petit chrétien, moi, dépassé par l'horreur).

Enfin, M. Gouasmi affirme être le parti de Dieu et de la vérité. Cet Akbar me cloue le bec. A quoi bon alors tenter de comprendre ?



Interview choc: Israel doit disparaitre
par centre-zahra-france