C'est étrange de voir combien nos réactions changent face à une même situation. Il n'y a pas si longtemps, entendre un "Non ? Tu es seule ? Pas possible ? Je ne te crois pas !" m'aurait fait grimper aux rideaux et pousser des
grands cris. Et puis, là, ben... non... Rien... Et pourtant, en l'espace de dix minutes, j'ai eu droit deux fois à cette phrase et je suis restée d'un calme exemplaire (oui, ça m'arrive,
parfois !)
Le premier qui s'y est risqué, c'est Saint Louis. J'étais sagement en salle des profs, en train de corriger des copies tout en discutant avec lui. (Oui,
je fais plusieurs choses en même temps, je suis poly-tâches !). Il me racontait qu'il revenait d'un stage, avec un prof, très sympa, dans les 35 ans, avec qui il avait bien accroché. Il m'en a
dressé un tel tableau idyllique que j'ai fini par lui demander : "Non, mais attends, ce qui est important, dans l'histoire, c'est... est-ce qu'il est célibataire ?" " Ben... Je
n'en sais rien... Comment voudrais-tu que je le sache ?" "Pffff, c'est une information capitale, enfin !" " Attends, MC, tu ne vas pas me dire que ça t'intéresse de savoir si
il est célibataire ?" "Attends, vu le portrait que tu en dresses, si il est célibataire, il m'intéresse !" (Dans les moments comme ça, j'ai l'impression d'être Elie Semoun !)
"Mais... MC... Tu ne vas pas me dire que toi, tu es célibataire, enfin ! Je ne te croirais pas, d'abord... Non, ce n'est pas possible... Tu es toute jolie, tu es super sympa... Non, ce
n'est pas possible !" Et bien, avec MC, c'est possible ! Ca doit juste faire la 243ème fois qu'on en parle tous les deux, et la 243ème fois qu'il ne me croit pas. Il songe peut-être à me
torturer pour que je lui avoue que je ne suis pas célibataire; problème : je n'ai rien à avouer...
Le second qui s'est aventuré sur ce terrain glissant, dix minutes plus tard, c'est
un autre collègue, marié, avec qui nous avons des enfants qui ont sensiblement le même âge. On part dans une discussion de parents modèles sur nos enfants, leur vie, leur oeuvre et leurs petits
soucis; comme le sommeil perturbé de ma fille juste avant Noël, quand elle m'a réclamé son père... Et là, j'ai eu droit à la sempiternelle question : "Mais... tu es seule ?"
"Ben... euh... oui" (j'ai la fonction "repeat" intégrée !). "Non ? C'est vrai ? J'aurais pas cru, tiens... Alors, il faut que tu trouves un papa de remplacement pour ta
fille". Tiens, ça me rappelle ma mère, il n'y a pas si longtemps. Aurait-elle payé certains de mes
collègues pour qu'ils prêchent la bonne parole auprès de moi ?...
Et je suis restée calme. Aucune envie d'épiler à la cire un de ces hommes pour
me venger. Je n'ai pas ressenti l'irrésistible envie d'en placarder un contre le mur et de propulser l'autre au plafond. Je n'ai même pas eu envie d'hurler. Bien au contraire. J'ai même
souri. Parce que pour une fois, j'ai presque pris ça pour un compliment. C'est peut-être très vaniteux de ma part, mais je l'ai entendu comme "une fille bien sous tout rapports, comme
toi, célibataire ? C'est impossible !".
Peut-être est-ce grâce au bourrage de crâne de MissB avec ses "On est des
filles bien, et forcément, tôt ou tard, on rencontrera des mecs biens parce qu'on le mérite !". (Ca fait du bien, les amis optimistes !)
Peut-être me suis-je habituée à ces remarques qui sont devenues des grands
classiques pour moi.
Peut-être est-ce parce que je ne me sens plus en colère après quiconque.
Peut-être que j'estime suffisamment ces deux collègues pour savoir que c'était
dit sincèrement.
Peut-être me suis-je résignée à tout ça.
Peut-être que
j'étais juste de très bonne humeur ce jour-là...
Mais, en tout cas, pour une fois, je suis restée calme, sans sortir la répartie
qui tue dans la seconde qui a suivi cette remarque. Et ça, c'est assez rare pour être noté et m'interpeller...