Pochette : Thibault
Balahy
Texte : Guillaume
C’est un disque sur la possibilité de se saisir de la poésie de la nuit.
Existentielle, No Flashlight est une œuvre qui demande du temps avant de donner sa pleine mesure. Avec ses épreuves sonores éprouvantes en début de parcours, à franchir comme des gués
dans le noir, elle peut a priori rebuter car elle ne respecte aucune tradition musicale bien définie. Marginale dans sa forme, elle suscite des réticences. Matérielles déjà, car les aberrations
volontaires de la production, avec son pouls percussif appuyé, ses frottements, ses détails enfouis et ses basses épaisses frisant la saturation, rendent son écoute délicate sur de mauvaises
enceintes. Des réticences d’humeur aussi, car No Flashlight peut à tort sembler obscure et dépressive alors que, justement, lorsqu’elle menace de dégénérer, c’est pour aussitôt après
révéler sa propre lumière.
Replié sur lui-même, ce disque est un univers qui se déplie. Physiquement déjà, car le vinyle blanc est accompagné d’une pochette qui, une fois dépliée, fait la taille d’un panneau d’abribus
avec, d’un côté le dessin d’un être immergé dans une nature immense, de l’autre l’explication foisonnante des quinze chansons, avec citations, photographies et poèmes à l’appui. Métaphysiquement
aussi, car cette pièce courte d’une trentaine de minutes indique un cheminement vers une autre réalité : celle qui se découvre sans artifices à l’intérieur des plis du monde connu. En cela,
No Flashlight est un univers qui se déplie et qui a sa propre cartographie, avec ses doubles balises (2 lacs / 2 montagnes / 2 lunes), celles connues de tous et celles à déceler à
l’œil nu.
Chacun a sa montagne à gravir. Celle de Phil Elverum se nomme Mount Eerie et elle jouxte sa ville natale, Anacortes, dans l’Etat de Washington. Pour lui, s’identifier à ce lieu revient sans doute
à circonscrire un territoire ou, plus exactement, à élargir la notion de demeure à un espace qui le dépasse. La conception de cette œuvre a respecté cette géographie : le jour, dédié à
l’enregistrement en studio à Anacortes, la nuit tombée, la nature à fendre pour regagner un refuge dans les hauteurs jusqu’à son dénouement, le matin suivant. Ces chansons ont donc dû mûrir
fredonnées dans l’obscurité : en un sens, des chansons comme solutions de repli pour se mesurer au vide, pour affronter l’immensité.
Mount Eerie s’applique ici à décrire la fécondité de la nuit. Mais, son approche pour le faire n’est ni bucolique ni champêtre, elle est celle d’un homme qui vient de la ville. Il ne s’inscrit
pas, de fait, dans un tout acoustique. Aucun n’instrument n’a la vedette, ou alors la voix peut-être et sa diction soignée pour rendre les mots distincts, ne pas les noyer. Sinon, tous les
instruments sont joués naïvement, débarrassés en un sens de leur histoire dans un genre musical, afin que résonne pleinement l’essence même de leur musicalité. La guitare n’est plus vraiment
folk, les percussions ne sont pas « world » et valent pour la matière qu’elles font vibrer. Idem pour le piano, l’accordéon ou que sais-je encore: chaque instrument participe à la
nécessaire palpitation sensuelle et collective du « tout ».
Je pense finalement que c’est le rythme qui prime et modèle la cadence de cette géographie. Ceux qui ont vu Mount Eerie seul sur scène muni d’une guitare sèche savent bien cela : sa
propension à modeler le temps, à jouer des silences et des accalmies, à bouleverser brusquement les climats. Il lui suffit de peu pour restituer le bruit du vent dans les branches, les fenêtres
qui claquent, les draps qui se soulèvent, le passage au printemps. Sur son site, Phil Elverum annonce la sortie d’un nouvel album au
printemps 2009. Il s’appellera Wind’s Poem.