Individus et pouvoirs face aux sectes
Un ouvrage de Nathalie Luca, Collection Sociétales, septembre, 2008, 280 pages, 25 euros
Cet ouvrage sur les sectes, qui poursuit le travail mené par Nathalie Luca dans plusieurs de ses ouvrages[1], offre une perspective nouvelle sur le phénomène sectaire. Il ne s'agit pas en effet de parler des sectes en tant que telles, mais de porter son attention aux sociétés qui les nomment ainsi. Parce que les mouvements qui sont désignés comme tels par les autorités publiques changent d'un pays à l'autre, parce que la dangerosité des groupes fait l'objet d'une appréciation différente selon les sociétés, il est important d'analyser la désignation par un gouvernement et ses institutions d'un phénomène comme secte. Comment comprendre la réaction différentielle face aux sectes sans analyser la société dans laquelle ces mouvements religieux éclosent et la manière dont ils peuvent remettre en cause certains éléments de définition de la nation ? Nathalie Luca fait l'hypothèse que lorsque l'Etat en vient à traiter un groupe de secte, c'est que celle-ci est entrée en concurrence, en conflit avec les valeurs de la communauté citoyenne dont l'Etat est le garant. La secte est un groupe qui prône des valeurs qui conduisent celui qui y adhère à une rupture, ou à une prise de distance avec sa société de naissance. La scission se lit en termes d'identité et de conduites sociales.
La première partie de l'ouvrage explique comme une conséquence de la sécularisation la multiplication des phénomènes religieux appelés sectes. Elle oppose les différentes attitudes qui se sont développées autour d'un même phénomène : si certains pays ont absorbé le phénomène sans trop de heurts et les ont gérés pacifiquement, d'autres, dont la France est l'emblème, ont réagi violemment face aux sectes. Dès 1996, la France publie un rapport très offensif sur les sectes. Rapporté par deux députés, A Gest et J Guyard, le rapport présente une liste de 173 groupes à l'égard desquels l'Etat doit se montrer vigilant. Il demande la création en France d'un observatoire interministériel. Ce rapport est enregistré le 22 décembre 1995 la veille de la catastrophe de l'Ordre du temple solaire, seize membres de ce mouvement ayant été retrouvés carbonisés le lendemain. L'Observatoire interministériel est sur pied en mai 1996. Un conseil d'orientation composé de différents professionnels se réunit régulièrement, au sein de chaque ministère des circulaires sensibilisent à la question. C'est toute une politique de prévention qui est mise en œuvre de façon très dynamique, statuant sur la situation d'associations ou de professionnels pourraient entrer en contradiction avec les exigences de la santé publique, de l'ordre public ou de l'éducation des enfants. Par ses offensives, la France a pris la place de leader de la lutte engagée des Etats contre les sectes. Cependant la politique française suscite aux Etats-Unis et dans les pays occidentaux de nombreuses réserves. L'auteure dégage des modèles d'action face aux sectes opposés à l'attitude de la France.
La seconde partie systématise l'approche factuelle de la première partie et propose une analyse des rapports aux sectes, corrélée au mode de construction de la communauté citoyenne. L'auteure dégage trois modes idéal-typiques qui impliquent des réactions différentielles face aux sectes : le mode républicain, le mode pluriculturel et le mode culturel. Dans le modèle républicain, représenté par la France, l'individu doit se départir sur la scène publique de tout signe, attitude ou pratique qui le pousserait à se distinguer des autres. Toute communauté en vertu de laquelle les adhérents revendiquent l'affichage public de particularismes est perçue comme une menace pour l'Etat, la communauté citoyenne, la République. Le mode pluriculturel autorise l'affichage de particularismes sur la scène publique, tandis que le mode culturel lie l'adhésion à la communauté citoyenne au partage d'une même culture. En fonction de la conception particulière qu'un peuple se fait de son nationalisme, les formes acceptables du religieux varient. A partir de la définition de ces trois types de communauté citoyenne, Nathalie Luca propose de réfléchir sur trois pays illustrant chacun un des types prédéfinis : la Chine, les Etats-Unis et le Japon, illustrant respectivement le mode républicain, pluriculturel et culturel. La définition que chaque société donne des sectes révèle un travail de construction, de réparation et de consolidation des frontières nationales. Les sectes sont des organisations mises en cause par les autorités, parce que leurs caractéristiques religieuses, philosophiques, idéologiques, éducatives remettent en question l'idée que chaque société se fait de la place des religions en son sein.
La troisième partie de l'ouvrage s'intéresse aux mouvements religieux transnationaux. Pourquoi cherchent-ils à s'étendre au-delà de leur contexte d'émergence. Est-ce toujours possible ? Plusieurs types de groupes doivent être différenciés : ceux qui n'exportent pas, ceux qui réprimés chez eux, trouvent refuge ailleurs, ceux qui mettent à la disposition du public des techniques de bien-être. L'Eglise de l'Unification et la Soka Gakkai sont typiques des mouvements religieux qui migrent sur la base de l'attirance du courant ultra-libéral. Ces deux mouvements se sont alliés au courant libéral pour se développer hors de leurs frontières d'origine. Certaines Eglises transnationales, comme l'Eglise du plein Evangile en Corée du Sud ou l'Eglise Universelle du Royaume de Dieu brésilienne, s'exportent avec succès dans les pays en voie de développement.
Par Frédérique
[1] Le salut par le foot. Une ethnologue chez un messie coréen (Labor et Fides, 1997), Sectes, mensonges et idéauxLes sectes, (PUF, « Que sais-je ? », 2004 (avec F. Lenoir, Bayard, 1998),