Catherine Monnot, Petites filles d'aujourd'hui. L'apprentissage de la féminité, Coll Mutations, n° 251 Autrement, 2009
Que signifie « être une petite fille » dans nos sociétés occidentales contemporaines ? Comment apprend-on à devenir fille et quelle fille doit-on exactement être ? Telles sont les questions auxquelles Catherine Monnot dans Petites filles d'aujourd'hui. L'apprentissage de la féminité cherche à donner une réponse.
Crédit photo : Mike Baird/FlickR
Thème éculé de la socialisation sexuée ? Oui et non. Oui, parce qu'avec son ouvrage Catherine Monnot poursuit la tradition de plusieurs générations de travaux mettant en évidence la socialisation genrée. Rappelons-nous entre autres choses, l'ouvrage pionnier d'Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles, paru aux Editions des Femmes en 1974, l'ouvrage non moins fondamental du plus fameux tandem sociologique français Quoi de neuf chez les filles ? Entre stéréotypes et libertés de Christian Baudelot et Roger Establet, paru en 2008, qui commençait ainsi « Trente-cinq ans après la publication de Du côté des petites filles, où en sommes-nous ? ».
Non, parce que cet ouvrage cherche avant tout à comprendre comment se réalise l'appartenance de sexe par « transmission horizontale », c'est-à-dire entre pairs. Il s'agit de mettre en lumière les premières expériences enfantines et collectives de socialisation, « au travers de la multitude d'apprentissages informels qui font grandir les enfants en dehors du regard et du contrôle directs des adultes, en particulier les loisirs, et qui bien souvent sont délaissés par les chercheurs. » (p 9) C'est par une analyse de la « culture du quotidien, du minuscule et du « superflu » » (p 9), ainsi que la précisait Sherrie A. Iness en 199
8 dans Delinquents and Debutantes : Twentieth Century American Girl's Culture[1] «les boîtes à goûter pour filles, les magazines commercialisés pour les filles, les livres sur les chevaux pour filles, les poupons, les livres de cuisine, le maquillage pour filles » que Catherine Monnot veut mettre à jour le processus d'intériorisation des dispositions féminines. Elle cherche à appréhender la manière d'être ensemble des filles, leurs socialisations spécifiques, leur façon d'être au monde.
L'enquête à l'origine de cet ouvrage se fonde sur des observations et des entretiens réalisés depuis 2002 dans la cour de récréation auprès d'une dizaine de fillettes de CM2 entre 9 ans et 11 ans. Si les différents milieux sociaux sont appréhendés, le terrain principal reste celui d'une école primaire d'une petite station balnéaire du Sud, d'origine populaire et relativement enclavée, dans un environnement semi-rural.
Premier pan de la vie d'une petite fille d'aujourd'hui, l'appartenance à un groupe de filles, investissant des activités très différentes, de celles qui animent les garçons du même âge. Les filles de primaire créent des clubs, tiennent des classeurs de stars, parlent de leurs séries télévisées préférées, chantent et dansent ensemble. Nouvelle pratique, les blogs sont désormais un support privilégié des échanges amicaux. Décoration de la chambre et écriture de soi sont des pratiques fortement sexuées, réservées également aux filles. Pratiques télévisuelles et usage de l'ordinateur différencient également filles et garçons. Catherine Monnot étudie plus particulièrement la relation des filles à la musique, domaine qu'elle connaît très bien, sachant qu'elle termine actuellement sa thèse de doctorat sous la direction d'Agnès Fine, thèse intitulée Les filles et la musique.
Les stars de la chanson et les poupées offertes aux petites filles, les Bratz en remplacement des traditionnelles Barbies, témoignent de l'évolution des modèles proposés aux filles d'aujourd'hui. La presse magazine, les sites de jeux sur internet offrent un univers visuel apparenté à celui des magazines pour adultes. Graphisme accrocheur, coloré, moderne, tout contribue à brouiller les limites entre les catégories d'âge et de sexe et à donner très tôt aux filles les clés de la culture et des pratiques féminines adolescentes et adultes. Les petites filles peuvent pénétrer aisément par anticipation dans le monde des adultes. La plupart des filles interrogées par l'auteure s'inspiraient le plus possible des codes stylistiques des 13-25 ans. De nouvelles gammes de vêtement créées spécifiquement pour les 8-12 ans, s'inspirant du style vestimentaire des adolescentes, émergent. Les paroles des chansons écoutées par les filles témoignent aussi de la volonté de n'être plus une petite fille et de devenir rapidement une adolescente, une femme.
A l'âge du CM2, les relations entre les filles et les garçons changent de nature. Les jeux de société tels que Secret Girls, Téléphone Secret ou Mon agenda secret qui servent de guides aux premiers émois amoureux, induisent de nombreux stéréotypes d'ordre sexué. La fille reste toujours confinée dans le domaine de l'intime, du dévoilement de soi. Là encore, c'est par l'analyse du domaine musical, que Catherine Monnot se démarque dans cet ouvrage. La chanson pop offre selon elle « une nouvelle éducation sentimentale ». Les messages des chansons initient les filles à la vie amoureuse et « les préparent à faire face à toute la palette et à la complexité de ce sentiment. » (p 112) Les chansons permettent de découvrir le monde masculin et de se préparer à un nouveau type de relations avec lui, les chanteurs incarnent l'idéal masculin. Enfin, les couples de stars valorisés dans la presse magazine, destinée au jeune public féminin, deviennent des sources d'inspiration. L'analyse de ces phénomènes conduit l'auteure à conclure que l'épanouissement féminin reste présenté comme le (seul) résultat de la rencontre amoureuse. « Conciliant vie familiale et vie professionnelle, la femme contemporaine idéale se doit toujours d'être prête à sacrifier sa carrière par amour » (p120) Thème absent des magazines dédiés aux filles de 8-12 ans, la chanson supplée largement au manque d'information concernant la sexualité. Les filles se tournent vers les chanteuses à la « plastique idéalisée et l'érotisme démonstratif » (p 126) selon une identification couramment appelée le « phénomène Lolita ».
Au total, il apparaît que « l'univers des médias et de la consommation de masse continue d'enseigner un féminin « d'ornement » et « d'agrément » (p 158). L'organisation symbolique des rapports entre les sexes est renouvelée dans ses modalités, mais reste stéréotypée. Maîtrise de l'apparence, souci précoce de la séduction et féminisation du corps trahissent l'incorporation de modèles spécifiques aux filles dès le plus jeune âge.
Frédérique
[1] Sherrie A. Iness, Delinquents and Debutantes : Twentieth Century American Girl's Culture, New York et Londres, New York University Press, 1998, p 179