Les chiffonniers d'Ezbet el Nakhl

Publié le 09 janvier 2009 par Kak94

Cette affiche incroyable décline en arabe "je suis heureux avec...", la fenêtre ouverte, les arbres verts, le ciel limpide, de l'eau pure, des fruits frais, le soleil qui brille et les oiseaux qui font cui-cui...

Offerte par l'USAID (Agence pour le développement international étatsunienne), elle trône au milieu de la cour de récré d'une école du Nord du Caire. Une belle école, très bien entretenue comparée à celles de mon quartier. Une école où des gosses propres comme des sous neufs semblent rayonner de bonheur. Une écolechrétienne fondée dans les années 90 par les sœurs de la congrégation copte des filles de Sainte Marie qui accueille 2300 élèves.

Nous sommes à Ezbet El-Naghl, "la ferme de palmeraie", quartier à la limite nord de la ville et du gouvernorat, à trois quart d'heure de métro du centre.

Quand on descend à la station Ezbet El-Nakhl, le premier sentiment (voire le deuxième) n'est pas d'être tombé dans une palmeraie. La zone est très urbanisée, mais on a pourtant l'impression d'avoir changé de ville. Le goudron des routes n'est pas arrivé jusque là et les taxis noirs du Caire ne s'y aventurent pas : on se déplace en pick up (avec amortisseurs de choc) ou en toc-toc. Et dès les premiers mètres, on perçoit comme une autre atmosphère. Sans compter l'odeur, dirait un regretté président...

Si nos petits écoliers ouvrent leur fenêtre il n'est pas sûr que cela les rende vraiment heureux. Y compris les fenêtres extérieures de leur école qui fait figure de camp retranché dans un environnement qu'elle tente d'oublier par tous les moyens. Ezbet El-Nakhl, c'est un des douze bidonvilles du Caire qui était habité il y a trente ans par deux ou trois centaines de zabbalyns - que l'on traduit pudiquement par chiffonniers- qui ramassent nos poubelles à domicile au Caire ( voir article précédent ). Aujourd'hui on estime à 750 000 les habitants et à 20 000 les chiffonniers : 15 000 vivent dans les immeubles qui se sont construits autour du "chantier" (dont on ne voit ici qu'une petite partie), 5000 vivent, mangent, élèvent leurs cochons et canards, et dorment sur les ordures elles-mêmes. Ici on trie les plastiques, les métaux, les papiers, et jusqu'au coton des couche-culottes usagées.On voit même des femmes en train de trier des cuillères et fourchettes en plastique. Des circuits de recyclage sesont formés pour tous ces matériaux et, si l'on exclut l'être humain de l'écosystème (ce qui est une tendance confirmée en Europe aussi) on peut qualifier l'activité de nos zabbalyns d'écologique.

On est loin de la crise boursière mondiale et on a même du mal à imaginer ce qui pourrait aggraver la situation, car même après avoir lu ou vu des dizaines de reportages sur ces bidonvilles, c'est à couper le souffle.

Bien sûr tous les petits zabbalyns n'ont pas une place à l'école qui est forcément payante puisque entièrement privée (1000LE -130€/an). Pour comparaison le salaire des enseignants débutants de cette école est de 350 LE. L'état lui a totalement oublié ce quartier.

Pourtant on y vit, on y fait les courses,les magwagy repassent et les ânes se font du gringue...comme ailleurs.

Le Dr Adel Abd el Malek Ghali qui milite d'arrache pied au Centre Salam (lui aussi géré par les soeurs) tout proche, pour faire vivre une crèche, un hôpital pour enfants, un centre d'accueil pour handicapés, une maternité, des cours de soutien estime que plusieurs milliers d'enfants sont hors de l'école. Ce centre Salam en accueille pourtant de nombreux, là encore dans des conditions très dignes.Infatigable, le Dr Adel rêve de décrocher les moyens de construire une deuxième école. Il fait visiter le chantier de son dispensaire (du toit duquel sont prises la plupart de ces photos) tout en parlant de ses projets. Pas un mot de révolte chez ce chrétien convaincu que Dieu trouvera la solution à tout. Pourtant j'ai surpris un Jésus en train d'en douter et de se demander s'il n'allait pas faire sa valise pour se tirer de là.

L'engagement de ces soeurs et du Dr Adel force le respect. Tout comme celui de l'association "Les Amis d'Ezbet ET-Nakhl", ( voir ici ) qui est hébergée au Centre Salam et travaille en direction des mamans pour donner des rudiments de formation à l'hygiène, au soin des bébés...Le quartier étant hors champ des services statistiques égyptiens, il est difficile de prendre la mesure de la misère qui est là et de ce qui reste à faire. Mais les actions menées ont ceci d'incroyable c'est de remettre de l'humain dans un endroit où il semble aboli. Et ce n'est pas rien.

Il restera à nos descendants des siècles à venir d'analyser les coupes géologiques de ce morceau de planète et de le dater. Sûr qu'ils n'en croiront pas leur carbone 14 : cela se passait en 2008 !