Douce France de Karine Tuil

Par Sylvie

Editions Grasset, 2007

Karine Tuil signe ici un troublant roman aux accents kafkaïens ; à la fois un récit d'auto-fiction, un récit absurde sur l'administration française, un docu fiction et un plaidoyer contre le traitement inhumain des immigrés clandestins reconduits dans leur pays d'origine.
La narratrice se fait arrêtée par la police dans un magasin qui embauche des ouvriers clandestins. Dans la bousculade, elle perd ses papiers ; dans un accès de "folie", elle déclare qu'elle est roumaine. a partir de ce moment, le cauchemar commence : elle est emmenée au centre de rétention administratif de Roissy. Là où les immigrés clandestins attendent leur rapatriement vers leur pays d'origine. La-bas, elle fait la connaissance de Youri, un ouvrier biélorusse ....
Pourquoi a-t-elle commis cette acte de folie ? Tout simplement parce qu'elle se rappelle ses propres origines, fille d'immigrés juifs, de personnes traquées, qui ont du aussi refouler leurs coutumes, leur accent, leur langue afin de bien s'assimilier et de donner toutes ses chances à leur fille, la narratrice.
Cette dernière se sent au plus d'elle-même une personne qui a peur, qui se sent menacée ....à cause de "la mémoire, cette vieille juive hystérique". La narratrice se soumet docilement aux interrogatoires et découvre la condition des clandestins dans ces centres de rétention.
A noter que ce roman prend des allures de docu fiction lorsque l'on sait que Karine Tuil a visité le centre du Mesnil-Amelot, le seul qu'on l'a autorisée à visiter...
L'écriture est très incisive ; elle se veut un cri pour mettre en lumière tous ces écorchés vifs, ces hommes de l'ombre, ces nouveaux juifs errant. A la manière du roman social de Zola, Karine Tuil signe un "J'accuse" poignant qui se veut une plongée dans la réalité brute.
Tout en écrivant un écrit de société engagé, elle y mêle une dimension intimiste sur ses propres peurs refoulées, constitutives de l'identité juive. Et aussi sur son refus, sa peur de se dire juive. On y décelle un beau portrait de la première vague d'immigration, qui à force d'efforts et de refoulement de leur culture, se sont assimilés.
Le prétexte romanesque, une personne arrêtée par erreur, n'est pas sans rappeler les récits de Kafka ou encore le terrible Monsieur Klein de Joseph Losey.
Un récit coup de poing très bien mené.