Voici un nouvel article qui arrive juste à point : juste avant le petit Jesus, la dinde, les
cadeaux, les indigestions, la cuite du 31, mais aussi et surtout avant la nouvelle année. Et en 2009, la grosse nouveauté, c'est que couic, à partir du 5 Janvier on va dire adieu à la
pub sur les chaines publiques après 20h. Et oui. La bonne vieille pub qui permettait d'aller se faire une demi baguette et un demi-camembert entre le JT et la météo. Puis la pub entre la météo et
le traditionnel film de 20h50. Ca on l'a tous compris, mais pour le reste...
Entre non-événement (genre ça va pas non plus révolutionner notre vie) et débat ultra-politisé, les brèves de comptoir ont la peau dure et soyons honnêtes, on n'a pas compris grand chose à tout
ça. J'ai donc décidé d'apprendre quelque chose aujourd'hui. Je vais essayer de comprendre le pourquoi du comment de cette réforme. Et pourquoi, surtout, elle fait autant parler d'elle.
D'abord, qu'est-ce que ça va changer pour nous téléspectateurs? Ben, j'ai envie de dire : pas grand chose d'un point de vue visuel. Un peu moins de pub, un peu moins de bruit le soir, un peu
moins de temps perdu, et la possibilité de passer la soirée devant la télé sans pour autant se coucher tard. Petit calcul rapide : le JT à 20h, le premier film à 20h35, puis le deuxième à 22h15.
Sur ce point on peut dire que les français sont plutôt unanimes : selon un sondage mené par le CSA les 10 et 11 Décembre derniers, 70% des interrogés se déclaraient satisfaits. 65% d'entre
eux se déclaraient même satisfaits de manière générale de l'arrêt de la pub après 20h sur les chaînes du service public. En fait, là où le bât blesse, c'est quand on aborde le délicat
sujet de la nomination du patron de France Televisions par le Président de la République. 18% des français seulement sont d'accord...Et c'est là que ça devient fortement politique (et
que je commence à être un peu larguée). Première critique avancée : cela favoriserait les copains du privé de notre Président qui eux, accueilleraient à bras ouverts les anciens
budgets pub du service public. C'est sans compter qu'ils vont devoir eux aussi se ré-organiser pour ne pas perdre tout l'audimat au profit des programmes du service public commençant, eux, plus
tôt. Pfou. Un vrai casse-tête. Entre un programme de qualité, sans pub, qui commence plus tôt et permet de se coucher tôt, et une émission de télé-réalité, à votre avis, que choisira le
téléspectateur?
Car la deuxième chose qui est censée changer pour nous, c'est la qualité des programmes. D'un point de vue un poil démagogique, c'est bien entendu le premier argument avancé
par les réformistes. Finies les émissions populo-pré-mâchées justifiées par la pression de l'audimat (il suffit de regarder M6, la chaîne auto-proclamée coach des français, c'est à
pleurer : bouffe, déco, relooking, recherche d'appart, nounou, agence matrimoniale spécialisée dans les cas sociaux, tout y est. En revanche quand il s'agit d'éduquer un peu les jeunes avec des
programmes intellectuels, y'a plus personne. Je dis ça, ceux qui me connaissent savent que je voue une admiration sans borne au Diner Presque Parfait...).
Audimat, quand tu nous tiens.
Et la courbe de l'audimat, au fait, qui la regarde ? Je vous le donne en mille : les investisseurs, autrement dit, les annonceurs, qui veulent savoir combien de ménagères vont acheter du Kinder
Bueno après le matraquage de la veille. Si l'audimat est mauvais, couic, terminato, on coupe les budgets pour les mettre ailleurs.
Doù la célèbre et - à défaut d'être intelligente, nous dirons lucide - intervention de Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1, qui a dit un jour : "Il y a beaucoup de façons de parler de la
télévision. Mais dans une perspective business, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. […] Or pour qu'un message publicitaire
soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre
deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. […] Rien n'est plus difficile que d'obtenir cette disponibilité. C'est là que se trouve le changement
permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l'information s'accélère, se multiplie et se banalise… […]
La télévision, c'est une activité sans mémoire.". CQFD.
L'exemple, la best practice: la BBC (modèle qui, soit dit en passant, a été depuis fortement remis en question). Notre ministre préférée de la culture pub nous l'assure d'ailleurs, nous bénéficierons de programmes de qualité : "Il ne faut pas reproduire le passé mais il est nécessaire d'avoir les moyens
et l'imagination de créer des émissions qui ont marqué leur temps par leur nouveauté et leur impertinence. Aujourd'hui, c'est aussi le cas avec des programmes comme Plus belle la vie."
Ben on se sent drôlement plus confiant tout à coup.
Je récapitule : pour nous marketeurs ce qui va éventuellement changer c'est qu'on va passer moins de temps à compter du grp (toujours ça de pris) et que certains grands groupes vont d'un seul
coup découvrir un nouveau média appelé l'internet. 2009 ou la réforme des métiers de planneur stratégique et de marketeur grande conso. Il était temps.
Enfin, dernier sujet sensible, à plus forte raison en temps de crise financière mondiale, de recession, de perte de pouvoir d'achat : le financement. Alors, bon, comment faire simple.
Avant, les marques payaient pour avoir de la pub; désormais, les contribuables paieront pour ne plus en avoir. Enfin sauf que quand il y en avait on pouvait tout à fait ne pas la regarder et
c'était gratuit. On pouvait téléphoner pendant la pub. Et bien maintenant, avec le nouveau système basé sur les taxes sur les télécommunications, on paiera plus cher le coup de fil qu'on ne
passera plus pendant la pub qui n'existera plus. Le service public aura désormais un budget de 450M d'euros garanti un an (pas garanti quoi) à utiliser à bon escient. Sinon couic. Et si
couic, alors les programmes seront de moins bonne qualité. Et si ils sont de moins bonne qualité alors les téléspectateurs iront sur les chaînes privées. La pub y coutera plus cher. Tout le monde
aura casqué pour rien. Ouh la. Une réforme pour les intellectuels, vous disiez?
Bref, depuis des mois, c'est galère sur galère pour la pauvre Christine. plus de 800 amendements déposés, des tollés à gauche comme à droite - officiellement pour la sauvegarde de la démocratie
et la liberté de la presse, officieusement la gauche a les choco-boules parce que c'est elle qui l'avait proposé en premier. A tel point que c'est M. de Carolis qui a dû annoncer lui-même
cette nouvelle qui n'en était pas une. Entre la porte et le déshonneur...
Je concluerai cet article en revenant rapidement sur cette histoire de démocratie, avancée comme un étendard par la profession journalistique, et notamment l'élite parisienne, en vous conseillant
un livre tout à fait passionnant intitulé "L'omerta Française" (Sophie Coignard, Alexandre Wickham). Celui-ci se lit très bien et nous ouvre les yeux sur cette profession, qui, rappelons-le, à
bien des égards n'a pas attendu notre président actuel pour s'auto-censurer pour les beaux yeux du pouvoir...Berlusconisation, Poutinisation...Que chacun balaye devant sa porte...
Et si vous le permettez, oublions tous ces faux débats un instant : ici le vrai débat posé par cette réforme est bien ailleurs. C'est le débat de la performance. Le service public doit-il se
soumettre à la pression de la performance?
Mmmm... Comment dire. J'ai tout à coup en tête la vision de mon bureau de poste à l'heure de pointe, des grévistes de la SNCF, et je me dis : oui, pourquoi pas?