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Le jour retranché de Didier Da Silva

Par Loïs De Murphy

« (…) Sam se rassit devant les touches, fit rouler ses épaules qu’une raideur endolorissait. Il attrapa une partition, en tourna les pages ; tout ne lui disait rien, il la reposa. Il se consulta un instant puis se mit à jouer un mi, aigu, le plus délicatement possible. A cru, c’est-à-dire sans pédale, il le répéta une vingtaine de fois.

Toujours trop fort à son goût.

Son piano manquait de finesse, à sa pression infime il ne répondait pas. Il s’obstina. Du mi il passa au fa, obtint une seule fois le son ténu, presque inaudible, qu’il espérait. Le diésant il y eut, dans le sens du moins, un léger mieux ; les touches noires de son vieux biniou se montraient plus aptes que les blanches, si dures, à produire cet impalpable son qu’il convoitait. Il se cala sur le fa dièse, en espaça la frappe sur le tempo d’un cœur qui bat dans un sommeil paisible, ralentit encore et encore. Le fa surfait sur le bruit du vent, passait en dessous, haussait à peine la tête et replongeait.

Après un long silence il parut en apnée, sa résonance une tache plus claire à la surface ; puis une ultime fois, dans un effleurement, comme le filament d’une ampoule s’embrasant dans la pièce à côté.

Sam se recula, vingt minutes s’étaient écoulées.

Francisco Goya, dit Judas, qui s’était assoupi sur un tas de photocopies, s’étira alors brièvement et sauta du piano, non sans faire sonner violemment au passage (son habitude) un groupe de notes graves, traversa le salon en trottinant, jeta un œil sur la porte de la cuisine, s’arrêta un instant dans l’espoir qu’elle s’ouvre d’elle-même sur une orgie de boulettes, perdit foi et patience, poursuivit en accélérant son chemin dans le couloir, s’arrêta de nouveau, devant les toilettes, huma s’en échappant la rassurante odeur de ses crottes, fit un sprint jusqu’au vieux canapé défoncé qui trônait dans la bibliothèque et dont le velours vert portait, sur le bord droit de son assise, la trace empoilée de ses siestes, y grimpa, s’aplatit comme une crêpe, ferma les yeux, les rouvrit, l’éclat des fenêtres donnant sur la rue le tenta, en une seconde il se postait sur le rebord de l’une d’elles et observait avec passion va savoir quoi (...) »

Treize mille jours moins un de Didier da Silva éd. Léo Scheer (p. 11-12)

Da_silva


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