C'est une triste illustration de la difficulté qu'ont les femmes françaises à choisir l'accouchement qu'elles
souhaitent. Et ce qui arrive aujourd'hui à une jeune mère habitant la Moselle n'est malheureusement pas exceptionnel. Nous avons reçu hier, par le biais de ce blog, un message d'une internaute nous
alertant sur le cas de Eudes Geisler. Après un premier accouchement très médicalisé dans un hôpital français, cette jeune Mosellane a souhaité accueillir son second enfant « dans un cadre plus
chaleureux qu'un hôpital ». Cette audacieuse a bien vite été refroidie !
Dans un premier temps, elle envisage de faire suivre sa grossesse par une sage-femme libérale et d'accoucher à domicile. Mais Eudes habite à une demie-heure de la maternité la plus proche et aucune
sage-femme n'accepte de l'assister pour un AAD. « Certaines auraient voulu mais n'étaient pas couvertes par leur assurance professionnelle », explique la jeune mère. Résolue à ne pas
retourner en milieu hospitalier, elle se tourne alors vers l'Allemagne et décide d'aller accoucher dans une maison de naissance située à Sarrebrück. Elle informe sa caisse d'Assurance Maladie qui,
un mois avant terme, lui répond que ses frais ne seront pas pris en charge. Pas question néanmoins qu'elle renonce à son projet; en mai 2007, elle avance environ 1000€ pour pouvoir donner naissance
à un petit garçon dans les conditions humaines qu'elle souhaite. Deux mois après, la commission de recours amiable de la Sécu confirme la première décision.
Déterminée à faire valoir « qu'un assuré français peut traverser les frontières pour se faire soigner à l'étranger et se faire rembourser en France », Eudes prend un avocat et saisit le
médecin-conseil national. Le verdict tombe le 7 janvier dernier : la plaignante est déboutée au motif que « les soins et séjours programmés dans cette maison de naissance n'étaient pas
conformes à la législation française » et que Eudes Geisler « pouvait trouver en France et dans son voisinage des maternités lui permettant d'accoucher ».
Cette décision n'est malheureusement pas surprenante et illustre le fossé qui existe aujourd'hui en France entre la façon dont certaines femmes souhaitent vivre la naissance de leur enfant et
l'attitude des administrations à leur égard. Mais le tribunal ne s'est pas arrêté là. Non content de refuser le remboursement de la somme engagée par les parents - somme trois fois inférieure au
coût moyen d'un accouchement dans une maternité française - il a condamné la mère à 100€ d'amende pour « avoir voulu faire supporter par la communauté des assurés sociaux un choix de pure
convenance personnelle ». Et d'ajouter : « un tel comportement n'est pas admissible ».
Résumons. Eudes Geisler a choisi d'accoucher dans un lieu qui lui offrait la possibilité d'accueillir son enfant comme elle le souhaitait. Cette démarche permettait, en outre, d'économiser les
deniers publics. Concilier respect humain et parcimonie économique, voilà bien effectivement un comportement inadmissible ! Il convenait donc de sévir, histoire de dissuader quiconque de rééditer
ce genre de dérapage.
Bien que surréaliste, ce cas n'est malheureusement pas isolé. Et les témoignages concordent : la prise en charge de soins dispensés dans un autre pays de l'UE est de plus en plus difficile à
obtenir. Il faut dire que le règlement intérieur des CPAM laisse beaucoup de place à l'interprétation. « Lorsqu'un assuré social ou ayant droit ne peut recevoir en France les soins appropriés
à son état, il est procédé au remboursement des soins dispensés à l'étranger ». Oui, mais que sont des « soins appropriés à son état » ? D'un point de vue strictement technique,
l'état d'une femme enceinte requiert qu'elle puisse accoucher, quelles que soient les conditions de cet accouchement. D'un point de vue humain, une femme peut légitimement estimer qu'un
accouchement surmédicalisé dans un hôpital français n'est pas « approprié » à son état. Car son état ne se résume pas à sa grossesse, il convient de prendre également en compte ses
dispositions psychologiques, dispositions sur lesquelles un précédent accouchement mal vécu a bien entendu une incidence.
Une future mère pourrait donc faire valoir ce point de vue, pour peu que son interlocuteur ne soit pas complètement obtus. Mais les choses se compliquent encore à la lecture des préconisations du
Centre des liaisons européennes et internationales de Sécurité Sociale. L'organisme indique que l'autorisation de recevoir des soins à l'étranger ne peut être refusée à un assuré que dans deux cas
: d'abord si « un traitement identique ou présentant un même degré d'efficacité peut être obtenu en temps opportun en France, compte tenu de l'état de santé de l'intéressé »; ensuite si
« les soins ne figurent pas parmi les soins pris en charge par la législation française ».
On touche du doigt tout le paradoxe d'une situation comme celle de Eudes Geisler. Dans le premier cas de figure, elle est dans son bon droit et la CPAM doit la rembourser puisqu'aucun traitement
identique (un accouchement en maison de naissance en l'occurrence) n'est possible en France. Mais c'est bien sûr la seconde condition que la justice a retenu pour débouter la plaignante, arguant
que les soins reçus n'étaient pas « conforme à la législation française ».
Les soins dispensés dans une maison de naissance ne sont en effet pas reconnu en France, et pour cause : il n'y existe tout bonnement aucune maison de naissance. Tous les projets qui visaient à en
créer ont été gelés ou abandonnés, alors même que l'Organisation Mondiale de la Santé recommande aux professionnels de respecter le choix éclairé de la femme quant au lieu de naissance.
D'un point de vue purement législatif, on peut considérer que la décision rendue le 7 janvier est juste au sens où elle est une stricte application de la loi. Mais quand la loi est mauvaise, il
faut la changer. Et en attendant, tout faire pour qu'elle ne soit pas appliquée de façon inhumaine. Bien souvent, le changement commence dans la société avant que le législateur, à la traîne, ne
vienne valider l'évolution des mentalités. Alors faute de pouvoir faire évoluer directement la législation, c'est au quotidien qu'il faut revendiquer pour le droit des femmes à choisir librement le
lieu où elle souhaite accoucher, que ce soit à domicile, en maison de naissance ou en maternité. Il n'est pas question de privilégier un lieu au détriment d'un autre, juste de rendre le choix soit
possible, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. À ce titre, je ne peux que vous encourager à signe cette pétition pour un libre choix de naissance.
Le jour où les différentes administrations ne considéreront plus que vouloir un accouchement où l'humain prime sur le médical est une convenance personnelle; le jour où il existera en France des
maisons de naissance permettant aux femmes d'accueillir leur enfant sans que la sécurité soit un frein au bien-être; le jour où l'ensemble du corps médical acceptera de voir en la mère une actrice
à part entière de son accouchement plutôt qu'une malade; ce jour-là la société française aura fait un grand pas vers la reconnaissance de la naissance en tant que processus naturel, vers le respect
des femmes enceintes. En attendant, il faut sans relâche se mobiliser et s'insurger contre toutes les personnes et toutes les décisions qui nous tirent dans l'autre sens.
À consulter : le texte du jugement d'Eudes Geisler.